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Cet article vise à étudier les thèmes d’identité et de sécurité nationales, tels qu’ils sont présents dans les interventions publiques des plus hauts dirigeants russes (le président, le premier ministre, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense), ainsi que dans les documents du parlement russe, en réaction aux deux événements majeurs de la vie internationale qu’ont été l’intervention de l’otan au Kosovo en 1999 et les attentats du 11 septembre 2001. Même s’il existe certaines divergences d’opinions entre ces personnalités politiques, nous ne retiendrons que le fond commun de leur discours. Nous entendons démontrer que les préoccupations de sécurité et d’identité dans le discours officiel russe sont intimement liées entre elles.

Nos objectifs dans le présent article consistent à mieux comprendre le lien entre la sécurité et l’identité qui existe dans le discours russe, à déterminer l’idée clé qui joue le rôle de ciment pour établir ce lien[1] ; enfin, à observer l’évolution de ce lien dans le temps (des événements au Kosovo jusqu’aux suites du 11 septembre). Nous verrons également comment des préoccupations internes et externes influent sur le discours de politique extérieure et donc sur la dyade sécurité-identité.

Du point de vue ontologique, notre étude s’inscrit dans une approche qui postule que l’État est un acteur dont la politique de sécurité est formée sous l’influence des constructions rationnelles et non rationnelles (normatives, axiomatiques, etc.) des décideurs ainsi que sous l’effet de changements de perception intériorisés de façon non délibérée (non critique). En effet, à partir des deux événements successifs mentionnés, il sera intéressant de dégager des éléments de changement et de continuité du discours. Même s’il est très difficile d’établir de façon certaine un lien de causalité entre les événements extérieurs et le discours comme système interprétatif plus ou moins stable des faits de la vie internationale, on peut estimer qu’il existe des événements déclencheurs qui amènent l’intensification de la réflexion en matière de politique étrangère et provoquent certains changements ou, au moins, une certaine réorganisation du discours[2].

La fin brusque de l’urss a amplifié pour les nouveaux dirigeants de la Russie, l’importance de l’équilibre à trouver entre la recherche de l’identité du nouvel État et la nécessité d’assurer sa sécurité dans un environnement international transformé. Le facteur externe le plus puissant qui a déterminé l’élaboration de nouvelles conceptions russes dans le domaine de la sécurité et de l’identité nationale (ou étatique) a été sans aucun doute l’élargissement de l’otan vers l’Est, dans l’ancienne sphère d’influence de l’urss, en confinant la Russie à l’extérieur de l’Alliance. Un consensus extrêmement difficile à élaborer, tant sur le plan des débats internes qu’externes, a toutefois abouti en 1997 à la signature de l’Acte fondamental sur les relations entre l’Alliance atlantique et la Russie, par lequel ses dirigeants se réconciliaient très mal avec une organisation perçue sinon comme hostile, tout au moins comme les mettant à l’écart de ce qui devenait le principal système de sécurité en Europe. En conséquence, l’intervention de l’otan au Kosovo a été vécue par l’ensemble de la classe politique russe de façon traumatique. L’identité et la sécurité sont restées de ce fait un sujet brûlant pour l’élite politique dirigeante russe.

I – Conception de l’insécurité

On peut présenter le discours des décideurs en matière d’insécurité comme ayant deux parties principales, l’une sur les menaces immédiates et l’autre sur les menaces fondamentales. L’identification des menaces immédiates est relativement aisée lorsqu’on se retrouve devant un événement international retentissant, comme l’opération de l’otan au Kosovo ou les attentats du 11 septembre. Dans la terminologie des dirigeants russes, dans les deux cas, il s’agit d’actes d’agression. Dès le premier jour des frappes aériennes, le président russe, Boris Eltsine, déclare que l’action militaire de l’otan n’est rien d’autre qu’une agression non voilée contre la Yougoslavie souveraine. Et, selon le ministre des Affaires étrangères, Igor Ivanov, « pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale un acte explicite d’agression contre un État souverain est commis[3] » et parle de l’agression directe de l’otan[4]. Ensuite il renchérit en disant qu’il s’agit d’une agression selon tous les canons du droit international[5]. En effet, les dirigeants russes se tournent vers le droit international afin de qualifier l’opération militaire de l’otan d’agression, puisqu’elle n’avait fait l’objet d’aucune autorisation du Conseil de sécurité de l’onu. Il s’agit donc d’une violation de la Charte de l’onu. L’intervention militaire de l’Alliance atlantique tombe également sous la définition de l’agression, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’onu en 1974[6].

Un autre thème récurrent des décideurs russes pour caractériser l’opération de l’otan, c’est celui de la provocation. Ivanov dénonce le fait que pour la première fois, l’Alliance atlantique est « sortie, de par ses actions, de sa zone de responsabilité, en utilisant la force, non pas pour la défense ou contre un agresseur, mais contre un État européen souverain ». En développant le thème de la provocation, le ministre russe insiste sur l’effet traumatisant et alarmant de cette intervention

L’otan a montré la pleine mesure de sa nature. Les dirigeants de cette alliance nous persuadaient avec tant d’assiduité que l’otan était presque une nouvelle organisation qui s’est débarrassée des vices de la guerre froide. Or, tout de suite après l’admission des trois nouveaux membres, l’otan a fait preuve de son agressivité[7]

Ainsi, le leadership russe tente de montrer que les dirigeants de l’otan les ont trompés sur la transformation de l’otan et des ses objectifs, ce qui devient une source de traumatisme, donc un sentiment d’insécurité, importante, car selon le chef de la diplomatie russe, « nous avons cru avoir abandonné l’époque de la guerre froide[8] ».

En ce qui concerne les attaques terroristes du 11 septembre, les réactions immédiates des dirigeants russes n’ont pas sensiblement différé de celles de l’ensemble des capitales du monde occidental. En effet le jour même des attentats, le président russe Vladimir Poutine annonce que « les États-Unis ont fait face à un acte sans précédent d’agression de la part du terrorisme international ». Quelques jours plus tard, Igor Ivanov déclare à l’aéroport de Washington qu’il s’agit d’une « attaque barbare des terroristes » et le 20 septembre, à la sortie d’une rencontre avec le secrétaire d’État Powell, « d’un défi effronté du terrorisme international », ce qui sera la formule consacrée des dirigeants russes. Poutine rappelle qu’il avait évoqué l’existence de l’internationale terroriste bien avant les attentats du 11 septembre[9] ; et on verra comment. Cette idée est reprise par le ministre de la Défense Serguei Ivanov :

En s’étendant de la région des Balkans et du Nord Caucase en passant par l’Asie centrale et méridionale jusqu’aux Philippines et l’Indonésie, les aspirations de « l’internationale » terroriste menacent de déstabiliser la situation à l’échelle non seulement des États isolés mais des régions entières, de miner la sécurité et la stabilité internationales[10].

Ainsi, les dirigeants russes identifient la menace immédiate (ou réelle) comme celle du terrorisme international[11].

Comparativement aux menaces immédiates, l’identification et la formulation des menaces fondamentales requièrent une réflexion plus élaborée, qui démontrera le lien logique qui existe entre la menace immédiate et sa source plus profonde. En effet, la réflexion sur les menaces fondamentales fait appel à l’ensemble des idées que se font les décideurs sur la vie internationale ; de plus, les menaces fondamentales ont souvent le caractère plus diffus ou latent ; il faut également tenir compte de leurs possibles enchevêtrements.

