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Le sous-développement a été étudié par presque toutes les approches en Relations internationales. L’une des premières définitions nous provient de l’analyse marxiste. Les chercheurs de cette tradition définissent généralement le sous-développement comme le résultat de l’exploitation par le Nord des ressources du Sud. Depuis les années 1960, les critères économiques du développement sont presque les seules dimensions étudiées. Entre autres, au cours de la décolonisation, le développement se traduit par l’octroi d’aide technique et financière aux États nouvellement indépendants afin de les assister dans la modernisation de leurs économies. Des années 1960 aux années 1990, les modèles théoriques se sont succédé, soit la théorie de la dépendance, soit celle du système-monde et de l’économie politique internationale, pour ne nommer que celles-là. Les nouvelles approches de la dernière moitié des années 1990 proposent une vision plus globale du développement. Ainsi, selon Leys, malgré cinquante ans d’aide internationale au développement, le constat d’échec est doublé par une crise de la théorie du développement. La nouvelle vision du développement est principalement inspirée par l’onu qui s’est efforcée depuis les années 1960 d’intégrer les facteurs sociaux et politiques.

C’est dans ce contexte que Brainard, Graham, Purvis, Radelet et Smith se donnent pour objectif d’analyser les programmes d’aide au développement américain et principalement le Millennium Challenge Account. Ce fonds a pour but d’augmenter l’aide américaine au développement de cinq milliards de dollars sur une période de trois ans. Ce programme est lancé par le président Bush en mars 2002, mais semble faire fi des autres agences de développement et des leçons qu’elles ont tirées dans le domaine. À ce moment, au lieu d’augmenter les budgets des agences de développement américaines ou même d’utiliser les canaux normaux de distribution d’aide au développement par des accords bilatéraux ou par l’intermédiaire de usaid, l’Administration américaine annonce la création du Millennium Challenge Account (mca). Ces argents doivent ainsi être distribués par un nouvel organisme indépendant, le Millennium Challenge Corporatio et de nouvelles normes pour la distribution sont mises en place. The Other War. Global Poverty and The Millennium Challenge Account répond violemment à cette initiative.

L’ouvrage comprend une introduction et neuf chapitres, ainsi que deux annexes. Dans l’introduction, les auteurs tentent de démontrer qu’il existe une « tension » ou plutôt une discordance entre les objectifs de la politique étrangère américaine et ceux de développement. Les auteurs identifient cette « tension » par la dissonance entre l’intention initiale du mca qui « devrait » être la distribution d’aide au pays les plus pauvres et sa mise en application. Selon eux, les résultats escomptés correspondent en fait à aider financièrement des pays qui sont relativement riches, comme si la création de ce fonds cachait la distribution d’argent à des États amis du tiers-monde. Afin d’éviter cette interprétation négative des intentions américaines, ces chercheurs encouragent l’administration américaine à améliorer l’image de sa politique étrangère ainsi que la qualité de son aide financière au développement. Les auteurs se proposent donc de souligner les différentes lacunes du mca et du mcc, ainsi que de soumettre des recommandations à l’administration et au Congrès américain.

Quatre-vingts pour cent de l’ouvrage est donc consacré à la critique du mcc et mca créés par l’annonce du président Bush. Le premier chapitre sert à démystifier ce que le mca « est » et ce qu’il « devrait être ». Les auteurs se basent sur l’intention initiale du président Bush qui semble être d’offrir des opportunités de prospérité économique aux pays sous-développés comme étant un moyen de combattre le terrorisme. Pour Brainard, Graham, Purvis, Radelet et Smith, le meilleur moyen d’y parvenir n’est pas de récompenser les amis politiques par la distribution d’aide au développement, comme cela semble être le cas pour le mca, mais bien d’aider les pays les plus pauvres. Cette aide ne doit pas non plus être ponctuelle, mais faire partie d’un processus du développement, basé sur plusieurs années, l’aide s’accroissant pour les pays démontrant les meilleures performances économiques et politiques suite aux allocations initiales d’aide.

Les chapitres suivants comportent une série d’éléments dont l’administration aurait dû tenir compte lors de la mise en place du processus de sélection des États à aider. Les rouages de distribution de l’aide économique dans un cadre sociopolitique plus large, ainsi que le suivi de l’aide au développement sont aussi abordés. Plusieurs de ces leçons reposent sur les « Poverty-Reduction Strategy Papers » et plusieurs autres recommandations publiées par de nombreuses agences d’aide au développement, organismes humanitaires et bureaux de l’onu. Certaines des conditions identifiées par ces rapports sont l’établissement d’une série d’objectifs limités qui se renforcent mutuellement, ainsi que l’octroi d’une aide continue sur plusieurs années selon des priorités déterminées par les acteurs locaux.

