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Au moment où le projet du consensus de Copenhague réfléchit aux moyens de réduire la pauvreté, il faut se féliciter de la sortie d’un nouvel ouvrage sur les pays en développement et le système commercial multilatéral. L’ouvrage de Ramesh Adhikari et Prema-Chandra Athukorala, Developing countries in the World Trading System. The Uruguay Round and Beyond, est original à plus d’un titre. Il présente les nouveaux enjeux de Singapour, dont la concurrence, et s’intéresse plus particulièrement aux pays du Sud-Est asiatique.

Il rappelle que les accords de l’Uruguay Round n’ont pas été nécessairement tous dans l’intérêt de pays en développement. Ils impliquent des transformations coûteuses de leur économie et une mobilisation de leurs ressources humaines que de nombreux pays parmi eux ne possèdent pas. Les engagements que les pays en développement ont pris dépassent souvent les gains qu’ils pourront tirer d’un meilleur accès aux marchés que les pays industrialisés leur ont promis. Ils bénéficient de périodes de transition plus longues : 10 ans au lieu de 6 ans pour les subventions autorisées, des exemptions pour les pays dont le pnb est de moins de 1 000 $, des périodes d’élimination de 7 ans pour les pays en transition pour les subventions mais avec de la flexibilité pour les mesures nécessaires à la transformation d’économies planifiées à des économies de libre marché, une assistance technique, et moins de concession à offrir pour les tarifs.

Les mesures sanitaires et phytosanitaires s’avèrent très coûteuses et créent beaucoup d’obstacles pour les pays en développement. Sans mettre en doute le bien-fondé de son inscription sur l’ordre du jour commercial international, la concurrence n’est pas en mesure de procurer des avantages pour les pays en développement qui n’ont pas une compréhension précise de ses règles et n’ont qu’une expérience limitée de la concurrence. Plusieurs aspects de la concurrence figurent déjà dans certains accords de l’omc : politique commerciale, subventions, droits de propriété intellectuelle, accès aux marchés dans les services. La meilleure chose que l’omc pourrait faire est de continuer à éliminer les mesures aux frontières qui font obstacle à l’importation des biens et des services. Et pourtant il reste évident que certaines pratiques commerciales, notamment les cartels et les lois antitrust, créent des distorsions dans le commerce international.

Les pays en développement sont aussi très opposés aux normes sociales. Les États-Unis, et principalement le parti démocrate, ont été les principaux précurseurs de l’établissement d’un lien entre l’accès aux marchés et l’application de normes sociales. Les pays développés craignent que les importations de produits fabriqués par une main-d’oeuvre bon marché ne résultent dans une course vers le bas dans les salaires et n’érodent leur propres normes sociales. Ils ont proposé que l’accord de l’omc permette l’imposition de restrictions commerciales à la non-application d’un noyau de normes sociales. Les États-Unis ont adopté la section 307 qui tient la négociation de droits du travail comme un violation de la loi commerciale américaine et les États-Unis ont adopté des mesures de rétorsion contre la Chine et le Mexique. Pourtant la garantie de normes sociales pourrait aider au développement des institutions démocratiques dans les pays en développement. Les clauses sociales par exemple pourraient être traitées par le Bureau international du travail. Aucun article du gatt ne mentionne les normes sociales.

L’étiquetage social pourrait offrir une alternative. Outre son rôle informatif, il pourrait permettre aux producteurs d’internaliser la volonté des consommateurs de payer un prix plus élevé pour des produits dont le contenu social est plus fort.

Les accords les plus importants pour les pays en développement sont les accords sur l’agriculture, les textiles et les vêtements. Pourtant ces accords n’apporteront pas de changement significatif dans le protectionnisme qui frappe les produits agricoles et textiles. Ces produits sont très importants pour les exportations des pays en développement. La part des textiles sans les exportations du Bangladesh, du Cambodge, du Laos et du Sri Lanka est particulièrement importante. Kim Anderson propose l’élimination des subsides aux exportations, le découplage des mesures de soutien interne, le renforcement des critères de la boîte verte pour réduire les échappatoires que les pays ont trouvés pour contourner les subventions et la réduction des mesures agrégées de soutien.

