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Voici une nouvelle oeuvre collective sur les relations entre les trois pays. Elle n’ajoute certes pas d’éléments tout à fait nouveaux à d’autres travaux antérieurs quant à l’interprétation de la politique extérieure cubaine, puisque la politique canadienne ou l’américaine n’ont pas changé par rapport à Cuba, ni la cubaine en relation à Washington et Ottawa. Cependant, un point nouveau significatif qui y est inclus est la visite du Pape Jean-Paul ii à Cuba en 1998. Elle contient une analyse plus détaillée de la réorientation de Cuba après la désintégration du bloc soviétique et de la manière dont le gouvernement cubain s’est adapté à la nouvelle situation internationale née de la fin de la guerre froide.

Dans le premier chapitre, Hal Klepak part de l’analyse de base de ce qui, dès le début (1959-1960), paraissait impossible d’accepter pour les États-Unis, auquel se sont ajoutés les « malentendus communs » et l’arrière-fonds d’interventions nord-américaines à Cuba. Le premier facteur, selon l’auteur, a donné lieu à la période du pire ostracisme jamais souffert par un pays dans l’histoire moderne des Amériques.

Pour faire face aux dangers d’intervention et/ou rendre l’opération d’invasion la plus risquée et la plus coûteuse possible pour les États-Unis, Cuba a défini des stratégies politiques et militaires. Ceci l’a amenée à établir des connexions militaires toujours plus étroites avec l’urss et les autres pays du pacte de Varsovie, des liens qui devaient redéfinir complètement la politique de défense et des forces armées cubaines (p. 7).

En 1962 Cuba fut expulsée de l’oea ; Castro répondit en appelant les peuples latino-américains à se lever contre le dominateur. Ici commença la phase de l’« exportation de la Révolution ». Devant la situation d’île assiégée, Castro estima que l’objectif de son pays devait être celui de provoquer la chute de ces gouvernements pour qu’arrivent au pouvoir dans chaque pays des gouvernements plus favorables à Cuba et défendre ainsi la Révolution de l’extérieur.

Le plus grand test pour Cuba vint avec la crise des missiles. Cuba a alors compris qu’il devait assurer sa défense par ses propres moyens, étant donné que l’urss négociait pour son propre compte, sans prendre en considération l’intérêt national cubain (p. 11).

Selon l’auteur, l’évolution de la pensée américaine sur Cuba est intéressante dans plus d’un sens : la menace cubaine est devenue plus un objet d’humour que de préoccupation pour le Pentagone ; cependant, cela n’exclut pas que le respect des analystes militaires et simples fonctionnaires pour les forces armées cubaines ait nettement augmenté.

La conclusion de l’auteur est que les Forces armées révolutionnaires ont montré une grande efficacité en tant que véritable force de dissuasion pendant plus de 40 ans. Le Pentagone n’a jamais pris Cuba à la légère, à la différence de la cia. En fait, le Pentagone a continué à voir comme un sujet tout à fait sérieux Cuba et la détermination de son peuple (p. 18).

Dans le chapitre 2, Sahadeo Basdeo et Ian Hesketh exposent les relations entre Cuba et le Canada et analysent la politique d’« engagement constructif », en particulier par rapport aux sujets les plus épineux que sont les dissidents politiques et les droits de l’homme.

Les auteurs reconnaissent que depuis 1945 la politique extérieure canadienne a été fortement influencée par les États-Unis. Le seul point majeur de divergence a été précisément celui des relations avec Cuba.

Au milieu des années 90 la politique officielle du Canada vis-à-vis de Cuba était assez claire. Dans cette vision Cuba n’était plus une menace à la sécurité de personne. Les decision makers canadiens croyaient que Cuba devait être réintégrée à l’économie mondiale et qu’une aide multinationale devait lui être accordée pour faire revivre son économie moribonde, et ils étaient disposés à assumer le leadership pour lancer de tels programmes internationaux d’aide (p. 30).

Les auteurs traitent de la visite du Pape Jean-Paul ii à Cuba (1998) dans le contexte des relations de ce pays avec le Canada et les États-Unis. La visite a fourni l’occasion à Cuba de dénoncer sur le plan international sa situation d’isolement et de confirmer ainsi la justesse de la politique d’« engagement constructif » menée par le Canada en relation à Cuba.

Dans leurs conclusions, les auteurs signalent que la politique d’« engagement constructif » a encore évolué comme une politique viable et bénéfique. Le Canada a été un appui externe important pour Cuba par son opposition à l’embargo et représente une bouée de sauvetage pour l’économie cubaine. L’« engagement constructif » continue d’être le pilier de ces relations. Mais les auteurs estiment que depuis la visite de Jean-Paul ii à Cuba, le Canada a démontré une impatience non nécessaire face à Cuba, en le pressant de procéder à des changements rapides dans le domaine des droits de l’homme.

Dans le chapitre 3, Peter Mc Kenna, John M. Kirk et Christine Climenhage analysent les relations au niveau diplomatique et des échanges politiques officiels. Ils soulignent que ces relations, bien que sujettes à certains éléments de tension au niveau politique – concernant exclusivement le sujet des droits de l’homme –, continuent en général à fonctionner dans d’autres domaines. Les liens diplomatiques ne se sont pas affaiblis et les investissements progressent ainsi que l’aide officielle canadienne. D’après les auteurs, Cuba a signifié un exemple d’indépendance dans la politique extérieure canadienne, comme dans le cas de la position assumée en matière d’interdiction des mines antipersonnel. La relation bilatérale signifie pour Cuba une situation de « gain net », avec très peu de risques et de coûts et lui permet de montrer au monde une relation étroite avec un pays membre du G-7.