A — Les menaces fondamentales durant et après la crise au Kosovo

La conception russe des menaces dans le cas du Kosovo se fonde sur une vision historique des problèmes interethniques susceptibles de se transformer en menace grave. La suppression de l’autonomie de cette province à la fin des années 1980 a provoqué une vague de manifestations parmi les albanophones, majoritaires dans cette région, en faveur de la restauration de cette autonomie. Selon Igor Ivanov, les dirigeants de la Yougoslavie n’ont pas pris de mesures politiques pour résoudre ce problème, ce qui a facilité la montée en force de l’Armée de libération du Kosovo, organisation séparatiste qui a trouvé des protecteurs extérieurs. Ivanov, dès 1999 parle non seulement des extrémistes islamistes, mais fait aussi allusion au soutien des pays occidentaux[12].

Selon les dirigeants russes, les problèmes ethniques, dont l’existence leur semble être presque universelle, peuvent devenir, sous certaines conditions, un sol fertile pour l’émergence d’un conflit. Mais ils ne constituent pas en soi une menace. Voilà pourquoi, lors de ses conférences de presse ultérieures, le ministre des Affaires étrangères affirme à plusieurs reprises que la fraction armée des terroristes kosovars ne représente qu’une infime partie de la population totale des albanophones au Kosovo[13] et que « les vrais Albanais ne cherchent pas à séparer le Kosovo de la Yougoslavie, ils sont prêts à vivre dans un État uni, mais naturellement avec le respect total de leurs droits légitimes[14] ».

Pour les décideurs russes, les flux de réfugiés ont été provoqués par les frappes aériennes de l’otan, alors qu’auparavant il n’y avait que des incidents isolés[15]. Les problèmes ethniques sont considérés comme étant d’ordre interne. Puisque les séparatistes armés ne représentent qu’une infime partie de la population albanophone du Kosovo, ces problèmes auraient pu être résolus de façon pacifique. Or, deux forces extérieures sont intervenues : les organisations islamiques extrémistes et les pays occidentaux. Qui plus est, ces deux forces sont entrées en interaction, voire en collusion, selon l’interprétation russe.

Les dirigeants russes voient une menace immédiate dans la volonté affirmée de l’otan d’établir son contrôle sur les Balkans, ainsi que dans les desseins hégémoniques des États-Unis, qui constituent à leur avis la principale source d’insécurité (ou la menace fondamentale) dans le monde de l’après-guerre froide. Une seconde menace émane du séparatisme armé ayant souvent des sources de financement criminelles. On peut entrevoir dans cette lecture des événements des Balkans un fort souci identitaire, car l’identité multinationale de l’État russe semble être fragilisée du fait des menaces qui planent sur un autre État multinational, la Yougoslavie. Il est bien clair que l’ombre de la Tchétchénie et des problèmes qui l’entourent imprègnent fortement la vision russe des choses.

Pour les décideurs russes, les États-Unis cherchent à asseoir leur hégémonie dans le monde d’après-guerre froide (« imposer au monde le diktat politique, militaire, économique des États-Unis, asseoir au xxie siècle un tel ordre mondial unipolaire où les destins des peuples seraient décidés à partir de Washington[16] ») et ont choisi l’otan comme instrument de prédilection pour réaliser ce dessein, tout en mettant à l’écart l’onu. Cela scandalise les dirigeants russes d’autant plus que le statut de la Russie comme membre permanent du Conseil de sécurité représente un des vestiges les plus importants qui lui restent de la puissance et de l’influence de l’urss. Ils présentent la stratégie américaine de la manière suivante : trouver un endroit où il serait possible d’élargir la zone d’influence de l’otan[17]. Le choix est tombé sur la Yougoslavie dont la situation intérieure (conflits interethniques) donnait prétexte à une intervention extérieure[18]. Ainsi, la crise au Kosovo a été aggravée de façon artificielle par les pays occidentaux afin d’élargir leur zone d’influence et de tester de facto leur nouvelle stratégie mondiale, sous prétexte de la prévention d’un désastre humanitaire.

Selon Igor Sergueev, le ministre de la Défense à l’époque, l’objectif américain consiste plus concrètement à obtenir la possibilité d’intervenir contre n’importe quel pays, d’où sa conclusion que la Yougoslavie n’est qu’un prétexte pour faire accepter cette stratégie hégémonique[19]. Igor Ivanov amplifie les propos de son collègue : « Aujourd’hui les frappes ne sont pas dirigées tant contre la Yougoslavie. Un défi est posé devant l’ensemble de la communauté internationale, un danger pèse sur l’ordre universel établi après la Deuxième Guerre mondiale[20]. »

Ivanov insiste sur la thèse de l’hégémonisme américain qui se manifeste même vis-à-vis d’autres pays occidentaux : « Même si l’otan affirme l’unité et la cohérence de ses rangs, il est clair pour tout le monde que Washington est le principal instigateur de cette agression et les décisions ont été prises à Washington[21]. » Il ajoute que « l’opération aérienne de l’otan contre la Yougoslavie est exécutée presque entièrement par les États-Unis[22] », alors que « malheureusement, les politiciens européens, partenaires des États-Unis au sein de l’otan, n’ont pas eu le courage de résister à cette stratégie explicite des États-Unis[23]... »

Résumons comment les décideurs russes présentent la stratégie américaine au Kosovo. Il fallait affaiblir et diviser la Yougoslavie[24], ce qui permettrait à l’otan d’internationaliser le conflit et de se présenter en arbitre. Pour cela, les États-Unis ont choisi d’encourager les agissements des séparatistes et de tolérer leurs protecteurs extérieurs issus des mouvements islamiques radicaux pour ensuite soutenir directement les forces séparatistes. Mais avant de passer au rapprochement fait dans le discours russe entre les pays occidentaux et les forces séparatistes, soulignons la vision russe concernant le séparatisme et son soutien extérieur premier.

Les dirigeants russes cherchent à démontrer que les forces extrémistes extérieures apportent une assistance considérable et variée aux séparatistes kosovars. De plus, les États occidentaux ont d’abord fait preuve de complaisance face à cette menace, pour devenir ensuite eux-mêmes fournisseurs d’aide. D’où l’interaction entre deux menaces fondamentales dont il sera question dans les lignes qui suivent.

Pour Ivanov, les forces séparatistes sont concentrées au sein de l’Armée de libération du Kosovo (l’uck) dont les activités se résument en « la lutte armée pour faire sortir le Kosovo de la Yougoslavie » et en « l’activité terroriste et le séparatisme ouvert[25] ». Selon le ministre des Affaires étrangères, la Russie dispose de renseignements fiables concernant les bases de terroristes au Kosovo et leurs canaux internationaux de ravitaillement en armes et munitions qui s’étendent au Moyen-Orient et en Afghanistan, renseignements que la Russie a transmis à ses partenaires occidentaux mais que ces derniers n’ont pas utilisés pour enrayer ces canaux, d’autant plus qu’ils possèdent leurs propres sources d’information[26]. I. Ivanov constate qu’une telle politique américaine crée un déséquilibre militaire en faveur des formations non étatiques et illégales au détriment d’un État souverain, la Yougoslavie, car en vertu d’une résolution de l’onu tous les pays sont appelés à faire preuve de retenue à l’égard des livraisons d’armes vers une région en conflit[27].

