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Cet ouvrage rédigé par un spécialiste connu de l’unctad, traite la problématique de la relation ambiguë entre le développement et le commerce extérieur. La controverse n’est pas nouvelle. Elle est presque aussi ancienne que l’émergence de l’économie en tant que discipline des sciences sociales. Pourtant le débat sur l’impact de l’ouverture à l’extérieur sur le rythme de croissance semblait prendre un tournant définitif au début des années 1980. L’expérience comparée des pays en développement (pvd) qui avaient suivi des stratégies commerciales différentes, avait servi de base empirique pour valider l’approche libérale et entraîné un changement de paradigme parmi les économistes du développement. Ainsi, on assistait au passage du paradigme de l’introversion à celui de l’extraversion. Les difficultés qu’on observait à la fin des années 1970 dans les pvd introvertis, face aux performances brillantes des pays du Sud-Est asiatique qui eux, avaient suivi des politiques de promotion des exportations, semblaient ne pas laisser de doute quant au bien-fondé de l’ouverture commerciale pour le développement. Certains auteurs soulignaient cependant les ambiguïtés de la thèse libérale et rappelaient qu’on pouvait trouver en longue période des expériences réussies de développement introverti (l’Allemagne, les États-Unis, la France), comme celles de développement extraverti (l’Angleterre). Yilmaz Akyüz, qui se livre à un examen empirique fouillé, offre une analyse détaillée des vingt dernières années de l’évolution du commerce mondial et des pvd qui ont opté pour l’ouverture commerciale. Il prend à contre-pied la conclusion de l’approche libérale qui voit, dans l’ouverture à l’extérieur, un moyen d’accélérer la croissance dans les pvd. Ce schéma qui a inspiré bon nombre d’entre eux ne résiste pas à l’examen des faits. Le constat auquel il aboutit est saisissant ; la progression du revenu dans les pays qui ont suivi la stratégie de promotion des exportations demeure modeste comparée à la progression notable de leur part dans le commerce mondial.

Le premier chapitre traite le thème de la dynamique des exportations et du processus d’industrialisation dans les pvd. La part de plus en plus croissante des produits manufacturés dans les exportations des pvd, ainsi que le poids accru de ces derniers dans les exportations de produits manufacturés mondiales, sont considérés comme la preuve de leur industrialisation par les approches libérales. Or lorsqu’on se réfère à l’évolution de la répartition de la valeur ajoutée mondiale dans le secteur manufacturier, comme le fait Yilmaz Akyüz, on s’aperçoit d’un décalage important. Pendant que les exportations des pvd connaissaient une croissance plus rapide que le commerce mondial et concernaient de plus en plus de produits manufacturés, ce sont les pays développés qui ont augmenté leur part dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale, bien que leur part relative régressât dans les exportations de produits manufacturés.

Les dynamiques de cette évolution, dont la compréhension renvoie à la problématique de la relation entre la spécialisation dans la division internationale du travail et la croissance, sont analysées dans le deuxième chapitre. Les pvd spécialisés dans les productions manufacturières intensives en main-d’oeuvre peu qualifiée, dont la demande est peu dynamique et très sensible au prix, n’ont pas réussi à obtenir une progression aussi spectaculaire de leur revenu. Dans un contexte où la compétitivité dépend des coûts et constitue la variable clé dans la localisation des investissements directs des firmes transnationales, la concurrence accrue entre les pvd pour les attirer dans les secteurs intensifs en main-d’oeuvre, conjuguée à la faible croissance et aux tendances protectionnistes dans les pays développés, a fait que si la stratégie de promotion des exportations pouvait être payante individuellement, elle devenait discutable pour l’ensemble des pvd exportateurs. Ainsi, la thèse d’un effet revenu important lié à l’amélioration de la composition des exportations, s’est trouvée démentie avec l’accroissement de la concurrence entre les pvd.

Enfin, le troisième chapitre qui étudie l’expérience de l’accession de la Chine à l’omc, analyse dans ce cas précis l’articulation de l’intégration au commerce mondial et de l’industrialisation. La stratégie suivie par la Chine consiste à affecter l’essentiel de la main-d’oeuvre non qualifiée dans les secteurs non exposés à la concurrence internationale pour satisfaire la demande interne et à utiliser la main-d’oeuvre qualifiée dans les secteurs exportateurs, dans le but d’obtenir les recettes pour financer les importations des biens d’équipement nécessaires à l’accumulation de capital. Ce qui se distingue de la stratégie de promotion des exportations suggérée par l’approche libérale.

Globalement, le message donné dans l’ouvrage souligne un défi politique vital pour les pvd qui ont vu une croissance rapide de leurs exportations, sans pour autant obtenir une croissance de même ampleur en termes de revenu. L’auteur indique que l’enjeu pour les pvd aujourd’hui, ce n’est pas plus de libéralisation de leur commerce extérieur, mais plutôt leur façon de participer au commerce. Le changement requiert non seulement que les pays développés modifient leurs politiques commerciales qui limitent l’accès à leurs marchés, mais également une renégociation avec les firmes transnationales qui sont les principaux acteurs dans le partage des gains de l’échange et des investissements directs à l’étranger.

Rédigé dans un style qui évite les lourdeurs techniques pouvant dissuader les lecteurs non initiés aux modèles formalisés, l’ouvrage a le mérite d’être clair et lucide, en dépit des difficultés que pose une telle démarche dans le maintien d’un raisonnement pertinent. Stimulant sur le fond, il est aussi séduisant sur la forme.