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Tiré de la thèse de doctorat soutenue en décembre 1999 sous la direction du professeur S. Sur, l’ouvrage relatif au « Conseil de sécurité des Nations Unies et la maîtrise de la force armée » coïncide avec le débat qui bat son plein sur l’utilité de l’onu et de son Conseil de sécurité (cs) après l’invasion et l’occupation de l’Irak par deux membres permanents de l’Organisation. Occupation qui s’est faite sans autorisation et sans mandat du Conseil ; instance suprême de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cet ouvrage apporte un éclairage circonstancié sur les raisons de l’inefficacité de cette institution. L’auteur part de l’analyse de la relation entre le politique et le militaire au sein de l’Organisation. Il en conclut que l’absence des compétences militaires de l’onu a imprimé un caractère seulement politique au Conseil. Dans l’esprit de la Charte, il est un organe de dissuasion. L’action coercitive n’intervient qu’en dernier recours.

L’auteur articule sa réflexion autour de trois axes : le premier est relatif à la mise en place des structures et des fonctions politico-militaires du Conseil de sécurité, le deuxième porte sur les actions du Conseil de sécurité pour maintenir la paix et la sécurité internationales et le troisième a trait au renforcement des moyens du Conseil. Ces trois axes correspondent aux trois parties de l’ouvrage qui sont élaborées suivant une démarche chronologique.

Dans la première partie, l’auteur s’est attelé à mettre en lumière les problématiques de la construction de l’onu, les logiques et contradictions de la Charte et son impasse.

D’abord la thématique de la construction part de la question de savoir si les rédacteurs ont construit une organisation politique qui s’appuie sur le militaire pour faire appliquer ses décisions ou alors une organisation simplement politique dans laquelle le militaire n’occuperait qu’un rôle marginal. Pour démontrer cela, Novosseloff recourt à une démarche qui remonte aux origines de la construction de l’Organisation en suivant l’évolution des positions politiques des États sortis vainqueurs de la guerre. Il en ressort que sur le plan militaire, les États fondateurs ont complètement écarté l’idée d’une armée ou d’une force internationale pour lui préférer la solution que les États fournissent des contingents nationaux à l’onu et la direction politico-militaire serait assurée par les cinq grands États du Conseil de sécurité.

Ensuite, l’auteur émet l’hypothèse selon laquelle l’onu a été conçue pour défendre d’abord les intérêts des grandes puissances (cela n’est pas une révélation). En effet, le Conseil de sécurité est sous le contrôle des cinq membres permanents qui disposent du droit de veto. Il est logique qu’ils aient un contrôle plus important sur l’Organisation que les autres États. Les attributions, les pouvoirs et les dispositions du Chapitre vii ne feront que renforcer cet état de fait. Tout cela amène l’auteur à conclure qu’on est en deçà d’un système de sécurité collective, il s’agit plutôt d’un système de défense collective.

Enfin, la conséquence logique d’une telle situation ne peut qu’acheminer le système de sécurité dans l’impasse et l’échec de la mise en place du Comité d’état-major et des négociations des accords spéciaux. Cela, bien évidemment, prive le Conseil de sécurité d’un outil militaire pour faire respecter ses décisions et mener ses actions. L’auteur conclut cette première partie sur la mise en place des structures et des fonctions politico-militaires de l’Organisation par le fait que cette dernière répondait à certaines préoccupations telles que l’association de l’urss, l’aide à la reconstruction et au rétablissement de la paix dans le monde...

Dans la deuxième partie, A. Novosseloff se livre, de manière toujours chronologique, à analyser à travers la mission du maintien de la paix et de la sécurité internationales comment l’onu, au lieu de devenir une organisation de sécurité collective, s’est acheminée vers une organisation réticente à l’emploi de la force.

La période 1948-1955, fut marquée par le contexte de la guerre froide qui a paralysé le fonctionnement de l’instance suprême en matière de la paix par le jeu du droit de veto entre les deux « superpuissances ». Bref, le Conseil de sécurité devient une chambre de débats sans avoir la capacité de prendre des décisions. Le déclin de cette instance s’est fait à l’avantage du Secrétaire général (sg) et de l’Assemblée générale (ag). Celle-ci, à titre de rappel, a joué un rôle de premier plan lors de la guerre de Corée. Le Conseil de sécurité étant bloqué par le veto soviétique, le camp occidental s’est tourné vers l’Assemblée générale. C’est elle qui a pris la décision d’intervention militaire pour permettre à la Corée du Sud de retrouver sa souveraineté. L’auteur conclut que l’action militaire faisable est celle de la délégation à un État ou à un groupe d’États (on est loin du système de l’article 43 de la Charte). Cette délégation serait autorisée ou validée par le cs ou l’ag.

