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Lorsque, à la fin du xixe siècle, la sociologie est portée sur les fonts baptismaux, la comparaison internationale est présentée par Durkheim ou Weber comme l’un des détours méthodologiques les plus fructueux pour l’analyse des institutions et des pratiques sociales. Produit de la collaboration étroite d’une vingtaine de chercheurs de spécialités et de nationalités différentes, cet ouvrage tente de répondre à deux questions majeures. Quelles sont les principales avancées conceptuelles et empiriques des dernières décennies dans le champ des comparaisons internationales ? Comment, dans le quotidien de leurs activités, les chercheurs fabriquent-ils des comparaisons ? Plus qu’une simple collection de textes, l’ouvrage a pour ambition de s’inscrire sur une même ligne mélodique. Tous les auteurs répondent à un questionnement de base : celui de la pertinence de la comparaison internationale comme stratégie de recherche. Les textes qui s’inscrivent soit sur un registre épistémologique soit sur un registre méthodologique sont privilégiés. Dans ce dernier cas, l’option choisie a consisté à demander à chaque chercheur de partir de sa pratique concrète pour nous livrer ce qui, à ses yeux, constitue non seulement les enjeux et les difficultés théoriques de la comparaison mais aussi les moyens opérationnels de faire de la recherche au quotidien. Cette entrée dans l’atelier de la science en action et cette mise en commun des doutes et des pratiques constituent un des apports les plus originaux de ce travail collectif.

Ce livre de 380 pages est divisé en quatre grandes parties assorties d’une conclusion collective. La première partie aborde les dynamiques de la comparaison internationale, ce qui sous-entend deux invitations complémentaires : la première incite à situer les pratiques de chercheurs dans une dimension temporelle (celle des débats académiques, de l’histoire politique, etc), la seconde invite à travailler les comparaisons en dynamique. Dans cet esprit, le premier chapitre est consacré à une discussion de l’approche sociétale, qui continue de structurer largement les débats dans l’espace d’interrogations de la recherche (Labit et Thoemmes). Trois éclairages sont ensuite proposés : le premier, par Lehmbruch, fait la démonstration que, sans recul historique, la comparaison internationale n’a guère de sens. Prenant pour prétexte l’analyse des systèmes de formation dans les pays européens, Dubar, Gadéa et Rolle militent en faveur d’une approche configurationnelle et dynamique des comparaisons internationales. Le dernier chapitre porte sur les enjeux à la fois épistémologiques et politiques de tout travail comparatiste (Spurk).

La seconde partie est consacrée à l’examen systématique des usages et des enjeux propres à quelques disciplines des sciences de l’homme et de la société : science politique (Giraud), sociologie (Lallement), sciences de l’éducation (Bevort, Trancart), économie (Erhel) et statistique (Desrosières). La troisième partie examine les méthodes et les outils de la comparaison internationale. Dans sa contribution, O’Reilly recense les différentes méthodes en usage à l’heure actuelle pour appréhender la diversité des systèmes nationaux d’emploi. Dans les deux chapitres qui suivent, c’est au tour de Michon et de West de proposer un bilan critique des outils utilisés dans leurs champs d’études respectifs : le temps de travail et les systèmes éducatifs. Vassy conclut l’ensemble à l’aide d’une réflexion sur la portée et les usages des méthodes qualitatives appliquées aux comparaisons internationales. La quatrième partie rassemble une série de textes qui articulent explicitement réflexivité et pratique comparative : analyse des modes d’intégration en France et en Allemagne (Collet), évaluation de la politique sociale en France et en Hongrie (Jacob, Rist, Simonyi), bilan d’enquêtes comparatives sur les universités (Gueissaz) et enfin, regard croisé sur les sociologies du travail françaises et allemandes (Dupré, Giraud).

L’ouvrage se termine en quatre courts chapitres. Dans le premier, Lallement nous propose une synthèse raisonnée des principaux apports de ce travail collectif. Les trois suivants ont été rédigés par une sociologue (Marry), un économiste (Gazier) et un politiste (Jobert). Ces trois auteurs réagissent à l’ensemble des contributions précédentes sur la base de leur propre expérience et de leur propre culture de recherche et permettent d’éclairer le lecteur vers des terrains et des espaces problématiques qui auraient été occultés.

En conclusion, en mêlant en permanence réflexions épistémologiques, considérations méthodologiques concrètes et présentations de travaux empiriques (sur l’école, le temps de travail, etc.), cet ouvrage offre un panorama aussi original qu’inédit sur l’une des stratégies de recherche les plus fécondes des sciences sociales contemporaines. Tout type de lecteur, mais particulièrement les jeunes chercheurs et les étudiants en science sociale, y trouvera son compte. Une bibliographie complète de quarante pages clôt ce travail collectif de grande qualité.