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Le maintien de la paix et diplomatie coercitive est tiré de la thèse de doctorat de Liégeois. L’ouvrage utilise une méthodologie de comparaison ciblée, « Focused Comparison », d’Alexander George et de Richard Smoke. Ce livre se démarque de la littérature de ce champ d’analyse par son approche globale et théorique. Le questionnement général évolue autour des difficultés rencontrées par plusieurs missions de paix de l’onu en Afrique et en Bosnie-Herzégovine dans les milieux des années 1990. L’ouvrage se divise en deux parties. La première permet à l’auteur de définir son modèle théorique qui englobe des éléments de différentes écoles de pensée. La deuxième partie présente une étude de cas portant sur la Bosnie-Herzégovine.

Dans son premier chapitre, l’auteur définit le concept central de son argumentation, la culture stratégique. Pour lui, il s’agit d’un concept évolutif, constitué de l’ensemble des croyances et des attitudes professées aux différents niveaux décisionnels d’un acteur stratégique à propos de l’utilisation optimale de l’outil militaire pour atteindre des objectifs politiques. Dans le cas des missions de maintien de la paix traditionnelles, une telle culture aurait été développée dans l’improvisation. Cette nouvelle stratégie a forgé ses principes par la pratique et ne fut conceptualisée que beaucoup plus tard.

À travers plusieurs exemples, Liégeois démontre le succès des opérations de maintien de la paix de première génération par l’atteinte des objectifs visés. Pour évaluer cette question litigieuse, il utilise quatre indicateurs qui sont : l’accomplissement du mandat, la contribution à la résolution du conflit, la prévention de l’escalade horizontale et la limitation des pertes. Selon lui, la plus grande contribution des missions de première génération est donc la création d’un environnement propice au règlement politique du conflit. Cet apaisement est le résultat des fonctions de surveillance et de dissuasion des forces d’interposition.

Pour l’auteur, le succès des missions de maintien de la paix traditionnelles n’est donc pas dû aux opérations elles-mêmes, mais au soutien politique des superpuissances ou à la bonne volonté des parties en présence. Basé sur ces succès, il détermine en détail, dans le deuxième chapitre, les principes directeurs des opérations de maintien de la paix traditionnelles qui sont : un cessez-le-feu préalable, le consentement des parties, la neutralité de la Force, l’usage des armes limité à la légitime défense et la responsabilité exécutive du Secrétaire général. Ce chapitre comprend également une partie explicative détaillée de la gestion des missions de maintien de la paix.

Les chapitres subséquents démontrent que la culture stratégique des Nations Unies a fait face à une crise durant l’euphorie initiale du nouvel ordre mondial. Malgré la codification de la culture stratégique par l’Agenda pour la paix, l’impact réel des missions est mal interprété et souffre d’un excès de crédibilité. Le nombre de missions se multiplie donc, mais l’appui politique nécessaire à leur succès est déficient.

Dans la deuxième partie de son ouvrage, l’auteur s’intéresse aux comportements des acteurs à l’aide d’une étude de cas sur la désintégration de la Yougoslavie. Selon les observations de Liégeois, lors d’une crise, les décideurs rationnels au niveau politique feraient face à deux possibilités : la coopération ou la stratégie de puissance. Pour son analyse, l’auteur élabore un modèle de prise de décision stratégique. Les éléments importants de ce modèle sont : l’interaction entre les acteurs impliqués, l’existence d’un continuum allant de la coopération au conflit et les effets de la culture stratégique à trois niveaux : la doctrine, les prédispositions cognitives et la rétroaction opérationnelle.

La méthodologie de comparaison ciblée se veut un compromis entre l’analyse statistique à petit nombre et l’étude de cas approfondie. Pour les besoins de sa recherche, Liégeois pose six questions par rapport à des situations spécifiques. Ces questions sont : quel était l’état de la relation de crise au moment où la décision a été prise ? Quelles étaient les perceptions des acteurs en présence ? Quelle a été la stratégie choisie ? Comment la relation de dissuasion s’est-elle établie ? Quelle fut l’issue de la relation de crise ? Quel fut l’impact de l’épisode en termes de feed-back opérationnel sur la culture stratégique du décideur ? Les cinq épisodes de la crise du conflit yougoslave sélectionnés par l’auteur ont pour acteurs principaux l’onu, l’otan et la Serbie. Ces crises sont : le soutien maritime à l’embargo, l’interdiction aérienne, le soutien aérien rapproché des zones de sécurité, l’ultimatum, les zones d’exclusion par les frappes aériennes et l’escalade militaire préalable au maintien de la paix.