Le ministre croit que des organisations terroristes internationales issues principalement du golfe Persique et du Moyen-Orient fournissent une aide substantielle, en hommes, matériels et expertise. Tout cela lui permet de conclure à l’existence d’une menace fondamentale : « Ainsi, au centre de l’Europe, avec la contribution des Européens eux-mêmes, un foyer de l’extrémisme islamique est créé, ce qui donnera très prochainement des métastases à l’échelle du continent[28]. » On peut constater que dès 1999, le dirigeant russe cherche à construire, à partir du cas du Kosovo, un schéma général qui serait valable pour tout le continent européen et peut-être sur une échelle encore plus large. On voit planer ici l’ombre de la Tchétchénie.

Lorsque Ivanov formule les principes de la politique russe dans la crise au Kosovo, il y mentionne, dans la même séquence, les phénomènes suivants : « La Russie est contre le terrorisme, le séparatisme et toute forme d’extrémisme[29] », ce qui montre bien l’équation que les dirigeants russes cherchent à établir entre ceux-ci. Par ailleurs, l’étatisme de l’approche officielle se manifeste très nettement lorsque le chef de la diplomatie russe cherche à démontrer que les États islamiques sont exposés aux mêmes menaces. Il en conclut qu’il s’agit de menaces à la stabilité de chacun des États et à celle du système interétatique[30]. Plus tard, il ira encore plus loin dans l’analyse des menaces fondamentales et des conditions favorables à leur émergence en déclarant que le « délabrement, la contrebande, le trafic de drogue » constituent « un sol fertile pour l’essor de l’extrémisme et du séparatisme[31] ».

Le thème de la souveraineté nationale menacée par l’extrémisme et ses dérivés criminels reste récurrent dans le discours russe. Poutine lui-même tend à fusionner les activités criminelles internationales et celles des séparatistes; ce qui lui permet de présenter une sorte de menace consolidée et presque monolithique et de démoniser la quasi-totalité des mouvements indépendantistes, donc dirigés contre des États existants. Ainsi, il déclare le 17 juin 2001 devant les troupes russes faisant partie des Forces internationales de maintien de la paix au Kosovo :

Notre expérience au Nord Caucase suggère que les gens qui avancent les idées de ce genre [création d’une grande Albanie] sont les moins intéressés à bâtir un État durable, qu’il soit albanais, serbe ou tout autre, car cela les mettrait sous le contrôle de la communauté internationale et empêcherait de mener les activités criminelles liées aux stupéfiants, au trafic d’armes, à la prostitution, etc.[32].

En développant le thème des menaces fondamentales, les décideurs russes cherchent à établir un lien entre les velléités hégémoniques de l’Occident et le séparatisme extrémiste. Le schéma avancé par le leadership russe est le suivant : l’Occident, avec les États-Unis en tête, tente de soumettre à son contrôle tous les États, en particulier ceux dont les dirigeants font preuve de non-conformisme. Cette stratégie amène les pays occidentaux à encourager et même à soutenir les mouvements séparatistes. Certains de ces mouvements bénéficient également de l’appui des organisations terroristes internationales. Cela signifie, selon les leaders russes, que les pays occidentaux sont complaisants vis-à-vis des organisations qui mettent en danger tout le système international composé d’États souverains. Cette contradiction, qu’elle soit réelle ou imaginaire, entre le désir de l’Occident d’assurer la stabilité du système international, d’une part, et sa volonté de le contrôler sans partage, d’autre part, est susceptible d’engendrer d’énormes dysfonctionnements au niveau mondial. Et Ivanov se demande, dans une mise en garde (qu’il pourra considérer ensuite comme quasi prophétique) si les États-Unis ne comprennent pas qu’« en soutenant les extrémistes musulmans au Kosovo aux frais des contribuables américains, ils nourrissent de nouveaux Ben Laden[33] ».

Pour les dirigeants russes, en soutenant les forces séparatistes au Kosovo, l’Occident avait l’intention de faire durcir la position de la Serbie qui a tenté de combattre le séparatisme armé. Autrement dit, c’est l’Occident qui a provoqué certains dérapages de la part des Serbes, pour accuser ensuite leurs dirigeants de génocide contre les Albanais du Kosovo et de catastrophe humanitaire imminente. La conclusion générale des décideurs russes consiste à démontrer que les pays occidentaux ont largement contribué au développement de l’extrémisme politique et à la montée du terrorisme non seulement avant le début des frappes aériennes, mais aussi pendant celles-ci[34].

Lorsque la possibilité d’une opération terrestre de l’otan devient réelle, Ivanov affirme que l’otan a prêté une assistance massive à l’uck, tout en poursuivant son propre intérêt qui est celui de réduire au maximum les pertes humaines des alliés. L’argument d’un enrôlement forcé des recrues par l’uck parmi les réfugiés, enrôlement encouragé par l’otan, est utilisé pour corroborer cette thèse.

Plus d’un an après la fin des frappes de l’otan, le discours russe continue à se concentrer sur le principe de la souveraineté étatique sapé par le séparatisme et la complaisance de l’Occident à son égard, ce qui permet au ministre des Affaires étrangères russe de déclarer :

Malheureusement, tout ce qui se faisait jusqu’à présent, y compris par l’administration de l’onu au Kosovo, consolidait en fait les positions des séparatistes. Or le moment de vérité survient ici aussi : ceux qui justifiaient de telles actions par leur aversion pour l’ancienne direction à Belgrade, doivent enfin se positionner vis-à-vis de la question principale : sont-ils prêts à remplir strictement les dispositions de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’onu qui prévoit le respect rigoureux de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la rfy[35] ?

Même deux ans après les frappes de l’otan au Kosovo, Igor Ivanov ne peut être plus clair dans ses propos :

Prenez un problème de sécurité européenne aussi brûlant que la situation aux Balkans. Malheureusement, nos pires craintes et pronostics se réalisent ici jusqu’à présent. La région du Kosovo s’est transformée en principal foyer terroriste et criminel en Europe. C’est le résultat de la complaisance de fait à l’égard de l’extrémisme et séparatisme albanais[36].

B — Les menaces fondamentales après le 11 septembre

À la suite des événements du 11 septembre, on assiste à un changement partiel du discours russe concernant les menaces fondamentales auxquelles fait face le monde. Tout en prenant l’allure de ceux qui les premiers avaient vu juste quant à l’ampleur des dangers provenant du terrorisme international, les dirigeants russes cherchent à en définir les causes, les sources, et à identifier les conditions favorables à son émergence. Le ministre des Affaires étrangères Ivanov conclut que « le terrorisme international devient une menace stratégique à la sécurité de l’humanité[37] » et, quelques jours après les attentats du 11 septembre, il déclare que « la tâche principale consiste à identifier ensemble les racines de ce mal épouvantable, à déterminer ce qui constitue la base du terrorisme international, d’autres formes d’extrémisme et d’élaborer les mesures de lutte contre celui-ci » et cite, comme causes principales, « l’instabilité socio-économique, les conflits régionaux[38] ».

