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Le rôle des institutions internationales croît avec le processus de globalisation économique, qu’elles ont pour fonction de faciliter. L’objet de ce livre est de mettre en évidence l’intérêt des organisations internationales dans l’architecture économique globalisée et de proposer les réformes qui permettraient notamment aux pays en développement de bénéficier des bienfaits de l’ouverture des frontières. En effet, l’économie mondialisée souffre d’inégalités de revenus, les taux de change sont très volatils au même titre que les prix des matières premières, l’endettement et les crises financières constituent une menace permanente au bon fonctionnement du système financier. Depuis 1950, plus d’une centaine de pays ont été concernés par ces problèmes, aggravés par les inégalités d’information, l’aléa moral ou les défaillances sur les marchés bancaires.

Dans le chapitre 1, John-ren Chen étudie les fondements et les justifications des institutions internationales importantes. Si les gouvernements souverains ne peuvent seuls réguler les acteurs des marchés globalisés du fait des conflits d’intérêt, il est nécessaire d’établir des règles globales par le canal d’institutions internationales (au moins 350 dans le monde). Comme un gouvernement mondial n’est ni souhaitable, ni réaliste à court terme, il convient alors de réformer les organisations publiques qui satisfont des biens publics internationaux. Se posent alors plusieurs problèmes concernant leur mise en place, leur fonctionnement concret (parfois concurrentiel), leur coordination, la défense des valeurs démocratiques, le système de distribution des votes, les fondements idéologiques et théoriques qui justifient leurs actions et l’évaluation respective de leur efficacité. Lorsque le marché mondial échoue (externalités, biens publics ou marchés imparfaits ou défaillants), les institutions internationales interviennent. Aujourd’hui, les biens publics internationaux se rangent en six catégories : la sécurité internationale, la stabilité économique internationale, l’environnement, l’économie de la connaissance et de l’information, la santé et l’assistance humanitaire. L’étude de Chen est intéressante, car elle introduit la question de la réforme des institutions internationales d’aujourd’hui, sur une base économique, sans références théoriques excessives.

Pour Kwan S.Kim et Seok-Hyeon Kim (chap. 2), la taxe Tobin constitue un moyen intéressant pour limiter le potentiel de crises financières. Les libéraux y sont principalement opposés du fait de leur opposition à l’intervention du secteur public et aux impôts. Or, la taxe Tobin a deux principaux objectifs : d’une part diminuer l’influence des mouvements financiers spéculatifs, concernant principalement les opérations spots, hedge et forward markets (accroissant ainsi l’importance relative des réserves de change des pays) et utiliser les moyens rendus disponibles pour financer le développement des pays les plus pauvres. D’un point de vue technique, les définitions des opérations concernées et l’évasion fiscale constituent les principaux problèmes à résoudre, mais des solutions simples sont envisageables. La taxe Tobin pourrait devenir le premier instrument de financement du développement des pays les plus pauvres, géré par une institution globale politiquement indépendante. Le principal obstacle est la volonté des États puissants à accepter cette réforme, ce qui n’est pas le cas des pays anglo-saxons notamment. La principale critique formulée à l’analyse de Kim et Kim est de ne pas suffisamment mettre en évidence les contraintes politiques qui s’opposent ardemment à la taxe Tobin, dont son initiateur a réfuté, ensuite, les développements proposés.

Pour V.N. Balasubramanyam et David Sapsford (chap. 3), il faudrait inclure les investissements directs à l’étranger (ide) dans les compétences de l’Organisation mondiale du commerce (omc). Ils sont déjà présents dans les négociations sur les mesures d’investissement reliées au marché (trims), la gestion des droits de propriété intellectuelle (trips) et les services (gats). Les ide ne sont pas la panacée du développement économique des pays pauvres, ils ne sont pas meilleurs ni plus mauvais que la politique engagée par le pays dans son ensemble. Les oppositions internes (des bureaucrates, de l’élite ou des entreprises locales) sont parfois très importantes. Pour les pays en développement, il s’agit de maintenir une souveraineté suffisante et d’améliorer le rendement national des ide. Dans ce contexte, ils auraient beaucoup à gagner avec une gestion réalisée dans le cadre de l’omc. Si cette organisation est concernée d’abord par le commerce, elle ne peut pas refuser d’étendre ses attributions aux activités qui élargissent le marché, au bénéfice des pays en développement. L’analyse de Balasubramanyam et Sapsford donne une place centrale à l’omc dans le processus de globalisation internationale. Or, l’omc n’est pas une panacée. La question, qui est posée ensuite par Toyes (chap. 4) et Raffer (chap. 5), est de savoir si l’omc n’est pas elle-même productrice d’inégalités et de divergences de développement.

