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Comment le Congo a-t-il été imaginé dans le temps, comment a-t-il été défini, par qui et dans quel but ? Et surtout, quels ont été les effets de ces représentations sur les relations internationales ? Ce sont les questions auxquelles l’auteur tente de répondre dans cet ouvrage. Depuis les années 1990 surtout, les publications sur le Congo se sont multipliées portant sur son évolution économique et politique depuis l’indépendance, ses chefs politiques et leurs visées nationalistes, ses relations régionales et internationales, la souveraineté comme modèle politique, mais aussi l’espace territorial et l’espace socioculturel d’où découle la question de l’identité dans les relations internationales.

Le présent ouvrage se situe donc dans une tendance très actuelle de la recherche. Comme angle d’approche, l’auteur a choisi une analyse du discours à la fois historique et contextuelle, qu’il situe dans le cadre des relations internationales. C’est ce qui fait son originalité et sa valeur parce qu’elle ajoute de nouveaux aspects aux explications existantes. L’étude s’étend sur plus d’un siècle et se divise en quatre périodes historiques cristallisées autour d’autant de personnages : Léopold ii, Patrice Lumumba, Mobutu Sese Seko et Laurent-Désiré Kabila. Ainsi, nous pouvons suivre l’évolution du phénomène : la production de l’identité au moment de la colonisation, sa contestation lors de la décolonisation en 1960, sa réinvention comme « Zaïre » au cours des années 1970 et le retour au Congo à la fin du 20e siècle (p. 7). Les données étudiées proviennent de sources variées : rapports gouvernementaux, conférences, documents, articles de journaux, récits de voyage, traités académiques, ouvrages de fiction, films, expositions muséales, oeuvres d’art, cartes géographiques, etc. (p. 16).

Dans un premier temps, l’auteur étudie comment le Congo a été inventé en mettant en relief des éléments importants du projet colonial de Léopold ii : la construction de l’identité sociale et spatiale congolaise ; le discours sur cette double identité et la façon de le concrétiser ; finalement, le contexte international dans lequel ce projet s’est déroulé (p. 25). Trois acteurs importants sont présentés : Henry Morton Stanley, journaliste américain devenu explorateur et principal auteur du discours sur l’identité congolaise, le roi Léopold ii de Belgique, promoteur du projet colonial, et E.D. Morel, un jeune agent maritime britannique qui dénoncera vigoureusement la violence avec laquelle Léopold ii réalise son projet. L’identité du Congo et des Congolais a été définie par des acteurs engagés dans sa conquête et sa colonisation. Les représentations et les pratiques sociales et spatiales indigènes ont été remplacées par des schèmes européens, surtout sur les plans politique (État de droit) et économique (système capitaliste). Cette définition de l’identité a servi de justification à sa domination et à sa domestication de même qu’à l’exploitation de ses ressources naturelles et de sa main-d’oeuvre.

La figure de Lumumba et la crise des années 1960, enracinée dans les conflits sur les notions d’autonomie et d’indépendance, sont au centre du chapitre suivant. À cette époque, des discours contradictoires ont été produits pour interpréter l’identité congolaise. Alors que Lumumba dénonçait l’exploitation de la Belgique ainsi que son discours paternaliste et triomphaliste sur le succès colonial, les États-Unis, se situant dans le cadre de la guerre froide, ont vu le Congo comme une proie facile aux visées communistes. Ici, les dynamiques politiques du discours entourant l’indépendance ressortent clairement. Les représentations léguées par Stanley sur l’identité congolaise ont servi d’alibi à l’intervention de la Belgique pour tenter de reprendre le contrôle du pays devenu indépendant et remettre en cause la légitimité de son premier ministre. Elles ont également servi d’excuse au gouvernement américain pour passer outre aux institutions politiques congolaises et se débarrasser de Lumumba à qui il a été difficile, voire impossible d’accéder à l’espace public international pour proposer une alternative au projet colonial alors que le discours de la Belgique et surtout celui des États-Unis ont pu facilement dominer la scène internationale.

Avec l’accession au pouvoir de Mobutu, un nouveau discours prend forme autour de l’identité nationale. Il s’agit de « réinventer » le Congo. Pour ce faire, Mobutu renomme le pays (Zaïre) et les principales villes ; par de multiples interventions, il cherche à décoloniser les mentalités en privilégiant les cultures locales ; enfin, il tâche de reprendre le contrôle politique et économique du pays. Le discours de Mobutu évolue dans plusieurs directions afin d’être accepté autant par la population zaïroise que par la communauté internationale composée de pays nationalistes du Tiers Monde, dont plusieurs dénoncent les appuis aux pays de l’Ouest, et les pays occidentaux avec leur vision coloniale et leur discours sur la concurrence issue de la guerre froide. Contrairement à Lumumba, Mobutu a eu largement accès à l’espace international, ce qui lui a permis de renverser l’image qu’on se faisait du Zaïre si bien que ce dernier est devenu, pour l’Occident, le coeur stratégique de l’Afrique et une source de richesse. À la fin des années 1970, le pouvoir de Mobutu déclinant, les pays occidentaux sont retournés aux images primitives et ont remis en cause la capacité du Zaïre d’accéder à un État démocratique.

Après deux rébellions et quelques invasions par les pays de la région, Mobutu s’enfuit et cède le pouvoir à Kabila, le 17 mai 1997. Ce dernier tente de construire une nouvelle identité basée sur une mémoire sociale commune. Le Zaïre redevient le Congo et Kabila renoue avec le discours de Lumumba. Il dénonce l’identité léguée par les pays occidentaux, l’exploitation des ressources naturelles et les structures sociopolitiques. Les acteurs régionaux prennent de plus en plus d’importance et leurs discours accèdent à l’espace international grâce à l’avènement de technologies de pointe. L’avènement d’une identité régionale remet en question les frontières territoriales construites arbitrairement par l’Occident. On leur substitue des frontières sociales, surtout ethniques, qui deviennent vite source de conflits. À la même époque, les États-Unis, la France et la Belgique se distancient de la politique africaine. Cela s’explique par la fin de la guerre froide, l’aide économique fournie principalement par la Banque mondiale et le fmi et enfin, le remplacement du discours sur la souveraineté des États par celui sur les droits humains et la démocratie. L’interprétation de ce qui se passe dans la région, à l’aide d’un cadre d’analyse historique occidental, remet à l’ordre du jour les images utilisées plus de cent ans auparavant par les colonisateurs pour justifier, cette fois, une non-intervention et un isolement de l’Afrique.

Voici une recherche menée systématiquement et dont les objectifs sont clairement définis, non seulement en introduction, mais à chaque étape. C’est un avantage qui, à la longue, donne l’impression de redites. La recherche étant à la fois historique et contextuelle, elle offre un aperçu de l’histoire coloniale et actuelle du Congo et des événements qui ont plus récemment secoué la région. Une abondante liste des ouvrages cités – plus de 300 – et un index complètent avantageusement la recherche. Les personnes qui s’intéressent au Congo et à l’Afrique centrale en raison de leur travail dans les domaines de l’enseignement ou de la coopération internationale liront avec intérêt ce volume. En partant d’une cause culturelle, celle de la définition de l’identité, la recherche a l’avantage de présenter les relations internationales et de domination d’un point de vue différent et complémentaire.