Notre analyse révèle que trois conditions favorables à ce phénomène dominent le discours russe : les carences du système international, le type dominant de la mondialisation qui engendre les inégalités socio-économiques et la fusion entre le terrorisme et le séparatisme radical.

De l’hégémonisme américain comme menace fondamentale, le discours russe évolue vers une version plus pondérée qui consiste à affirmer que les deux principaux adversaires de la guerre froide cherchent, après la fin d’un demi-siècle de confrontation, à discuter des problèmes et enjeux de la nouvelle époque. On peut estimer qu’il s’agit d’une évolution dans l’analyse d’une des menaces fondamentales, évolution due en partie au fait que les États-Unis sont devenus victimes du terrorisme international sur leur propre territoire. En effet, l’Occident n’est plus tenu par les dirigeants russes comme le seul responsable des failles de l’architecture de sécurité mondiale. Le chef de la diplomatie russe, Igor Ivanov, constate que « les événements du 11 septembre ont démontré la vulnérabilité excessive des États contemporains devant les nouveaux menaces et défis » et que « la communauté internationale ne dispose en fait d’aucun mécanisme fiable pour les contrecarrer[39] ».

Les dirigeants russes voient la cause de cette vulnérabilité de la communauté internationale dans la persistance, délibérée ou non, de l’esprit de la guerre froide, esprit qui consiste en les « approches de blocs, les syndromes de la suspicion caractéristiques pour la période de la confrontation », ce qui empêche la communauté internationale de répondre aux nouveaux défis comme le terrorisme international[40].

Si au moment des événements au Kosovo, les dirigeants russes rejettent toute responsabilité pour le retour à l’esprit de la guerre froide sur l’Occident, ils adoptent, après les attentats du 11 septembre, une attitude plus prudente et affirment que les deux parties, l’Occident et la Russie, ne se sont pas complètement débarrassées de l’héritage de la guerre froide, pour des raisons complexes, de telle sorte que la responsabilité pour la persistance de l’esprit de la guerre froide est répartie de façon un peu plus égale entre les États-Unis et la Russie. Voici comment le président russe voit les origines des déficiences actuelles du système international :

Les États-Unis ont créé ou, au moins, n’ont rien fait pour empêcher la création du mouvement des talibans dans la lutte contre l’Union soviétique. L’urss a aussi fait beaucoup de « bien » aux États-Unis, en appuyant tous leurs adversaires et ennemis. Nous avons oublié que tôt ou tard, cela devient incontrôlable. Comme résultat, nous avons obtenu sur le territoire de l’Afghanistan des bases où sont formés les terroristes internationaux qui étaient régulièrement envoyés vers le territoire de la Fédération de Russie et en Tchétchénie en particulier, alors que les États-Unis ont été confrontés à l’attaque sans précédent des terroristes à Washington et New York le 11 septembre[41].

Il semble qu’une telle « affinité entre victimes » permet d’atténuer le sentiment de traumatisme affiché par le leadership russe au cours de la crise au Kosovo. D’où une interprétation sensiblement différente de celle de l’époque qui a suivi la fin de la guerre froide. Si durant les événements au Kosovo, les dirigeant russes cherchent à démontrer la nature agressive de l’otan et l’hégémonisme triomphant de l’Occident fort de sa victoire dans la guerre froide, après le 11 septembre, Igor Ivanov croit qu’« avec la fin de la guerre froide, les relations internationales sont entrées dans une longue et complexe période transitoire » caractérisée par l’absence de « mécanismes adéquats et efficaces de stabilité[42] ». La citation plus haut montre également que les dirigeants russes apportent une nuance importante à leur thèse sur le soutien de l’Occident aux forces extrémistes et séparatistes, en tenant l’urss pour l’autre responsable de l’absence d’un système international adéquat.

Outre la persistance de l’esprit de la guerre froide, Ivanov évoque une autre raison pour laquelle la communauté internationale (le monde civilisé) reste vulnérable devant le terrorisme international : « Les organisations extrémistes ont des structures plus efficaces que les États démocratiques, car ces derniers sont obligés de respecter le droit international, les lois et les normes de civilisation[43]. »

Le thème de la mondialisation et des inégalités qu’elle engendre apparaît dans le discours russe comme un développement du thème du terrorisme international. Les dirigeants russes cherchent à démontrer que, non seulement les problèmes interethniques, mais aussi la mondialisation et ses inégalités constituent un sol fertile pour le terrorisme international et toute autre forme d’extrémisme politique. Selon Ivanov même si la mondialisation permet en principe, grâce aux progrès technologiques, un développement durable de l’humanité (effet positif potentiel), « pour la majorité des États, les avantages de la mondialisation se sont avérés simplement inaccessibles et l’écart entre les pays les plus et les moins développés continue de se creuser ». Et le ministre russe d’avertir que « si la tendance se maintient et le bien-être augmente uniquement sur un pôle, cela générera inéluctablement sur l’autre pôle des tensions sociales et l’extrémisme politique[44] ».

Il nous semble que le ministre russe souligne ici deux aspects de la mondialisation : le ressentiment généralisé, voire global, des « ratées de la mondialisation » auquel se nourrit le terrorisme international ainsi que la consolidation des liens entre les terroristes au niveau international, consolidation favorisée par la mondialisation. Ainsi les « conflits interethniques et religieux, le terrorisme international et le séparatisme militant, le trafic illégal d’armes et de drogues ont acquis récemment le caractère transnational et continuent de menacer aujourd’hui le bien-être de tout État malgré la riposte unifiée des plus grands pays du monde[45] ».

Le thème du lien postulé entre le terrorisme international et le séparatisme radical reflète largement les préoccupations internes de la Russie et devient encore plus élaboré. Selon le président russe, « le terrorisme, l’intolérance nationale, le séparatisme et l’extrémisme religieux ont partout les mêmes racines et portent partout les mêmes fruits vénéneux[46] ». Igor Ivanov abonde dans le même sens : « Le terrorisme international, le crime organisé, le trafic de drogues sont liés entre eux » et ces structures sont bien organisées, contrairement à la communauté civilisée[47]. Le ministre russe soutient qu’on assiste à l’émergence d’une menace agrégée qu’incarnent les phénomènes énumérés[48].

En ce qui concerne les conflits régionaux qui constituent le terrain de prédilection pour le terrorisme international, les dirigeants russes reprennent leur schéma : ces conflits se perpétuent en absence de règlement politique entre les parties, qui pourrait être facilité par des grandes puissances externes, mais qui à défaut de cela, deviennent un sol fertile pour le séparatisme militant. Pour la plupart, les conflits régionaux sont des conflits interethniques ou interconfessionnels nourris de l’extérieur. Poutine note que dans certains pays asiatiques, « des organisations fondamentalistes opèrent presque ouvertement » alors qu’en Europe, « on enrôlait pratiquement ouvertement des volontaires pour la guerre au Nord Caucase russe ». Selon le président russe, actuellement, ces activités se poursuivent en vue d’une guerre en Afghanistan ainsi que dans d’autres parties du monde[49]. Pour sa part, le chef de la diplomatie russe affirme que depuis longtemps, les dirigeants russes ont déclaré publiquement que des militants sont formés sur le territoire de l’Afghanistan, pour être ensuite acheminés dans différentes zones de conflit, y compris en Tchétchénie. Ben Laden et son entourage soutiennent, en particulier financièrement, ces activités[50].