Pour John Toyes (chap. 4), il est souhaitable de réconcilier le système de marché international avec l’ordre et la justice. Les règles du gatt concernaient plus les exceptions que le fonctionnement même du libre-échange, institué comme base du système. L’omc défend d’abord l’ouverture des marchés, elle établit des règles qui s’imposent aux politiques nationales, elle exige le changement des lois qui seraient en contradiction avec les règles imposées aux membres de l’organisation, elle demande la fourniture d’informations susceptibles de vérifier le respect de leurs obligations, elle établit enfin des procédures de règlement des conflits. Malgré cette juridiction, la situation n’est pas toujours favorable aux pays pauvres du fait des coûts importants de la procédure, de l’inégalité des forces en présence, du refus des compensations fournies par le jugé coupable après le procès et de l’absence de sanction centralisée en cas de non-respect des obligations de l’omc. Le système hégémonique d’aujourd’hui doit prendre en compte ces immenses « trous noirs » du développement s’il ne veut pas accroître, à terme, des désordres sur les marchés qui remettraient en cause ses valeurs. Les règles de l’omc condamnent le soutien aux industries dans l’enfance, alors même qu’il s’agit d’une condition au développement des pays pauvres. Il faut admettre des exceptions et des aides pour les économies pauvres. L’analyse de Toyes rejoint le camp des « progressistes », ceux qui pensent que la concurrence ne produit des résultats optimaux que lorsque les cartes sont correctement distribuées. Or, ce n’est pas le cas. Dans ces conditions, il convient de modifier l’ordre existant par « une discrimination positive ».

Kunibert Raffer (chap. 5) propose une adaptation des institutions internationales aux besoins du développement. Lorsque la Banque mondiale ne reconnaît pas le défaut de paiement d’un pays, elle fragilise les possibilités de croissance des pays concernés. Dans ce contexte, Raffer propose un traitement différencié et préférentiel fondé sur des indicateurs objectifs et des changements dans les procédures d’arbitrage et du système de vote. Une facilité d’importation de nourriture, une protection des faibles dans les règlements des conflits auprès de l’omc, une protection accrue de la priorité intellectuelle des pays en développement sont proposées. Un comité d’experts indépendants pourraient proposer de nouvelles mesures destinées à prendre en compte les impératifs des pays en développement. Les propositions faites par Raffer ne sont pas sans intérêt, mais un système qui ne fonctionne que par exception ou modification des règles peut difficilement revendiquer l’optimalité de son fonctionnement.

Pour Amitava Krishna Dutt (chap. 6), la question est de savoir si les institutions internationales favorisent ou non la convergence du développement. Sa réponse est plutôt négative. Le fmi et la Banque mondiale sont critiqués pour les politiques qu’ils entendent faire respecter auprès de ses emprunteurs. Si une meilleure compréhension des effets divergents du système international n’est pas prise en compte et si le sentiment de sympathie pour les êtres humains n’est pas réintroduit, les institutions internationales seront désarmées pour promouvoir un développement global équitable. L’introduction d’un « humanisme » dans les rouages d’une économie sans âme nous semble particulièrement intéressante. Elle rappelle que les règles de l’économie n’ont pas à s’imposer aux hommes, car l’économie est au service de tous les hommes.

Les autres chapitres traitent de la question de la Banque des règlements internationaux. Pour Peter Bernholz (chap. 8), la contribution principale de la bri est de fournir un bien public international grâce aux services fournis par les comités et groupes réunis à son siège. Ce système conduit à définir des standards de régulation qui accroissent la stabilité financière internationale, il permet le recueil étendu de l’information économique et financière et il assure une formation de haut niveau. Cependant, la bri pourrait, à terme, connaître des conflits d’intérêt avec le fmi et la Banque mondiale. Les études de Schwaiger (chap. 9) et John-ren Chen (chap. 10) proposent deux études des réformes de la bri respectivement sur les petites et moyennes entreprises et sur l’activité macroéconomique de l’Autriche. Pour Schwaiger, les résultats attendus pour les pme ne sont pas ceux qui ont été obtenus. Les sociétés ne disposent aujourd’hui que de 5,4 % de prêts non sécurisés, contre 8 % avant les réformes. Chen, sur la base d’un modèle macroéconomique statique, conclut que les effets ont porté principalement sur les dépenses d’investissement. La réforme produit des résultats pro-cycliques, en augmentant les contraintes en période de difficultés économiques et en réduisant celles-ci en période de croissance. Ces études modélisées ne manquent pas d’intérêt, même si les conclusions n’apparaissent pas très clairement.

L’ouvrage collectif présenté mérite une lecture attentive pour tous ceux qui s’interrogent sur les réformes à apporter aux institutions internationales dans un contexte de globalisation, même si les articles eux-mêmes ne développent pas de solutions particulièrement originales. Il est vrai que, dans ce domaine, le politique l’emporte toujours sur l’économique et que ce qui est possible n’est pas toujours ce qui est vraiment souhaité. La volonté d’être « réaliste » est un frein à la pensée. Cependant, les critiques elles-mêmes mettent en évidence les insuffisances du système et elles peuvent suggérer de nouvelles actions.