Les pays développés sont devant un dilemme. Ils demandent le renforcement des normes environnementales et de sécurité des aliments plus élevées, mais en même temps ils redoutent de perdre leur compétitivité parce que des normes environnementales plus élevées entraînent des coût plus élevés. Les pays développés souhaitent voir l’environnement inscrit sur l’ordre du jour international. L’argument des pays en développement est simple : les motivations des pays développés sont protectionnistes. Les pays développés réagissent aux demandes pressantes qui leur sont adressées par les groupes environnementalistes. Les pays en développement, et principalement l’Inde et les pays du Sud-Est asiatique, sont aussi opposés à négocier des clauses environnementales qu’ils le sont pour les normes sociales. Les coûts pour renforcer les normes environnementales sont élevés et sont au-dessus des moyens dont peuvent disposer les pays en développement. Mais les coûts sont moins élevés dans les pays en développement que dans les pays développés.

Quelques chapitres sont consacrés aux pays du Sud-Est asiatique. Le premier concerne les pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (anase) qui s’est transformé en zone de libre échange de l’anase en s’élargissant au Laos, au Vietnam et au Cambodge. L’idée est aussi lancée d’une anase +3 ouvert à la Chine, au Japon et à la Corée. L’arrangement régional pourrait stimuler les investissements directs à condition d’améliorer l’environnement légal et régulatoire et d’éliminer les risques.

L’Asie du Sud-Est est un exemple pour les pays en développement. Elle a un taux de croissance inégalée dans bien des pays, y compris développés, et a réduit le niveau de pauvreté. Bien des facteurs sont responsables de ce succès : une ouverture commerciale plus forte, l’orientation vers l’extérieur de leur commerce, la stabilité macro-économique et le développement du capital humain et physique. La Thaïlande, Hong Kong, la Corée, Singapour et les Philippines connaissent un taux de croissance inégalée. Ils sont intégrés dans l’économie mondiale et participent pleinement à l’omc. La croissance de la productivité semble être la clé du succès. Elle a généré une croissance très forte. Mais ce n’est pas le seul facteur en cause. La croissance économique à son tour réduit la pauvreté. Mais ce que semblent oublier beaucoup de pays en développement, la construction d’institutions politiques et une politique macro-économique saine sont des facteurs également déterminants dans la lutte contre la pauvreté. L’ouvrage souligne que la libéralisation commerciale n’a pas contribué à réduire la pauvreté bien que la part des pays en développement dans les exportations totales de biens ait augmenté de 15 à 20 % et que leur part dans l’exportation des services ait passé de 13 à 16 %. Mais les droits de douane restent trop élevés. Le droit de douane moyen sur les produits importés est de 4 % dans les pays développés et de 13 % dans les pvd.

Il est dommage que le livre n’inclut pas un chapitre sur la propriété intellectuelle qui est d’une importance cruciale dans les pays en développement, notamment les pays du Sud-Est asiatique. Les pays en développement possèdent des atouts qu’ils peuvent exploiter en tirant avantage de certaines dispositions, notamment en matière d’indications géographiques. À titre d’exemple, il y a des polémiques autour de la provenance du « riz basmati ». Provient-il d’Inde, de Thaïlande ou du Pakistan ou est-ce un terme générique ? Il est certain que si ces deux pays avaient protégé le riz de la même manière que le champagne ou le gruyère, ils auraient disposé des preuves de leur propriété. Les pays en développement ont tout à gagner en développant de petits brevets ou des modèles d’utilité.

La protection des brevets ou des marques est certes un processus qui induit des coûts, mais les pays en développement ont tout intérêt à protéger leurs droits. À titre d’exemple, les femmes mauritaniennes dessinent sur des tissus confectionnés qui sont ensuite vendus aux États-Unis sans qu’elles ne reçoivent les bénéfices qui leur reviennent. L’artisanat et les produits du folklore doivent donc être protégés parce que leurs auteurs ne sont pas rémunérés et d’autres personnes en tirent profit.