Les différentes analyses de l’auteur portent à croire que les décideurs occidentaux ont commis plusieurs erreurs de jugement lors des cinq situations de crise. Ainsi, malgré l’obtention de certains résultats positifs au niveau opérationnel, le constat d’échec au niveau stratégique est souvent souligné. En ne tirant pas les leçons importantes de chacune de ces situations de crise, la condition générale a alors empiré pour le camp de l’onu et de l’otan. D’un autre côté, les acteurs qui ont pu tirer des leçons et les appliquer dans leur processus de prise de décision ou leur culture stratégique, ont obtenu plus de succès. Pour l’auteur, l’exemple ultime de diplomatie coercitive est illustré par la négociation américaine avec les responsables politiques et militaires serbes alors que, au même instant, les avions de l’otan poursuivaient leurs bombardements.

L’auteur conclut que les problèmes de l’onu durant la période de l’après-guerre froide découlent de sa difficulté à résoudre deux dilemmes, celui de la puissance par rapport à la responsabilité et l’ordre en relation avec la justice. Dans un premier temps, les déboires de l’onu en Afrique et en Bosnie-Herzégovine illustrent la crise de la culture stratégique de l’onu. Les coûts financiers et humains dépassent les limites acceptables par les États impliqués, alors que les attentes de résultats par les opérations de maintien de la paix étaient très élevées. Deuxièmement, dans ce contexte, limiter les opérations de paix aux seules situations qui remplissent les conditions nécessaires à la mise en oeuvre du maintien de la paix aurait été un constat d’impuissance de la stratégie coopérative. Certains décideurs se sentirent donc obligés de « faire quelque chose ». La solution mise en place, fut plus souvent qu’autrement, une mission de maintien de la paix avec des tâches élargies. Cette situation fut souvent conflictuelle avec la culture stratégique onusienne en pratique à l’époque.

La deuxième conclusion importante est la dichotomie entre les stratégies coopératives et de puissance. Pour Liégeois, le maintien de la paix traditionnel relève de la stratégie coopérative. Son efficacité résulte donc de facteurs politiques plus que de facteurs militaires. Dans le cas d’une situation de déficit de consentement ou de coopération de la part des belligérants, un accroissement de l’armement de la Force ou l’ajout d’une composante dissuasive serait contre-productif. La diplomatie coercitive étant une stratégie de puissance, elle ne peut être utilisée conjointement avec le maintien de la paix conventionnel. De plus, étant donné l’importance des perceptions et de la crédibilité pour l’efficacité de la coercition, celle-ci conduirait finalement à la confrontation militaire.

Finalement, l’auteur conclut qu’il y a récemment eu un partage des tâches au niveau politique. L’établissement de la paix (peacemaking) relèverait désormais du concert de certains États et échapperait à l’onu. Cette dernière se voit alors assignée à des tâches de construction de la paix (peace-building).

En résumé, le modèle proposé par Liégeois est original et permet une bonne analyse du comportement des acteurs en temps de crise. La démarche est logique, claire et intéressante. Cependant, la vérification basée sur une étude de cas unique n’est pas suffisamment convaincante, d’autant plus que sa sélection des acteurs, ainsi que le rôle qu’ils ont joué est très réducteur. Cette étude intéressera aussi bien les universitaires que le grand public qui désirent en savoir plus sur la logique et la théorie des opérations de maintien de la paix. Ces questions sont toujours actuelles et son analyse comporte de nombreuses ramifications sur d’autres champs d’étude. Il est donc à prévoir que le modèle de Liégeois suscitera de l’intérêt, si ce n’est d’autres débats.