La période 1956-1985, qualifiée d’improvisation de maintien de la paix, Novosseloff part à la recherche des raisons qui ont conduit à la création des opérations de maintien de la paix (omp) et leur développement. Sans grande innovation, l’auteur distingue les omp du mécanisme de contrainte contenu dans le Chapitre vii. Elles ont pour objectif d’apaiser les affrontements en s’interposant entre les factions en conflit. Les omp sont régies par les principes du consentement des parties, de la neutralité et la non-coercition. Sur le plan institutionnel, le sg, tenant son autorité du cs ou de l’ag, exerce les commandements stratégiques de l’opération. La première mutation des omp est l’affaire du Congo où l’onuc devait s’attaquer à plusieurs tâches : maintien de l’ordre, la protection de la propriété, le désarmement, la protection des bâtiments gouvernementaux et l’arrestation des mercenaires. Au bilan le système des omp constitue une formule plus souple que celle d’une force préétablie.

Durant la période 1987-1991, avec son corollaire la guerre du Golfe, l’onu fut instrumentalisée par quelques États avec à leur tête les États-Unis. Là encore, l’auteur sans une grande originalité démontre que l’onu n’a que très peu agi en tant que telle. Elle a servi d’instance d’habillage pour les décisions de la coalition d’États. Pire encore, lors de la seconde guerre du Golfe, mars 2003, la guerre s’est déroulée en dehors et en méconnaissance de l’onu. Les États-Unis et le Royaume-Uni n’ayant pas obtenu le vote des indécis, ils sont partis en guerre sans base juridique légale, sans légitimité et contre un Conseil de sécurité majoritairement opposé à une offensive militaire. Juridiquement parlant, rien dans le texte de la Charte de l’onu ne permet d’appuyer le recours à une intervention militaire préventive.

La période 1992-2002 s’est caractérisée par un triple mouvement : le mouvement de succès où le Conseil est devenu frénétique par son dynamisme et ses activités diverses et variées : envoi des Casques bleus, autorisation des actions humanitaires, création des zones de sécurité, émission des avis sur les affaires intérieures des États... Bref, l’onu est présente sur tous les fronts et dans tous les conflits. D’ailleurs ces opérations changent de dénominations. Elles ne sont plus des omp mais des Opérations de paix comprenant la consolidation, la restauration et l’imposition de la paix. Le mouvement de repli (1995-1997) se traduit par la sous-traitance des actions d’imposition de la paix à certains États membres (le cs a autorisé la création d’une force multinationale dirigée par l’Australie pour rétablir la paix au Timor oriental). Le mouvement de la relégation de l’Institution à la gestion civile des crises (1998-2002) se manifeste par le glissement progressif de l’onu de sa fonction de maintien de la paix à celle de restauration de l’ordre civil. À cet égard, le cas du Kosovo est révélateur. Peut-être, l’auteur aurait dû mentionner une dernière phase, celle de « l’humiliation », dans la mesure où l’onu est mise en quarantaine à la suite de l’invasion et de l’occupation actuelle de l’Irak, par la coalition américano-anglaise

Dans la troisième partie, l’auteur avance qu’il n’est en effet plus possible de constater sans réagir au regard des trois déficits majeurs du système des Nations Unies : absence de volonté politique, défaut d’investissement dans le système et carence de vision. La controverse sur la réforme de l’onu est entamée depuis quelques années entre le courant favorable à une revitalisation de l’Organisation dans le respect de la Charte, le courant des négateurs qui prône une conception minimaliste de l’onu et la tendance qui opte pour la création d’une nouvelle Institution capable de relever les défis du 3e millénaire. L’auteur propose des réformes dans deux directions : d’abord, une refonte des méthodes de travail du cs. En l’espèce, le Conseil devra développer une réflexion et un rôle de prévention (anticipation comme base de décision, analyse approfondie des causes de la guerre, intérêt sérieux pour les questions sociales, culturelles, politiques et économiques).

Ensuite, au regard de l’amélioration des capacités d’action de l’onu, l’auteur propose quelques recommandations pour remédier à la plus grande lacune de l’Organisation : les omp doivent être créées d’après un mandat clair, les Casques bleus doivent être en mesure de défendre leur mandat. Sur le plan stratégique, l’auteur suggère la création d’un conseil militaire auprès du Conseil de sécurité. La réactivation du Comité d’état-major a suscité plusieurs débats entre les membres permanents : la France s’est montrée ouverte à une telle initiative, le Royaume-Uni hostile voyant en elle une manoeuvre fanco-russe pour remettre sur pied un concurrent potentiel de l’otan. Cette tentative a été tuée dans l’oeuf. Les autres propositions concernent la force à mettre à la disposition du cs. Plusieurs formules ont été suggérées : le module de force en attente dans le pays d’origine, la création d’une force permanente de réaction rapide ou encore la proposition faite par le Secrétaire général et qui consiste à recourir à des sociétés privées de sécurité...

En somme, outre la riche documentation à partir de laquelle est réalisé cet ouvrage, nous pouvons avancer sans gêne qu’il s’agit d’un ouvrage qui synthétise les divers débats sur l’utilité ou non de l’Organisation des Nations Unies et qui resitue ses succès et ses déboires à partir de la dialectique entre le politique et le militaire. Ce livre serait d’une grande utilité pour les étudiants en thèse et pour les chercheurs. Néanmoins, certains passages, certains développements ou encore certaines conclusions peuvent être qualifiés « de déjà lu ».