Toujours dans la même veine, Poutine réitère sa thèse sur l’internationale terroriste, c’est-à-dire sur le réseau qui lie différents centres et organisations[51]. Parmi ces centres, il cite les bases tchétchènes. Pour se montrer moins primaire dans l’amalgame généralement fait entre séparatisme, criminalité et gangstérisme, il cherche parfois, mais rarement, à introduire des nuances, en invoquant par exemple les causes propres à la situation autour de la Tchétchénie[52].

C’est surtout en raison de son effet néfaste sur l’État à l’échelle nationale et internationale que les dirigeants russes évoquent la menace terroriste :

[L]es leaders des groupements extrémistes cherchent de plus en plus activement à semer les dissensions en jouant sur les vieux stéréotypes au sujet des « bons » et « mauvais » terroristes. Ils déstabilisent la situation dans certains pays en attisant l’animosité et le séparatisme religieux et national, cherchent, et trouvent parfois, des maillons faibles dans la chaîne mondiale, à savoir les gouvernements qui, en raison de leur faiblesse intérieure ou des calculs imprévoyants en politique extérieure, sont enclins à faire des avances au terrorisme international[53].

L’étatisme de l’approche russe est confirmé un an après les attentats du 11 septembre par le chef d’État russe : « L’une des causes qui complique la lutte efficace au terrorisme, c’est la conservation dans certaines parties du monde d’enclaves territoriales non soumises au contrôle des gouvernements nationaux qui, en raison de diverses circonstances, ne peuvent ou ne veulent pas s’opposer à la menace terroriste[54]. » En paraphrasant le dirigeant russe, on peut estimer que la force du terrorisme est directement proportionnelle à la faiblesse des structures étatiques[55].

En guise de résumé, notons que pour les dirigeants russes, les causes du terrorisme international résident, non pas dans l’incompatibilité entre civilisations, mais dans le caractère inéquitable des résultats de la mondialisation ainsi que dans les déficiences du système de sécurité internationale. On peut remarquer également que le thème de l’hégémonisme américain ne disparaît pas complètement du discours russe à la suite des événements du 11 septembre, mais réapparaît de façon plus diffuse sous la rubrique de la mondialisation.

II – Sécurité et identité russe

Si la première section de notre analyse du discours de politique extérieure concerne les aspects négatifs de la sécurité (menaces), la présente section étudie comment les décideurs russes définissent l’objet de sécurité (ce qui est menacé, et ce qui doit être préservé vis-à-vis des menaces) ainsi que l’aspect pratique de la sécurité. Il s’agit du contenu positif de la sécurité. Dans les deux cas analysés, ce sont les principes de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale inscrits dans la Charte des Nations Unies et dans d’autres instruments du droit international qui deviennent l’objet central de la sécurité aux yeux des dirigeants russes. Ces principes constituent les garanties suprêmes de la stabilité du système international composé d’États-nations. Dans le cas du Kosovo, les objets à sécuriser sont assez évidents. Il s’agit, d’une part de la souveraineté particulière de la Yougoslavie et, de l’autre, du principe général de la souveraineté. Selon le ministre russe des Affaires étrangères, « même dans les pays de l’otan, des analystes impartiaux reconnaissent déjà ouvertement que l’action militaire n’est pas destinée à assurer l’autogestion aux Albanais du Kosovo, mais à détruire la souveraineté de la Yougoslavie multinationale[56] ». Le président de la Chambre haute du Parlement russe, Yegor Stroev, estime que le droit international s’en trouve bafoué et le premier ministre Yevgueni Primakov croit qu’il s’agit d’une menace à la stabilité et à l’ordre mondial, tel que constitué après la Deuxième Guerre mondiale et la fin de la guerre froide[57]. Ainsi, pour le leadership russe, l’objet à sécuriser, c’est avant tout l’ordre international basé sur les principes de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale.

Voilà pourquoi les leaders russes cherchent à démontrer que l’intervention militaire de l’otan constitue avant tout une violation de la Charte de l’onu où les principes en question sont fixés. Dès le premier jour de l’opération de l’otan, Boris Eltsine déclare qu’il s’agit d’une violation de la Charte de l’onu et de l’Acte fondamental otan/Russie[58]. D’autres traités internationaux sont invoqués par les dirigeants russes afin de montrer qu’ils sont subordonnés à la Charte de l’onu dont le Conseil de sécurité porte la principale responsabilité pour le maintien ou le rétablissement de la paix dans le monde. En effet, les traités suivants se réfèrent explicitement à la Charte de l’onu et sont mentionnés : le Traité de Washington sur l’Organisation de l’Atlantique Nord, l’Acte final d’Helsinki et l’Acte fondamental des relations entre l’otan et la Russie[59]. D’où la conclusion que ce sont les principes fondamentaux du droit international qui constituent l’objet central de la sécurité.

L’objet référent de la sécurité est moins évident dans le cas du 11 septembre. En effet, dès les attentats contre le World Trade Center, Poutine déclare qu’il s’agit d’un « défi effronté à toute l’humanité, au moins à l’humanité civilisée tout entière[60] ». Cette formule a été adoptée par le ministre des Affaires étrangères russe qui la réitère à plusieurs occasions. Du contexte des propos officiels, on peut déduire que l’expression « le monde civilisé » signifie avant tout les principes fondamentaux du système international : la souveraineté étatique et l’intégrité territoriale, ce qui nous permet de conclure à la continuité dans le discours russe, continuité exprimée dans l’approche statocentrique.

Observons maintenant comment la conception de la sécurité s’intègre dans la politique extérieure. Nous verrons que les préoccupations de sécurité et d’identité se cristallisent à travers les notions de statut et de rôle. La distinction entre ces deux notions n’est pas évidente. Le statut fait référence à la position d’un État sur la scène internationale, position reconnue par la communauté d’États. Le statut et surtout, dans le cas qui nous intéresse ici, la perception qu’un État peut avoir de son statut, sont des images plutôt statiques et formalisées[61], alors que le rôle reflète l’aspect plutôt dynamique de son identité externe. Les statuts et les rôles que les dirigeants russes attribuent à leur État sont dominés par le thème de la souveraineté étatique, mais aussi par les considérations de sécurité interne et externe.

A — Le statut international de la Russie

Dans cette partie, nous exposons les aspects du statut international de la Russie qui sont en rapport direct avec les menaces fondamentales perçues par les décideurs russes.

Statut d’État multinational

Les leaders russes cherchent à présenter la Russie sur la scène internationale en tant qu’État multinational ayant une expérience unique des relations interethniques ainsi que celle de médiation en cas de conflits interethniques ou interconfessionnels[62]. Le ministre des Affaires étrangères ne manque pas de souligner l’un des principes du monde civilisé qui a été assimilé par la Russie depuis longtemps, principe selon lequel « nous ne divisons pas les gens selon l’appartenance ethnique ou religieuse[63] ».

