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Cet ouvrage qui reprend l’essentiel des dixièmes rencontres internationales d’Aix-en-Provence sur la contribution des Nations Unies à la démocratisation de l’État, s’interroge sur un sujet d’une première importance au début du xxie siècle. Il s’agit de se questionner sur le rôle des Nations Unies et plus généralement sur celui des organisations internationales et régionales à la démocratisation de l’État. L’ouvrage est organisé en trois parties : les stratégies de diffusion et de promotion des valeurs démocratiques ; la démocratisation défaillante, les stratégies réactives multifonctionnelles des Nations Unies ; et démocratisation et souveraineté : l’impossible conciliation.

Le sujet relève d’une pertinente actualité, surtout en prenant en compte l’évolution récente du système international qui doit maîtriser quelques sujets d’ordre global avec la participation de l’ensemble des États. Et c’est justement dans la construction de ce nouvel ordre international post-bipolarité qui se veut plus ponctué dans le respect des droits de l’homme, que les Nations Unies ont fait une démarche conceptuelle et opératrice sur les liens entre le respect des droits de l’homme et l’instauration, le retour ou la consolidation de la démocratie.

Pour arriver à ce stade, le livre signale à plusieurs reprises l’importance de l’ouvrage de l’ancien secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros-Ghali, sur la nécessité de lier les droits de l’homme qui sont universels avec la démocratie et la paix. Cette liaison a pu être faite – comme le souligne le rapport introductif de Linos-Alexandre Sicilianos, à partir du moment où les Nations Unies ont pu se départir de la neutralité vis-à-vis des régimes politiques.

Une partie de l’ouvrage se consacre à s’interroger sur la mutation conceptuelle de l’impératif démocratique dans les rapports entre les Nations Unies et d’autres organismes internationaux et régionaux et les États. Dans ce sens on peut trouver des chapitres qui analysent ces rapports soit du point de vue de l’action des Nations Unies (Pierre Luisoni), soit en s’interrogeant sur l’objectif et la réalité de la conditionnalité politique (Christian Joly), sur les rapports de la démocratisation et la souveraineté (Jean Salmon) et la contribution et les limites des contributions internationales et régionales à la démocratisation (Samir El Daher, Tatiana Petrova).

Quelques parties de l’ouvrage introduisent la notion du développement économique et ses rapports avec l’introduction et/ou la consolidation des valeurs démocratiques et la contribution des Nations Unies. Ces articles, de même que les articles qui analysent la promotion de la gouvernance soit par les Nations Unies, soit par la Banque Mondiale (Hassan Fodha, Mohammed Bekhechi) posent le problème (réel) de la construction d’un nouveau système international avec la participation d’autres sujets en plus de l’État (organisations de la société civile, ong, syndicats) et la prise en compte d’autres secteurs de l’État et de la communauté (justice, société civile, mais aussi l’environnement comme une partie de la souveraineté).

Ces changements justifient-il qu’on puisse dire que les principes sur lesquels s’est construit l’édifice de l’organisation internationale ont été érodés ? L’ouvrage donne une réponse fonctionnelle en tenant compte de l’évolution post chute du mur de Berlin et de la bipolarité. Cette interrogation qui est fondamentale pour analyser la possible évolution des Nations Unies – même en prenant en compte l’affermissement du concept de sécurité post-attentats du 11 septembre – est analysée d’une manière superbe dans l’article de Jean Salmon « Démocratisation et souveraineté : l’impossible conciliation ». On peut lire dans cet article qu’« il faut être attentif à ce que la lutte pour la démocratisation ne se transforme pas en un moyen de réduire au silence ceux qui ne participent pas à la pensée unique ».

La deuxième partie de l’ouvrage consacrée à l’analyse des cas où on peut visualiser les résultats des stratégies réactives des Nations Unies reste nuancée dans l’évaluation de l’ensemble. Ces analyses sur les interventions des Nations Unies et sur les résultats en Bosnie, au Kosovo et en Afrique montrent en effet les difficultés d’introduire les valeurs démocratiques quand on se trouve face à des États défaillants ou bien sans capacité réelle de gestion. Les différents événements liés au terrorisme ont posé de nouveau le problème à l’agenda international, mais il était là pour gérer un espace territorial et administrer une communauté tout en cherchant à développer.

Les problèmes de gestion de l’État dans beaucoup de pays en développement posent une autre question sur le contenu de la démocratie et sur les principes et les valeurs. L’effectivité du gouvernement avait été le concept clé pour la reconnaissance d’un État dans le système bipolaire post-Seconde Guerre mondiale. Au présent nous voyons que la réalisation des élections avec certaines garanties reste le principal aspect pour signaler l’existence d’une démocratie, quand en effet, comme l’ouvrage le présente à plusieurs reprises, en faisant un lien avec les droits de l’homme, il est nécessaire d’introduire d’autres aspects pour la considération globale de la démocratie.

Un autre intérêt de l’ouvrage est l’interrogation sur le modèle de démocratie et les contenus que les États peuvent donner au concept en tenant compte des aspects culturels et des traditions populaires. Bien que l’on puisse ignorer l’idée de justification des violations des droits de l’homme pour des motifs « culturels », il reste que les différences existantes entre les sociétés laissent un espace conceptuel et pratique pour l’évolution des hommes et des peuples.

En conclusion, nous recommandons cet ouvrage pour le thème et les points en débat, mais aussi parce que la conjoncture internationale demande d’une manière pressante l’élaboration des concepts et des instruments pour la construction d’une communauté internationale.