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Ce livre est issu d’une série de communications présentées à Shanghai en 2000. La partie i dépeint la transition à l’économie marchande de la technologie, des politiques industrielles, de la prise de décision et des patrons de propriété. Elle prend comme exemples trois secteurs : agriculture, télécommunications et automobiles. Sur cette base, la partie ii, explore les implications sociales de cette transformation économique interne, mais aussi de l’entrée de la Chine dans l’omc. Les auteurs sont particulièrement soucieux des impacts de la transition et de la mondialisation sur le chômage, l’inégalité des revenus, la pauvreté entre les régions et le taux d’urbanisation de l’économie. La partie iii analyse l’accession de la Chine à l’omc : implications pour l’économie américaine et autres, croissance et spécialisation économiques à Taiwan, déterminants micro et macroéconomiques de l’investissement étranger direct en Chine et l’accroissement quasi inévitable des disputes commerciales.

Quoique l’on puisse défendre cette structure, nous pensons qu’il aurait été souhaitable d’inverser l’ordre des parties ii et iii. De cette manière, le lecteur aurait compris plus clairement les coûts et les bénéfices de l’accession à l’omc et les autres dimensions de la mondialisation avant d’étudier leurs impacts sur les emplois, la pauvreté, le développement régional et l’urbanisation.

Les auteurs sont tous Chinois ; ils possèdent donc une compréhension profonde de l’histoire, la culture, des valeurs et de l’économie chinoises. La grande majorité a également fait ses études de doctorat dans des universités américaines. Ceci lui prête un cadre conceptuel et des outils économiques communs en sciences sociales. Par exemple, plusieurs chapitres se servent de modèles calculables d’équilibre général et d’analyses de régression afin d’expliquer la mondialisation à date et de prédire ses tendances futures. Non seulement l’exposition des idées est-elle claire, mais presque tous les auteurs appuient leurs dires avec des tableaux et des graphiques. Pris ensemble, ces tableaux numériques recèlent une richesse statistique qui englobe tout, depuis le nombre de lignes téléphoniques par 100 habitants en Chine jusqu’au nombre de querelles commerciales par année dans le monde.

Illustrons ces forces avec le chapitre sur la reconfiguration du marché pour le travail par Li et Yang. Les auteurs réussissent à chiffrer les impacts de l’accession à l’omc sur le chômage grâce à un modèle calculable d’équilibre général sous deux scénarios : accession ou non à l’omc. Malgré le fait que les importations par la Chine augmenteront plus que ses exportations, ces dernières sont beaucoup plus intensives en main-d’oeuvre. Alors l’effet net sera d’accroître les emplois, en plus bien sûr d’augmenter le pnb par habitant en Chine et dans l’économie mondiale en général.

De même, le chapitre sur les automobiles et l’essence emploie un modèle de régression multiple afin de prédire le nombre de véhicules et par extension le volume de carburant requis d’ici l’an 2010. Il explique également les contraintes à la croissance de l’industrie automobile : petite échelle, la fragmentation, le traitement spécial de certaines régions et le danger de la pollution. Les décideurs nationaux portent trop d’attention sur des industries individuelles, et pas assez sur le développement des infrastructures de routes et des transformateurs de pétrole, qui doivent forcément accompagner la croissance du nombre d’automobiles.

Sur le plan purement technique, l’expression écrite de ces auteurs non occidentaux de naissance est parfois boiteuse, quoique parfaitement compréhensible. De plus, les légendes en bas de certains tableaux et graphiques manquent de clarté.

En termes de contenu, les auteurs ont omis d’intégrer un traitement systématique des dangers majeurs de la mondialisation, qui ne se limitent pas à la pollution, mais incluent aussi une organisation excessive, le crime, la prostitution, les jeux de hasard et la maladie ; et tout cela a des implications économiques. De plus, ils ont omis d’expliquer qu’accroître les importations est bien pour les consommateurs chinois en général. Quelques millions de travailleurs risqueront de gagner moins de revenus à court terme, suite à l’ouverture de chaque secteur aux importations massives, mais il y aura également 1,3 milliard de gagnants !

La principale faiblesse du livre se trouve dans le chapitre sur l’urbanisation et l’industrialisation. Son auteur semble croire que l’urbanisation est un idéal à atteindre aussi rapidement que possible et que l’industrialisation n’est qu’un moyen pour atteindre ce but. Il déplore alors le fait que l’industrialisation se déroule « trop vite » et au « mauvais endroit » : le secteur des villages et comtés. L’auteur prédit qu’il y aura une migration massive de la main-d’oeuvre manufacturière en Chine depuis la région du Nord-Ouest sèche vers la partie mieux arrosée du Sud-Est. Il voit l’accession de la Chine à l’omc comme une « occasion en or pour accélérer l’urbanisation ». Nous sommes ravis qu’il s’enthousiasme autant pour son domaine d’expertise, mais l’auteur semble ignorer que l’industrialisation, et non pas l’urbanisation est la condition sine qua non du développement ; et que le modèle « chinois » de l’industrialisation du secteur rural a connu un tel succès dans la création d’emplois que le Viet-Nam et d’autres pays asiatiques tentent de le surpasser.

Malgré ces inconvénients mineurs, nous recommandons fortement ce livre à tout lecteur qui ressent un intérêt pour la face économique changeante de la mondialisation en ce début du 21e siècle. Le livre décrit spécifiquement comment un acteur majeur neuf, en l’occurrence la Chine, conduit sa transition vers un statut économique mondial, en plus des impacts de ses choix sur le reste du monde. De plus, nous pensons que même les experts de l’économie et la société chinoises trouveront dans ce livre une mise à jour rafraîchissante, par ses nouvelles analyses de nouvelles données.