Dans le chapitre 4, Stephen J. Randall fait une description détaillée du débat interne aux États-Unis sur Cuba à partir du gouvernement de Reagan. Il y analyse en particulier l’exode de Mariel, l’ingérence des États-Unis en Amérique centrale pendant les années 80, les relations de Reagan avec la communauté cubaine aux États-Unis et l’approbation de la loi Helms-Burton par le Congrès américain.

La partie la plus importante de l’analyse part de la visite du Pape (1998), parce que celle-ci a démontré à quel point les États-Unis se trouvent isolés dans la communauté internationale en ce qui concerne leur politique vis-à-vis de Cuba. L’impact de la visite aux États-Unis a signifié la flexibilisation de la politique américaine, initiée par Clinton, entre 1998 et 1999. Le gouvernement américain a permis l’envoi de vivres, de médicaments et de devises de Cubains à leurs parents, le rétablissement des vols quotidiens à l’île et l’envoi de fonds d’aide à celle-ci par le biais des ong.

Vers 2002 il y avait encore de sérieux problèmes dans la relation bilatérale; l’un d’entre eux était le refus continu de reconnaissance de l’opposition politique et l’inexistence d’un débat politique ouvert à Cuba; un second problème était la préoccupation internationale sur la conduite cubaine dans le domaine des droits de l’homme. Un troisième problème était la perception américaine de Cuba comme lien de passage du trafic de drogue dans les Caraïbes. Cependant, la vision de l’Exécutif diffère ici de celle du Congrès. Selon un rapport des Représentants (2000), la participation de Cuba dans ce trafic est insignifiante (p. 85).

Randall conclut que plus de 40 ans après le triomphe de la Révolution, les relations bilatérales sont à peine différentes de ce qu’elles étaient en 1960, malgré les changements drastiques du scénario international et du fait que les principales intentions proclamées de la politique américaine face à Cuba n’ont pas du tout été exaucées: déstabiliser Castro et instaurer une démocratie et le pluralisme politique dans l’île.

Dans le chapitre 5 qui suit, Daniel W. Fisk plonge également dans le débat interne aux États-Unis sur la politique vis-à-vis de Cuba, avec l’accent mis sur des éléments comme le rôle de la communauté cubano-américaine, l’apparition d’une coalition anti-embargo et d’autres facteurs nouveaux, comme le cas de l’enfant Elián González.

À quatre ans de l’approbation de la loi Helms-Burton, cette politique a subi une révision au Congrès qui a été causée par quatre facteurs : l’apparition de groupes anti-embargo dans la politique intérieure américaine ; la visite du Pape à Cuba ; la stabilité à Cuba comme objectif de la politique nord-américaine durant la présidence de Clinton, et une plus grande ouverture des relations des États-Unis vis-à-vis d’autres régimes répressifs communistes, comme la décision d’étendre le statut de relations permanentes avec la Chine et de faciliter son accession à l’omc.

Fisk signale que l’un des objectifs principaux de la politique de Clinton a été de freiner un probable flux migratoire, dans le cas d’une possible explosion sociale à Cuba, ce qui serait un nightmare scenario pour les États-Unis. L’auteur conclut que le débat déclenché par la loi Helms-Burton s’est mué en un ensemble plus spécifique d’approches qui expriment l’existence de deux stratégies différentes : le rapprochement (vente de produits agricoles, crédits, commerce et tourisme), et l’engagement (par des programmes d’aide dans lesquels n’interviendrait pas le gouvernement cubain). Du résultat de ces deux approches dépendra la future politique du Congrès vis-à-vis de Cuba.

Dans le chapitre 6, Karl B. Koth présente une vision des choses à partir de la perspective cubaine. Il examine les défis pour l’économie et le développement, ainsi que les réformes dans la vie quotidienne produites par le phénomène du tourisme étranger (socialism with tourist dollars).

L’auteur estime que, malgré ses problèmes, Cuba est une tremendous promise. Son interprétation est que Cuba a commencé à émerger, après avoir survécu au drame de la perte de tout l’appui externe d’un jour à l’autre. En 1994, le gouvernement cubain a décidé de parier sur le tourisme. La situation économique de l’île était similaire à celle de ses voisins des Caraïbes : dépendante sur le plan économique d’une récolte annuelle et possédant quelques-unes des plus belles plages du monde.

Dans le chapitre final, Nicol fournit les conclusions du livre. Il est intéressant de souligner que si les politiques du Canada et des États-Unis vis-à-vis de Cuba constituent un facteur politique essentiel, les perceptions qu’en ont les citoyens et gouvernements respectifs sont pourtant assez différentes. Ces différences sont légitimées par des discours géopolitiques contrastés relatifs à Cuba et la place de ce pays dans le « nouvel ordre mondial ».

En synthèse, voici un livre qui revisite des textes antérieurs publiés, qui ont déjà été commentés dans cette même revue, mais qui reprend aussi notamment, en mettant à jour le sujet, le rôle distinct et indépendant que le Canada a toujours joué dans ce triangle.