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Dans la mesure où le processus d’intégration des économies s’est en même temps accompagné de crises et de scandales financiers, ce volume apporte un éclairage nouveau sur les relations complexes entre les marchés financiers et les activités de production de biens et services et propose une nouvelle architecture financière. En effet, depuis au moins la fin des années 1990, on semble percevoir que le marché financier peut non seulement être emporté par son enthousiasme, mais peut également introduire des bulles spéculatives susceptibles de miner la confiance des investisseurs. Les activités frauduleuses de certaines institutions, trouvant leur forme spectaculaire dans l’affaire Enron ne manquent pas non plus de semer de vives inquiétudes. C’est précisément ce contexte qui a présidé à la tenue d’une conférence à l’Université Saint Mary d’Halifax en mai 2002 afin d’examiner les défis posés par la globalisation financière. Cet ouvrage collectif est un recueil des communications présentées à cette conférence et réunit 11 articles écrits par des chercheurs universitaires et des économistes du fmi et de la Banque mondiale.

Le premier chapitre, rédigé par Gavin Boyd, d’ordre conceptuel, vise à mieux comprendre la relation entre la structure économique et la finance. L’auteur y traite surtout des facteurs financiers de déstabilisation économique, dont l’inefficacité du marché libre ainsi que des mesures gouvernementales de contrôle. Le deuxième chapitre, écrit par Pier Carlo Padoan (directeur exécutif au fmi), ressort un peu plus articulé et offre une perspective intéressante autant sur les crises financières des années 1990 que sur les implications de conception d’une nouvelle architecture financière. De fait, l’auteur souligne certaines particularités des crises financières des années 1990 conséquentes à la vague de libéralisation des marchés financiers. Premièrement, comme le démontrent les affaires Enron, Xerox et Worldcom, les sources de ces crises s’expliquent par l’absence de transparence, des normes comptables inadéquates et une réglementation inefficace. Deuxièmement, le mécanisme de transmission internationale des chocs est plus complexe, mais prend toujours la direction des États-Unis vers l’Union européenne. Enfin, les déséquilibres commerciaux entre les pays industrialisés restent insensibles aux fluctuations des devises. Il en découle des considérations de politiques, à savoir : « Experience has shown in many cases too late, that capital account liberalization in order to deliver the benefits of increased access to financial markets, must be carried out according to appropriate timing and sequencing, especially when other sectors of the economy, particularly those related to trades and manufacturing, are still to be liberalized ». Plus précisément, la nouvelle architecture financière demande une collaboration étroite entre les gouvernements, les institutions financières internationales et les acteurs de marchés afin de préserver la croissance macroéconomique tout en minimisant les coûts de l’instabilité financière. Sur ce sujet de « coordination de politiques », Padoan est encore plus précis par rapport à la littérature habituelle, puisqu’il fournit cinq critères requis dans les circonstances, à savoir : 1) économique (ouverture des marchés) ; 2) meilleure pratique ou réformes d’ajustement structurel appropriées ; 3) contrôle sur les résultats, c’est-à-dire la capacité d’obtenir les résultats désirés ; 4) incitatifs aux Décideurs de politiques pour prendre des actions appropriées ; 5) leadership pour soutenir l’action concertée des gouvernements. Enfin, l’auteur fait une analyse comparative intéressante sur l’approche de régulation macroéconomique des États-Unis, de l’Union européenne du Japon et, eu égard à ces critères précités.

Le troisième chapitre écrit par Alain Verbeke, offre une perspective de ce qu’il dénonce par « variétés du capitalisme » (varieties of capitalism), c’est-à-dire les institutions nationales formelles ou informelles tels la gouvernance, le système d’éducation et de formation, les relations industrielles, les relations interfirmes (clients et fournisseurs) et intrafirmes (gestion des ressources humaines). L’auteur explique qu’il n’y a pas un seul modèle institutionnel qui conduit à une performance économique supérieure. Plus significatif encore, selon l’auteur : « The global economy is not moving toward a single optimal model : on the contrary from a firm perspective, regional strategies and efforts to become insiders in host-country clusters often require substantial isomorphic flexibility rather than an institutionalization approach ». En d’autres termes, la gestion financière peut varier selon les caractéristiques institutionnelles nationales.

