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Cet ouvrage regroupe les actes d’un colloque international tenu en 2001 au Département de droit de l’Institut universitaire européen de Florence, alors que plusieurs des membres de la Commission de droit international se trouvaient réunis avec des spécialistes du droit de la responsabilité. Les dix contributions publiées ici, y compris l’important bilan du directeur de l’ouvrage, poursuivent généralement l’objectif de montrer, sous divers aspects, la relation entre obligations multilatérales, droit impératif et responsabilité internationale des États, d’où le choix du titre. Si la démonstration de cette relation constitue l’originalité de l’ouvrage, la question de la responsabilité internationale des États n’est pas nouvelle par ailleurs, puisque la doctrine l’a examinée à maintes reprises, de même que la Cour internationale de justice dès la première affaire, décidée en 1947, dite affaire du Détroit de Corfou.

Les deux premières contributions, signées respectivement par Georg Nolte et Marina Spinedi, constituent une bonne entrée en matière dans la mesure où elles brossent un tableau de l’évolution de ce domaine du droit international. Ainsi, le premier montre le chemin parcouru entre deux éminents juristes italiens, Dionisio Anzilotti et Robert Ago, alors que le droit classique de la responsabilité est marqué par la prééminence de l’approche bilatérale des relations interétatiques, tandis que la seconde contribution insiste sur l’abandon graduel de cette approche au profit d’une conception multilatéraliste des rapports juridiques entre États.

Dans un troisième article, Linos-Alexandre Sicilianos offre une analyse critique du contenu des articles relatifs à la responsabilité, tels qu’ils ont été adoptés par la Commission du droit international en deuxième lecture, en 2001, la critique portant notamment sur une absence de distinction, dans le texte d’une première version, entre États directement lésés par un fait illicite et ceux non directement lésés – confusion, dit l’auteur, qui conduisait inéluctablement à un nivellement inacceptable des conséquences des divers crimes. Aussi, persiste une certaine ambiguïté, malgré les efforts consentis pour décriminaliser la responsabilité et classifier les types d’obligations.

Christian Tams examine ensuite les conséquences particulières d’un système de responsabilité aggravée selon trois catégories : obligations particulières liant les autres États ; droits particuliers d’exécution de ces autres États ; enfin, obligations de l’État responsable. À l’égard de ces dernières, l’auteur estime que le droit international actuel ne justifie pas la distinction établie entre violations graves et actes illicites ordinaires.

Les trois contributions suivantes, rédigées respectivement par Éric Wyler, Iain Scobbie et Andrea Gattini, scrutent la nature, les conditions et l’étendue des responsabilités pour violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international général. Andrea Gattini estime à ce sujet que le texte final de la Commission révèle, malgré un manque de courage, l’approche la plus raisonnable dans les circonstances et la plus praticable de la codification dans ce domaine, compte tenu de la nature d’un droit qui hésite entre les aspirations du communautarisme et les réalités du bilatéralisme.

L’article qui suit, signé par Denis Alland, est consacré à un aspect spécifique, celui des contre-mesures d’intérêt général, définies comme « des réactions à un fait internationalement illicite ayant pour caractéristique d’être intrinsèquement illicites mais justifiées par un manquement initial allégué auquel elles entendent répondre » (p. 167). L’auteur exprime sa déception que ces contre-mesures soient passées sous silence, et il estime que ces questions se placent sur le plan de la garantie de la légalité internationale et des voies d’exécution. Pierre Klein examine, lui aussi, une question spécifique, celle des mécanismes et des procédures institués par la Charte des Nations Unies en vue d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité, en estimant que ces moyens de mise en oeuvre de la responsabilité doivent être privilégiés, sinon exclusifs, tandis qu’ils sont insuffisants et inadaptés aux fins de l’application d’un régime de responsabilité aggravée, et que, par ailleurs paraissent irréalistes les propositions de nouvelles architectures institutionnelles, telle l’attribution à la Cour internationale de justice d’une compétence obligatoire pour la détermination de l’existence d’un crime international, ce qui fait dire à Pierre-Marie Dupuy, dans son bilan général, que dans cet affrontement entre Hobbes et Kant, on a, faute de mieux, « laissé ouverte, fût-ce par omission, la possibilité du recours à la technique frustre des représailles, emblématique, sinon de l’état de nature, du moins de l’absence d’intégration verticale de l’ordre juridique international, pour tenter de pallier les insuffisances de l’institutionnel pour la défense de l’ordre public » (p. 239).

L’ouvrage comporte une importante bibliographie en plusieurs langues (français, anglais, espagnol et italien), mais celle-ci est sélective puisqu’elle omet généralement de mentionner les titres qui ne portent pas essentiellement sur la dimension multilatérale des obligations internationales dont la violation entraîne la responsabilité internationale : ainsi sont ignorés les ouvrages consacrés à des aspects plus généraux du droit qui s’appliquent à tous les types de violations, aussi bien bilatérales que multilatérales ; de même sont omis les titres consacrés à l’imputation du fait illicite ou aux diverses formes de réparations. L’ouvrage présente aussi en annexes les versions successives du texte de codification, en l’occurrence le projet de 1996, celui de 2000, enfin le texte définitif de 2001.

Ajoutons que l’importance du sujet traité dans l’ouvrage se trouve confirmée par l’actualité judiciaire, puisque la question de la responsabilité en droit international, et notamment en droit international humanitaire, est au coeur même d’affaires toutes récentes entendues par la Cour internationale de justice : affaire Cameroun/Nigeria, dans laquelle la Cour a cependant rejeté pour manque de preuve, dans son arrêt d’octobre 2002, les demandes en réparation présentées par les deux parties ; avis consultatif rendu en juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour déclarant à la foisl’illégalité de cette construction, l’obligation par Israël de réparer tous les dommages causés par le mur et l’obligation faite à tous les États de reconnaître cette illégalité ; plus récemment encore, le 15 décembre 2004, décision de la Cour internationale déclarant qu’elle n’avait pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro contre la Belgique, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni dans l’affaire dite de la Licéité de l’emploi de la force ; enfin, cette affaire en instance des Activités armées sur le territoire du Congo, concernant, respectivement, la rdc contre l’Ouganda et la rdc contre le Rwanda.

Cet ouvrage convaincant et très solidement documenté, mais très peu soucieux de vulgarisation, qui s’adresse exclusivement aux juristes, ne comporte ni index ni table de jurisprudence, si bien que ces spécialistes eux-mêmes devront chercher, un peu au hasard des pages, ce qu’ont pu dire les tribunaux internationaux en matière de responsabilité internationale dans bien des affaires déjà décidées et du plus grand intérêt, telles celles du Cameroun septentrional, de l’Afrique du Sud en Namibie, des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), du Timor oriental, de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) et de l’Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde).