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Ce livre prend sa place parmi les nombreux ouvrages consacrés à la justice pénale internationale, depuis la création des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, et de la Cour pénale internationale. Plutôt que de souligner les avancées judiciaires de ce phénomène, l'auteur met l'accent sur ses limites dues à la realpolitik, c'est-à-dire aux politiques de puissance et aux intérêts nationaux des États.

L'introduction donne un cadre historique à son étude, à partir du 20e siècle, en évoquant les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, qui ont ajouté l'individu à l'État comme sujet du droit international, tout en rappelant que celui-ci est essentiellement une « architecture de compromis politique ». Un premier chapitre décrit la création d'un processus pénal international moderne, sur la base de la doctrine de la « guerre juste », des Conventions de La Haye et de Genève.

Le livre est divisé en trois parties. La première est consacrée aux guerres mondiales. Le chapitre 2 évoque « Une fausse aube : l'incapacité de faire respecter la justice internationale après la Première Guerre mondiale ». Sont rappelés les évènements bien connus que sont l'échec des procès de Leipzig et l'amnistie accordée par le Traité de Lausanne à la Turquie pour le génocide qui a tué plus de 600 000 Arméniens. L'auteur en conclut que les États ne peuvent pas sanctionner eux-mêmes leurs propres crimes et que des groupes d'États ne peuvent prévenir ou sanctionner des violations du droit international par un autre État que s'ils restent unis et déterminés.

Le 3e chapitre décrit « Une nouvelle aube : la naissance de la mise en oeuvre du droit pénal international ». Sont rappelés l'échec de la sécurité collective de la sdn, le Pacte Kellogg-Briand de 1928, le régime nazi et l'Holocauste, la guerre de terreur de l'armée japonaise. La création et la jurisprudence des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, malgré leurs imperfections, firent espérer que les crimes d'agression, crimes de guerre et crimes contre l'humanité seraient condamnés à l'avenir et que personne ni aucun pays ne seraient au-delà des lois.

Une 2e partie examine la guerre froide et les années 1990, et son chapitre 4, « La guerre froide dans l'ombre de la realpolitik », avec d'une part son impact désastreux à l'égard du concept de la justice internationale, et d'autre part, le développement du droit humanitaire international : les Conventions internationales et régionales sur les droits de l'homme, la mise à jour des Conventions de Genève. Enfin, cette période a connu l'expansion des ong, le secteur privé de la communauté internationale reconnu juridiquement, avec leur légitimité internationale. Il n'y eut aucune poursuite pénale internationale pendant cette période en raison de l'absence de consensus entre les principales puissances.

La crise dans les Balkans a permis de rappeler le précédent de Nuremberg (chap. 5). Bien que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ait marqué un retour au modèle de Nuremberg, il a été créé grâce à un désir politique de racheter la conscience de la communauté internationale sous la pression des médias et des ong plutôt que par son engagement à garantir la justice internationale. Après un rappel des circonstances historiques de la dissolution de l'ex-Yougoslavie, des tentatives politiques internationales pour régler les conflits, du rôle du Conseil de sécurité et de l'otan, l'auteur décrit le développement des activités du Tribunal, freinées à sa création et dans ses premières années par les grandes puissances.

Le chapitre 6, « Le Rwanda : portrait d'une communauté internationale réticente », reprend l'historique qui précède le génocide rwandais et l'indifférence ou l'inaction des puissances concernées, plus intéressées par la crise yougoslave, et de l'onu. L'auteur rappelle les raisons de l'opposition du Rwanda au tpir et les carences de ce tribunal. Il conclut ces deux chapitres en estimant que les deux tribunaux sont un jalon important dans la mise en oeuvre du droit pénal international, tout en étant les produits de la realpolitik internationale. Ils ont démontré qu'un tribunal pénal international permanent pouvait fonctionner.

La 3e partie, « Dans le nouveau millenium », a deux chapitres. Le chapitre 7 rappelle les origines de la Cour pénale internationale (cpi), sa structure et sa compétence, le principe de complémentarité de la cpi par rapport aux tribunaux nationaux, les pouvoirs du Procureur. L'auteur souligne les limites du Statut de Rome : la Cour n'a pas de force de police, elle ne peut pas obliger les États à exécuter ses décisions, elle n'a pas le pouvoir d'obliger les témoins à comparaître. Les raisons techniques de l'opposition des États-Unis à la cpi sont évoquées, qui semblent être un « camouflage » pour la menace constituée par la Cour à l'égard de la souveraineté, des intérêts, de la sécurité et de l'hégémonie américaines. Ce qui menacerait surtout la cpi serait qu'on ne fasse que peu recours à elle. Elle servirait essentiellement à élever le profil symbolique de la mise en oeuvre du droit international.

En conclusion, le chapitre 8 rappelle que la caractéristique principale des relations internationales est que les États défendent leurs intérêts définis en termes de pouvoir. Les tribunaux pénaux internationaux sont créés par les États et soumis à leur pouvoir. La justice internationale n'est pas une panacée pour les violations du droit international. D'autres mécanismes doivent être utilisés, dont la prévention.

Ce livre est un essai vigoureux et bien écrit sur la justice pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux qui a l'intérêt de rappeler la réalité des relations de pouvoir dans la vie internationale, l'obstacle majeur à la mise en oeuvre de la justice internationale, alors que grand nombre d'auteurs privilégient les avancées et les espoirs liés à la création de la cpi. L'auteur, par ses descriptions historiques et politiques du développement du droit pénal international depuis la Première Guerre mondiale, met l'accent sur ces obstacles, qui, selon lui, démontrent que la volonté de puissance des États dépasse largement et limitent les progrès de ce droit et les pouvoirs des tribunaux ad hoc et de la cpi. Cette thèse réaliste ne doit cependant pas occulter les progrès impressionnants réalisés depuis Nuremberg tant dans le domaine du droit humanitaire international que par la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux. La création inattendue de la cpi, même si sa viabilité reste à démontrer, est non seulement un symbole mais surtout une innovation judiciaire considérable qui doit continuer à être soutenue par les États « amis », les ong et les activistes, en rappelant son principal objectif : la lutte contre l'impunité des principaux responsables des violations du droit humanitaire international, quel que soit leur statut.

Le livre n'est pas un recueil juridique : il n'examine pas en détail les Statuts des tribunaux et ne met pas en exergue les innovations juridiques et judiciaires qu'ils comportent. Le nouveau modèle des tribunaux mixtes nationaux-internationaux du Sierra Leone et celui du Cambodge, n'est pas inclus. Les références bibliographiques sont pertinentes et importantes en nombre et en qualité. Le livre s'adresse à des spécialistes du droit international et à des étudiants à la maîtrise ou audoctorat.