En fait, les dirigeants russes soutiennent implicitement que ce principe a été adopté par la Russie même avant certains autres pays qui se réclament du monde civilisé et que ce principe est enraciné dans les traditions politiques russes. Poutine affirme notamment :

La particularité de la situation en Russie, c’est que depuis des siècles, deux cultures, chrétienne et musulmane, coexistent; et depuis longtemps, des mécanismes de collaboration ont été élaborés. En ce sens, la Russie possède une expérience unique, non seulement de la lutte contre le terrorisme ces derniers temps, mais aussi une expérience unique humanitaire de cohabitation de deux grandes cultures et religions. (…) Une base importante pour une telle symbiose positive, c’est la reconnaissance inconditionnelle par un peuple des droits légitimes d’un autre peuple[64].

L’expérience d’État multinational et pluriconfessionnel amène les dirigeants russes à présenter leur pays en tant que médiateur expérimenté sur la scène internationale. La spécificité interne est récupérée ainsi sur le plan extérieur. Le chef de la diplomatie russe indique par exemple : « Nous savons très bien ce que sont (…) les problèmes interethniques et que ces questions demandent un travail uniquement politique et fort minutieux. C’est la seule voie pour créer la base du règlement[65]. » Si l’on se rappelle de la position russe sur le caractère minoritaire des extrémistes relativement à la population totale, il n’est pas étonnant que le ministre russe déclare que la Russie aide toutes les victimes, tous les citoyens de la Yougoslavie sans distinction de nationalité ou de religion[66].

Les décideurs russes estiment que la conclusion logique de leur thèse sur la nécessité de faire respecter la souveraineté nationale de chaque État impliqué dans un conflit interne ou transfrontalier, est de privilégier la voie des négociations politiques. Igor Ivanov affirme qu’aucun pays « ne possède la formule magique » pour la résolution d’une crise et que la tâche des puissances externes est toujours collective et consiste à aider les parties au conflit dans toute crise, à rapprocher les positions, à chercher les accords qui seraient convenables mutuellement. Cette approche est préconisée, selon lui, dans toutes les zones de conflit[67].

Or, lorsqu’un journaliste tente un rapprochement entre les Serbes et les Russes, d’une part, et les Albanais du Kosovo et les Tchétchènes, il répond ainsi :

En ce qui concerne les parallèles, ce n’est pas une tâche gratifiante. Nous avons toujours dit qu’un problème dont la base est dans les contradictions interethniques, requiert un dialogue politique complexe et constant. Il n’y pas de formules toutes prêtes. Dans chaque cas, il y a une situation unique, une histoire unique[68].

Ainsi, la réponse d’Ivanov reste quelque peu évasive. En effet, à ce moment précis, les dirigeants russes tentent d’éviter tout rapprochement avec la situation en Tchétchénie, même s’ils cherchent à démontrer l’affinité qui existe entre le séparatisme armé aidé de l’extérieur au Kosovo et celui de cette région. En fait, on peut résumer ainsi l’essentiel qui se dégage de la position russe: la résolution pacifique de conflits interethniques et interconfessionnels, mais pas de négociations avec les séparatistes qui ont choisi la voie de la violence et de la terreur[69]. Les activités des séparatistes dont le poids reste marginal dans l’ensemble de la population n’obtiennent une ampleur dangereuse qu’à la condition de l’implication des forces externes...

Le statut d’État multinational donne à la Russie un argument supplémentaire pour se poser en tant que médiateur impartial au niveau international (Kosovo) et leader de la coalition antiterroriste. Poutine indique à cet effet : « [J]e tiens à souligner ceci : je trouve inadmissible de parler d’une « guerre de civilisations ». Ce serait une erreur de mettre le signe d’égalité entre les musulmans dans leur ensemble et les fanatiques religieux[70]. »

Statut d’État ayant une expérience de lutte contre le terrorisme international

Nous avons cité les paroles de Poutine qui évoquent l’expérience unique de la Russie dans la lutte au terrorisme. Les dirigeants russes mettent l’accent sur le fait que leur pays est confronté à ce phénomène depuis longtemps, qu’il a vécu le traumatisme qui en résulte et qu’il a commencé cette lutte en solitaire[71]. Selon Igor Ivanov, « c’est notre pays et d’autres États de la cei (Communauté des États indépendants) qui ont été, après la fin de la guerre froide, les premières victimes du coup direct de la part du terrorisme international[72] », ce qui a permis à la Russie de se rendre compte qu’« aujourd’hui, le terrorisme international est une menace réelle à laquelle fait face l’humanité. Nous en avons parlé il y a deux ans, lorsque la Russie a fait l’objet de l’agression du terrorisme international[73] ».

B — Rôles internationaux de la Russie

Les différents aspects du statut international de la Russie servent de base pour construire ses rôles. Si les statuts représentent, en règle générale, les acquis d’un État sur la scène internationale, les rôles permettent de saisir les grandes lignes de sa stratégie extérieure. Nous n’exposons ici que les rôles les plus pertinents à notre sujet.

Rôle de défenseur du principe de la souveraineté étatique

Nous avons vu que les dirigeants russes ont identifié la menace immédiate engendrée par l’opération de l’otan au Kosovo comme celle qui « met en danger tout l’ordre juridique international de l’époque contemporaine[74] ». Et comme le droit international est l’expression juridique de l’ordre mondial établi, le principe fondamental de ce droit, celui de la souveraineté nationale, devient le principal objet référent de la sécurité. Il est donc logique que pour les décideurs russes, le rôle central de la Russie consiste à se poser comme défendeur du droit international, ce qui permet à Ivanov de déclarer qu’en « défendant le droit de la Yougoslavie à la souveraineté, nous défendons l’avenir du monde et de l’Europe de la plus récente forme du néocolonialisme : le natocolonialisme[75] ».

Il est intéressant de constater que les décideurs russes cherchent à distinguer entre l’Alliance atlantique et les États qui la composent en déclarant que « le leadership de la Fédération de Russie révisera ses relations avec l’otan en tant qu’organisation ayant fait preuve de non-respect des bases fondamentales du système international[76] », alors que lui et son ministre des Affaires étrangères soulignent à plusieurs reprises que leur pays est prêt à coopérer avec les membres du Groupe de contact au Kosovo. Les contacts avec l’otan sont suspendus, mais ceux avec les puissances occidentales se poursuivent, en raison de la valeur accordée à ces contacts.

Le ministre russe des Affaires étrangères explique la nécessité de respecter la souveraineté étatique dans les conflits régionaux en invoquant les tentatives de régler le conflit au Proche-Orient. Selon lui, les puissances occidentales y ont adopté une approche basée sur les négociations et la persuasion, et non pas sur le diktat et la force militaire. La même approche de médiation prudente et patiente est adoptée par la Russie dans les zones de conflit sur l’espace post-soviétique où des forces de maintien de la paix russe sont présentes (par exemple au Tadjikistan et en Abkhazie). Ivanov appelle l’Occident à adopter la même attitude envers la Yougoslavie[77]. Le respect de la souveraineté passe ainsi par la négociation.

