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Contribuer au débat sur la création, dans un avenir plus ou moins proche, d’une union monétaire entre les pays du Mercosur, telle est l’ambition de l’ouvrage co-dirigé par P. Arestis et L.F. de Paula. Et qui dit « union monétaire », ne peut s’empêcher d’y ajouter désormais « européenne » ce que nos deux auteurs ne manquent pas en sous-titrant leur ouvrage : Lessons from emu (European Monetary Union). Un sous-titre qui reflète surtout le propos des deux premiers articles de ce livre. La note (de 3 pages...) de J.S. Fleming est l’occasion pour lui d’afficher son scepticisme quant aux leçons que pourrait offrir l’Union monétaire européenne (ume) au mercosur. Si J.S. Fleming juge que l’ume a eu un impact positif sur les taux d’intérêt et la croissance des pays périphériques de l’Union, ceci reste inconcevable pour le mercosur, celui-ci ne connaissant ni centre ni périphérie. Sceptiques aussi, P. Arestis, F. Ferrari-Filho, L.F. de Paula et M. Sawyer trempent leur plume dans le même encrier pour écrire combien il serait prématuré d’avancer vers une union monétaire dans le mercosur, qui plus est en s’inspirant du modèle européen. Prématurée, cette union le serait en raison d’une faible convergence macroéconomique et d’un bas niveau d’échanges commerciaux entre les pays du mercosur. De plus, le modèle de l’ume basé sur la primauté institutionnelle de la politique monétaire conduirait à des politiques déflationnistes au coût social énorme pour les populations des pays du mercosur.

La deuxième salve d’articles, sur la coordination des politiques macroéconomiques au sein du mercosur, débute par un plaidoyer pour une union monétaire en 2006-2010. Auteur du plaidoyer, F. Giambiagi, inscrit cette union monétaire dans un processus régional de libéralisation des échanges déjà en marche et qu’il souhaite être approfondi. Outre le renforcement du poids politique international du mercosur, F. Giambiagi voit dans cette union quatre avantages : ériger une plateforme d’exportation subrégionale; réduire la volatilité du taux de change ; diminuer les taux d’intérêt et inciter à investir. Et celui-ci de proposer, entre autres, la création d’une banque centrale indépendante du mercosur sur le modèle de la Banque centrale européenne. A. O’Connell, dans sa contribution, argue que le faible degré d’intégration de la zone Mercosur se mesure autant au niveau « réel » de l’économie (faiblesse des échanges commerciaux et mobilité réduite du travail) qu’en termes monétaires. Aucune incitation donc à opérer une coordination des politiques macroéconomiques au sein du mercosur. Mais reste que si celle-ci devait se faire, ce que croit A. O’Connell, le chemin à prendre serait celui d’une politique microéconomique de suppression des obstacles au commerce intra-régional et de développement de la compétitivité dans les secteurs d’exportation. De l’avis de M.L. Silva, J. Andrade et H.-M. Trautwein, une intégration commerciale plus poussée demeure encore hypothétique, surtout au regard des revers que celle-ci a connu en raison de la faible coordination en matière monétaire entre les deux principaux partenaires du mercosur que sont le Brésil et l’Argentine. En effet, la coexistence d’un régime de taux de changes fixes au travers d’un currency board en Argentine et d’un régime de taux de change plus flexible accompagné d’une politique de stérilisation au Brésil a eu en effet comme conséquence, lors de chocs interne ou externe, de porter le poids de l’ajustement sur le partenaire argentin. Or, semblent dire ces auteurs, sans briser ce cercle vicieux de la désintégration monétaire et donc passer par une politique de coordination dans le domaine, point de salut. À l’inverse de certains points de vue exprimés plus haut et plus largement dans les études sur les zones monétaires (dont la plupart reposent sur la neutralité axiologique de la monnaie), A. Moreira Amado et L.A. Simoens da Silva analysent la question de l’intégration monétaire et financière du mercosur sous un angle post-keynésien, en postulant un impact de la monnaie sur les modèles de croissance économique. En se basant sur une analyse structurelle des systèmes financiers brésilien et argentin, A. Moreira Amado et L.A. Simoens da Silva concluent que l’internationalisation du secteur financier mènerait à une « intégration » marquée par un renforcement des inégalités régionales et à la prédominance du secteur bancaire brésilien. Contre cela, les États doivent intervenir en instituant des mécanismes de régulation et de soutien à la croissance régionale.

Ouvrant la dernière section de l’ouvrage, l’article de R. Studart débute par un constat: les années 1980, puis 1990 ont été celles d’un accroissement sans précédent des flux de capitaux vers les pays du Sud, un afflux encouragé par les politiques d’ouverture de ces pays avec comme conséquences la déstabilisation et la plus grande vulnérabilité des économies du Sud, notamment en Amérique latine. Plutôt que de pointer sur la seule volatilité des capitaux ou sur l’inconsistance des régulations gouvernementales pour expliquer ces revers de la libéralisation financière, l’auteur insiste en particulier sur l’inadéquation entre le volume et la volatilité des flux financiers et la taille et la capacité d’absorption des marchés de capitaux en Amérique latine. Selon R. Studart, c’est donc moins les politiques de libéralisation per se qui posent problème que la rapidité avec laquelle celles-ci ont été conduites par les gouvernements. À l’avenir, c’est à une politique graduelle d’ouverture qui respecte l’asymétrie structurelle entre les systèmes financiers des pays développés et en développement que l’auteur accorde sa préférence. La dernière contribution, consacrée exclusivement à l’Argentine, s’interroge, avec prudence, sur la question du régime monétaire en lien avec la politique budgétaire suivie par les autorités. Analyse détaillée des contradictions de la politique monétaire et budgétaire argentine des années 1990, le texte de J.M. Fanelli et D. Heymann signale une piste pour retrouver une cohérence dans le domaine : s’attacher à une politique de coordination macro-économique et à la mise sur pied de standards régionaux dans le domaine financier et monétaire, particulièrement avec le Brésil.

Arrivé en fin d’ouvrage, le lecteur se demandera pourquoi donc les éditeurs du volume ont sous-titré leur travail : Lessons from emu. La vingtaine de pages de la première partie de l’ouvrage et les allusions ponctuelles dans deux autres contributions ne semblent pas autoriser un tel sous-titre. Car, c’est bien du mercosur dont il est question, certes sous des angles bien différents, parfois même par trop différents pour retrouver le fil conducteur, une cohérence entre des contributions d’inégale facture. Et l’introduction du volume ne nous semble pas vraiment nous aider dans cette dernière tâche. Reste qu’au final, des articles comme ceux d’A. O’Connell et d’A. Moreira Amado et L.A. Simoens da Silva méritent un détour attentif. Un index est présent en fin d’ouvrage.