Les auteurs continuent leurs recommandations basées sur les expériences acquises par la communauté internationale en suggérant un mécanisme de coordination différent de celui implanté par le mcc. Ce processus de coordination comprend des éléments pour sélectionner un pays récipiendaire d’aide, mais aussi les types de projets à financer. Les six éléments clés du succès de l’aide au développement seraient l’implication et l’initiative du pays cible, la participation de la société civile locale, la sélection d’objectifs orientés sur les résultats, l’adoption d’une vision à long terme, la volonté de s’attaquer à plusieurs dimensions de la pauvreté et les politiques requises pour la réduire, ainsi qu’un partenariat et une collaboration étroite entre les différents donneurs (autres pays, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale). Au grand malheur des auteurs, le mcc n’englobe aucun de ces éléments.

Tout au long des chapitres, les critiques et recommandations s’accumulent. Le chapitre le plus imposant porte sur le processus de sélection des États qui devraient recevoir de l’aide. Selon Brainard, Graham, Purvis, Radelet et Smith, le mca n’utilise pas des indicateurs appropriés pour sélectionner les pays éligibles. Ainsi, le fonds ne pourrait que sélectionner initialement onze États, alors que vingt-cinq des pays les plus pauvres seront exclus du processus. Les auteurs proposent de modifier les indicateurs de sélection, ainsi qu’une formule de calcul complexe de sélection.

Seulement dix-huit pages sur deux cent cinquante-deux sont consacrées à une « quasi » réflexion théorique de l’aide au développement. Ce bref chapitre, qui fait aussi office de conclusion, souligne dix recommandations pratiques pour l’administration américaine pour l’obtention de meilleurs résultats d’aide au développement en général et avec le mca en particulier : ces dix driver ou moteurs de succès d’un programme d’aide au développement américain. La première recommandation est d’apprendre des initiatives de la communauté internationale et de coordonner les efforts. Le deuxième « moteur » est d’adopter des objectifs précis. Ces objectifs devraient être l’un des sujets suivants : la santé, l’éducation primaire, l’environnement, l’agriculture, renforcer l’environnement politique pour le développement du secteur privé ou la gouvernance. La troisième recommandation est centrée sur l’identification des pays qui en ont le plus de besoin, les pays les plus pauvres. Le « moteur » numéro quatre est d’établir un bon processus de sélection des États à aider. En cinquième lieu, il faut adopter une nouvelle approche reliée à l’aide au développement. Cette nouvelle approche semble contradictoire, car les auteurs recommandent une grande flexibilité et un processus précis pour la gestion de projet, jusqu’à la sélection des sous-contractants effectuant les travaux, alors qu’ils prônent également la décentration et la responsabilisation des ong et des acteurs locaux. La sixième recommandation propose une nouvelle bureaucratie pour gérer l’aide au développement. Cette recommandation est tout aussi contradictoire, car elle ne propose en fait rien de nouveau étant donné qu’il s’agit d’agglomérer le mca à usaid, d’embaucher du personnel compétent ou d’augmenter les capacités des pays visés à gérer leurs propres projets. Le septième moteur est d’arrimer la politique d’aide au développement des États-Unis à la politique étrangère américaine. La recommandation suivante est de coordonner la politique de développement américaine entre les différentes agences. La neuvième réflexion est de garantir les crédits de financement d’aide au développement au sein du budget américain. Finalement, le dixième critère est de rendre le mcc redevable devant le congrès américain. Ces recommandations sont généralement basées sur plusieurs leçons tirées des activités d’aide au développement de la communauté internationale. Plusieurs de ces « moteurs » sont contradictoires ou ne peuvent être généralisés hors du contexte spécifique du mca. La réflexion théorique générale de l’ouvrage ne présente donc aucune nouvelle base académique. Bien que quelques propositions fassent allusion aux dimensions politiques et sociales du développement, cet ouvrage se concentre principalement sur l’aspect économique. Cette vision limitée ne reflète pas la tendance globale (développement humain, social, académique, santé, droits humains, etc.) qui prévaut présentement au sein des ouvrages sur le développement.

Par son sujet spécifique et son champ d’étude très limité, cet ouvrage est donc destiné aux gestionnaires du mcc, ainsi qu’aux politiciens américains. Le contenu théorique sur l’aide au développement est minime. The Other War. Global Poverty and The Millennium Challenge Account n’est donc presque d’aucune utilité pour la majorité des universitaires, à moins de travailler spécifiquement sur le Millennium Challenge Account.