Répétons que pour les dirigeants russes, défendre la souveraineté de la Yougoslavie dans la crise au Kosovo équivaut à la défense de l’ordre international d’après-guerre[78]. Même à la toute fin de l’opération militaire de l’otan, Eltsine reste préoccupé par le respect, au moins formel, de la souveraineté yougoslave, lorsqu’il déclare que la participation russe à la force de rétablissement de la paix au Kosovo est conditionnelle au consentement des dirigeants yougoslaves[79]. Selon le président russe de l’époque, un tel souci vise à prévenir d’autres conflits possibles aux Balkans. Et voici finalement la solution générale préconisée par la Russie : « L’avenir du Kosovo, comme celui de tout autre région ou territoire au sein d’un État souverain, doit être décidé à l’intérieur de cet État par les peuples qui habitent ce pays[80]. » Il s’agit en fait d’une tentative de réconcilier le principe d’autodétermination des peuples avec celui de la souveraineté.

Un autre argument qui milite en faveur de notre thèse sur l’étatisme du discours des décideurs russes, c’est leur attitude envers ce qu’ils appellent les tentatives de « diluer » le principe de la souveraineté étatique. En effet, ils s’opposent avec virulence aux tentatives d’introduire dans le droit international des principes qui mineraient, à leurs avis, les fondements du système international d’États-nations. Le chef de la diplomatie russe croit que le droit international fondé avant tout sur la souveraineté nationale ne doit pas comprendre le principe d’intervention humanitaire et prétend que  quelles « que soient les tentatives de justifier les actions de l’otan en faisant référence à de « nouvelles » conceptions du droit international et à des limitations présumées de la souveraineté étatique, tout le monde doit voir clairement qu’il s’agit d’une agression directe[81] ». La Déclaration de la Douma sur le premier anniversaire de l’agression de l’otan contre la rfy va dans le même sens : « Le précédent de l’usage de force pour ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain sous prétexte du soi-disant maintien de la paix a été créé, en violation de la Charte de l’onu et sans mandat du Conseil de sécurité de l’onu. »

En résumé, même s’il est vrai que les dirigeants russes mentionnent le droit humanitaire international, ce droit est subordonné à celui de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale[82]. En revanche, le droit international devrait évoluer vers l’élargissement de la base juridique de la lutte contre le terrorisme international et le séparatisme armé.

À partir des événements du 11 septembre 2001, être défenseur du principe de la souveraineté étatique équivaut à préserver le monde civilisé de la menace terroriste, ce qui requiert un effort concerté de la part de la communauté internationale, en utilisant les canaux bilatéraux et multilatéraux et en créant une base juridique[83]. Poutine déclare notamment : « L’attitude de la Russie assure non seulement sa propre sécurité ; celle-ci est fondée sur la nécessité de l’attention particulière prêtée à la structure internationale, à l’architecture internationale de la sécurité qui s’est constituée actuellement[84]. »

Le thème de la base juridique du système international est essentiel dans le discours russe. Dans le système global de riposte aux nouveaux dangers et défis proposé par les dirigeants russes, « il faut que tous les États aient les mêmes critères pour définir qui doit être considéré comme terroriste et ce qu’est une organisation terroriste[85] ». Ainsi, le renforcement du droit international passe par la consolidation des systèmes légaux nationaux. Une telle confirmation indirecte du principe de la souveraineté étatique est réitérée par le président russe :

Plusieurs systèmes juridiques nationaux manquent d’une notion claire et nette du terrorisme comme tel. (…) [S]i nous ne le faisons pas [omettre de créer les instruments juridiques], et ce rapidement, cela va créer un vide juridique dont les terroristes bénéficieront pour induire l’opinion publique mondiale en erreur en utilisant comme prétexte soit la thèse sur les droits de la personne, soit la population civile[86].

À la même occasion, Poutine souligne qu’« il faut avoir des faits très convaincants qui confirmeraient que tel ou tel État soutient le terrorisme ou le couvre d’une façon quelconque », car « si des actions unilatérales étaient entreprises vis-à-vis d’un État, elles mineraient la coalition antiterroriste créée ». Cet avertissement à peine déguisé prendra encore plus de corps lorsque le spectre d’une guerre en Irak envenimera les relations entre les membres de la coalition internationale. Afin de corroborer leur approche statocentrique, les décideurs russes soulignent « qu’on ne doit pas identifier le terrorisme à un pays ou un peuple concret ». On aura noté qu’ils omettent pourtant de distinguer entre État et peuple (nation), tout en passant sous silence le manque de légitimité populaire (intérieure) de certains États[87]

L’insistance des décideurs russes sur l’inviolabilité du principe étatique dans les affaires internationales les amène à déclarer que dans le cas des actions des États-Unis contre le régime des talibans en Afghanistan, il s’agit d’une exception faite au droit international dont la généralisation serait dommageable pour le principe de la souveraineté nationale. Poutine soutient en particulier que même s’il parle de « l’arc d’instabilité », à l’instar du président Bush, qui évoque « l’axe du mal », ce qui revient à constater le caractère international du terrorisme, il s’oppose à l’idée de dresser toute liste noire des pays suspects. Selon le chef d’État russe, il faut plutôt s’attaquer à des problèmes concrets, comme par exemple celui de non-prolifération de l’arme nucléaire et d’autres moyens de destruction massive[88]. Sur la question d’une opération possible contre l’Irak, Poutine répond que dans le cas de l’Afghanistan, la communauté internationale est arrivée au consensus sur le droit des États-Unis à la légitime défense face à une agression matérialisée, qui permet de déroger à la règle stipulant l’obtention obligatoire du consentement de l’onu pour usage de force. Il ajoute : « Dans le cas d’autres États que vous avez mentionnés ici [Iran, Irak, Corée du Nord], il n’y a rien de pareil. C’est pourquoi il n’y a pas lieu d’enfreindre la procédure reconnue dans le droit international. »

Selon les leaders russes, au lieu de dresser des listes d’États voyous, il faudrait agir au cas par cas, problème par problème, et se concentrer ainsi sur les zones soustraites au contrôle étatique. Dans le discours russe d’après le 11 septembre, l’exemple des Balkans et de la Tchétchénie est utilisé dans ce sens ; ce qui permet de justifier la nécessité de préserver, voire renforcer le principe de la souveraineté étatique. Poutine explique : « [C]e qu’il faut éviter à tout prix, c’est la création de formations quasi étatiques où les gens agiraient sans aucun contrôle ; nous ne devons tolérer un vide politique ou coercitif dans aucune région du monde, avant tout en Europe, une telle « enclave voyou » est vite remplie par des extrémistes issus d’organisations fondamentalistes. »

En ce qui concerne les Balkans, Poutine rejette la responsabilité pour l’aggravation de la situation sur l’Occident qui a réduit la souveraineté nationale de la Yougoslavie : « Ayant privé la Yougoslavie de la possibilité de mener une politique intérieure à l’échelle nationale, ayant fait évincer la Yougoslavie du Kosovo, la communauté occidentale et l’ue ont assumé la responsabilité pour la situation dans cette région. » En fait, il soutient que les institutions occidentales à prédominance occidentale (l’onu, l’otan, l’osce et l’ue) n’y parviennent pas à partager les responsabilités entre elles, « c’est pour cela, en raison de l’absence des structures qui seraient tenues responsables pour la situation au Kosovo, que nous observons le libre passage des militants du Kosovo en Macédoine et la déstabilisation du pays voisin[89] ».

