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Dans l’opinion commune, bonne foi et relations internationales, telles que ces dernières s’expriment par l’activité diplomatique sinon par la confrontation militaire, renvoient à des univers plutôt antinomiques. Elles sont cependant, comme le souligne l’auteur d’entrée de jeu, interdépendantes, à la jonction de la politique et du droit, du fait et de la règle, dans une sorte de no man’s land qu’on pourrait qualifier de technique.

On ne saurait donc se contenter de constater avec Machiavel qu’ « un Prince ne peut ni ne doit tenir sa parole que lorsqu’il le peut sans se faire tort » ou, comme l’écrivait un ambassadeur de sa Gracieuse Majesté, que les diplomates sont « d’honnêtes gens envoyés mentir à l’étranger pour le bien de leur pays » (p. 26). Ne serait-ce qu’en France, de Louis xi à Charles de Gaulle, la dissimulation des intentions et des préparatifs furent légitimés par l’excellence présumée des résultats. Dans la récente crise d’Irak, MM. Bush et Blair semblent avoir surpassé en mauvaise foi, ce qui ne serait pas peu dire, un président irakien dépourvu de moyens.

Et pourtant la Charte de l’onu, après le pacte de la sdn, est passée par là qui a intégré la « bonne foi » dans notre droit positif international en stipulant que les « Membres de l’Organisation (…) doivent remplir de bonne foi [leurs] obligations…» (art. 2-2). Jusqu’à preuve du contraire les États membres sont donc supposés n’y pas faillir car, précise R. Yakemtchouk, « la mauvaise foi ne se présume pas » (p. 67). Certes la pratique ne s’embarrasse pas de tels principes et, dans la relation du fort au faible, c’est aux États dénoncés comme « voyous » de faire la preuve impossible de leur bonne foi dans l’exécution de leurs obligations.

Non moins insaisissable mais plus décisif encore figure le rôle de la « bonne foi » dans la conduite des négociations : celle-ci se prouve a posteriori, elle est néanmoins nécessaire à l’inspiration d’une confiance mutuelle sans laquelle la négociation elle-même n’est tout simplement pas possible. C’est ici qu’on aurait aimé que l’auteur insistât davantage non seulement sur le dilemme des intentions des parties mais, non moins, sur la problématique de la perception des intentions et de leurs éventuelles mises en scène.

À cet égard, le Moyen-Orient aurait offert un champ d’analyse exemplaire où la diabolisation méthodique de l’adversaire, de ses arrière-pensées et de ses méthodes vide de sens tout partenariat tant sur le terrain qu’à la table des négociations. Alibi imparable, elle relève plus de la ruse de guerre que du jeu diplomatique dans des conflits pour le moment limités et c’est à juste titre que l’auteur observe que lorsque l’enjeu en vaut la peine en termes de sauvetage planétaire d’urgence, un minimum de bonne foi réapparaît qui permit aux interminables négociations américano-soviétiques de désarmement initiées dans les années soixante de suivre leur cours. Il n’entrait certes dans ce type de confrontation-coopération aucune naïveté. Plus qu’une vertu, moins qu’une norme juridico-politique, leur bonne foi réciproque relevait alors du savoir-vivre de l’homme civilisé. Celui-ci pourrait encore être utile dans la conduite des affaires du monde.

Prudence académique oblige. L’auteur se garde de toute conclusion et préfère s’en tenir pour l’essentiel à l’histoire méthodique de l’élaboration de la norme et de son application juridictionnelle.