Dans le quatrième chapite, Jordi Canals se questionne sur le rôle que devraient jouer les banques. En particulier, il cherche à savoir si les banques vont gagner ou perdre leur rôle d’intermédiaire dans la nouvelle configuration du système financier international. C’est une question importante étant donné la place privilégiée qu’occupent les banques dans le système monétaire et financier national. L’argumentation de l’auteur est claire et précise ; elle consiste d’abord dans l’examen des forces et des faiblesses du système financier reposant sur des banques et de celui tiré par des institutions financières non bancaires en regard du critère d’efficacité, de stabilité et de besoins de réglementations. Par la suite, l’auteur explique, avec des données à l’appui, l’émergence du modèle de banques universelles et débouche sur une analyse des avantages et des désavantages de ces conglomérats financiers. Enfin, l’hypothèse de préservation de ces banques universelles est débattue tout comme leurs implications de politiques de réglementations. Le résultat de cette analyse confirme assez bien ce qu’un observateur attentif peut déceler dans la pratique du marché : l’implantation des « dinosaures » dans l’industrie bancaire disposant des bilans de béton et offrant une gamme variée de services à une clientèle aussi variée, n’élimine pas pour autant des institutions de taille réduite et plus ciblée. La question « Does bigger mean better ? Small may be beautiful » est ici appropriée.

Maximilian Hall et Georges Kaufman examinent dans le cinquième chapitre, les raisons profondes et d’ordre historique pour une réglementation nationale des activités bancaires ainsi que la rationalité d’une coopération internationale.

Ils passent ensuite en revue les efforts déployés par le comité de Bâle sur la supervision bancaire, abordent le système d’assurance-dépôt des États-Unis et concluent sur des recommandations d’une nouvelle architecture financière internationale.

Le lecteur trouvera dans le sixième chapitre, l’analyse faite par Sarianna Lundan sur l’impact de l’internationalisation de la Recherche et développement sur la localisation des activités d’innovation. Bien que ce chapitre s’éloigne du thème central de l’ouvrage, il contient néanmoins des informations utiles sur le rôle des multinationales dans le déploiement de leurs activités de R et D.

Dans le septième chapitre, William Emmonds et Frank Schmid procèdent à une analyse critique de la performance économique et financière des États-Unis dès la fin des années 1990. En particulier, les auteurs se demandent si la profitabilité des firmes, l’investissement, la croissance de la productivité et le marché boursier risquent d’être compromis à la suite de la récession du début de l’an 2000. Et que restera-t-il du prestige de la Federal Reserve ? On y retrouve une analyse détaillée et intéressante sur une comparaison du système financier des États-Unis, de certains pays de l’Union européenne et du Japon ainsi qu’une évaluation de l’efficacité des marchés financiers dans l’allocation des ressources. Ce thème d’analyse conjoncturelle et de politiques économiques fait l’objet des trois chapitres subséquents. Le chapitre 8, rédigé par Paul Brenton, est centré sur l’Union européenne, dans sa volonté manifeste d’intégration, dans son élargissement et dans sa structure financière largement dominée par les banques. Le cas du Japon est analysé au chapitre 9 par Thomas Cargill et Elliot Parker avec une insistance sur le système financier et l’inaptitude du Gouvernement à adopter des politiques optimales.

Gavin Boyd se penche particulièrement sur l’économie des pays en développement (chap. 10) tout en mettant en relief les problèmes de prévention des crises et d’assistance d’aide. Enfin, Gavin Boyd termine dans le chapitre 11, sur la nécessité de coordination des politiques entre les pays industrialisés, dont la triade États-Unis, Union européenne et Japon.

Tels sont les thèmes développés dans cet ouvrage dont la qualité tient à l’important effort de recherche de faits factuels de la part des divers auteurs. Un autre point fort du volume est son analyse pertinente autant sur la nécessité de coordination des politiques au sein des pays industrialisés que sur les modalités mêmes de mise en oeuvre de cette coopération. Le seul véritable défaut de cet ouvrage collectif est qu’il contient des articles de caractère général et sans rapport direct avec son thème central sur le lien entre l’économie réelle et les marchés financiers. On ne peut que regretter l’absence d’une introduction présentant sa structure globale. Dans l’ensemble, il s’agit d’un ouvrage qui vient enrichir le débat sur l’opportunité de concevoir une nouvelle architecture financière internationale et qui mérite l’attention des décideurs de politiques, des spécialistes du marché financier, des universitaires et évidemment des étudiants en économie ou en administration internationale.