Puisque la participation des États extérieurs est devenue inévitable aux Balkans, les leaders russes sont décidés à mettre cette situation au profit de leur pays en cherchant à jouer un rôle qui serait plus ou moins égal à celui des États-Unis. Le ministre russe des Affaires étrangères déclare en particulier : « Si nous parvenons ensemble à établir là-bas une paix durable, la liberté d’action des extrémistes, des séparatistes va se rétrécir[90] », l’objectif étant de restaurer l’ordre étatique, la souveraineté yougoslave au Kosovo.

Selon Poutine, la sécurité et la stabilité de l’ordre international passent avant tout par le renforcement de la souveraineté étatique :

Il nous faut fixer le principe fondamental : premièrement, l’inviolabilité absolue des frontières et deuxièmement, la responsabilité des États pour la situation sur leurs territoires [respectifs]. Nous devons assurer aux gouvernements légitimes la possibilité d’opérer sur leurs territoires [respectifs] et les tenir responsables pour le respect des droits de la personne, des conventions internationales, d’autres normes légales internationales ainsi que des règles morales propres à la société civilisée, mais exiger d’eux le respect des obligations auxquelles ils s’engagent eux-mêmes[91].

Cependant, comme « la coalition antiterroriste ne mène la lutte avec aucun État ou aucun peuple, il n’existe d’autres ennemis pour elle que les terroristes eux-mêmes[92] », il convient de défendre le principe de la souveraineté étatique vis-à-vis tant des terroristes que de ceux qui seraient tentés de l’abolir pour la lutte antiterroriste.

Rôle de promoteur du nouvel ordre mondial et de la mondialisation contrôlée

Durant les événements au Kosovo et jusqu’aux attentats du 11 septembre, le discours officiel russe est dominé par deux idées clés : la multipolarité et le principe de la souveraineté nationale[93]. Pour éviter l’instabilité, voire le retour à la confrontation globale qui pourrait résulter de la formation de plusieurs pôles de force sur la scène internationale, il est impératif de s’en tenir au respect du droit international et de son principe de base, la souveraineté nationale qui, selon Ivanov, n’a pas été respectée lors des événements au Kosovo[94].

Comme les dirigeants russes voient, à la suite du 11 septembre, une source d’insécurité dans le caractère incontrôlable et inéquitable de la mondialisation, ils cherchent à promouvoir une « mondialisation contrôlée » comme une tâche encore plus grandiose que la formation de la coalition internationale antiterroriste. L’idée de la multipolarité devient alors moins présente. Igor Ivanov fait un lien explicite entre la mondialisation et la sécurité internationale à travers le droit international en disant : « La Fédération de Russie est pour la prise de mesures collectives qui procureraient aux processus de mondialisation le caractère contrôlable et donc sécuritaire. (…) À l’époque de la mondialisation, le renforcement et non pas la dilution de l’ordre juridique international doit être la tendance principale[95]. » Pour les dirigeants russes, le contrôle sur la mondialisation doit être le fait des efforts concertés des États souverains. La mondialisation offre ainsi une nouvelle possibilité de renforcer le principe étatique au niveau international, ce qui n’a rien d’étonnant, l’État étant considéré comme l’instance politique dont la légitimité et la compétence sont supérieures à celles de n’importe quelle autre entité.

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous pouvons tirer trois principales conclusions qui correspondent aux trois objectifs posés dans l’introduction de cet article. La première conclusion consiste à confirmer, de façon on ne peut plus nette, la présence du souci identitaire dans le discours de politique extérieure russe et son lien avec le thème de sécurité. En effet, la conception de la sécurité, partie traditionnelle de ce discours, comporte nécessairement la définition des menaces, de leurs sources ainsi que des objets référents de la sécurité. Notre analyse montre que l’insécurité peut être définie comme un objet d’identification négative et la sécurité comme celui d’une identification positive. En analysant les sources de l’insécurité dans la partie consacrée aux menaces fondamentales nous avons essayé de démontrer qu’il s’agit de phénomènes d’identification négative. Ensuite, nous avons suggéré que l’objet de sécurité et l’objet d’identification positive coïncident dans le principe de la souveraineté étatique. Par exemple, le leadership russe considère les actions militaires de l’otan au Kosovo comme une menace plus ou moins directe au système international basé sur le principe de la souveraineté nationale (intervention non sanctionnée par l’onu) ainsi qu’à tout État en proie à des conflits interethniques, comme la Russie l’est elle-même. Ce principe devient alors à la fois un objet de sécurité et un objet d’identification, où toute atteinte à la souveraineté d’un État (la Yougoslavie en l’occurrence) peut être vue, par l’effet miroir, comme une menace pour tout autre État (par exemple, la Russie).

Ceci nous amène à notre deuxième conclusion, qui concerne l’existence de l’idée clé du discours russe, son étatisme. C’est une approche qui place l’État et sa souveraineté au centre de toute considération politique. En effet, les menaces et la sécurité de la Russie sont définies à travers le prisme de la souveraineté étatique. Qui plus est, même si la rhétorique des autorités russes concède une part importante à la défense des institutions internationales telles que l’onu et l’osce, l’essentiel de leur stratégie repose sur la promotion du rôle accru des grandes puissances, rôle qu’ils revendiquent avec vigueur et constance pour la Russie. Dans le cas du Kosovo, la Russie réclame le rôle de médiateur, en plus de défendre le principe de la souveraineté nationale. Après le 11 septembre, c’est à l’État que revient le rôle crucial dans la lutte antiterroriste et les efforts concertés pour contrôler la mondialisation. Le trait distinctif de l’identité étatique russe est donc l’insistance sur la nécessité de préserver le principe de la souveraineté, c’est-à-dire la marge de manoeuvre de l’État.

La troisième conclusion réside dans l’affirmation selon laquelle on peut apercevoir certains éléments de changement dans le discours russe. Par exemple, la mondialisation et les inégalités qu’elle génère devient un argument fort des dirigeants russes pour expliquer les événements du 11 septembre ainsi que pour dénoncer, indirectement, l’hégémonisme américain mais aussi le terrorisme international. Cet argument est même utilisé de façon rétroactive, afin de renforcer l’attitude russe dans le conflit au Kosovo. Les deux événements analysés permettent aux dirigeants russes de construire en conséquence une identité internationale active de leur pays (par exemple, le rôle de promoteur d’un nouvel ordre mondial, d’un nouveau modèle de la mondialisation, etc.). Le lien entre l’identité interne (l’État multinational et ayant l’expérience de lutte contre le terrorisme) et externe (statuts et rôles sur la scène internationale) devient alors crucial.

Enfin, nous pouvons estimer que les événements en question ont joué un rôle d’accélérateur à cause de l’effet traumatique que les leaders russes ont transformé en recherche de proximité. Autrement dit, ils ont réussi, entre autres, à rapprocher les menaces perçues avec les préoccupations internes de l’État russe. La Tchétchénie en est l’exemple par excellence pour les événements au Kosovo, alors que les attentats du 11 septembre permettent de souligner le lien des séparatistes du Kosovo et de la Tchétchénie avec les réseaux du terrorisme international.