Corps de l’article

Cet ouvrage collectif est la cinquième publication de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles sur l’espace pénal européen qui en raison de la richesse et de la qualité de ses publications est l’un des tout premiers centres de recherche universitaire sur les questions européennes. L’impression première d’inflation des publications sur l’espace pénal européen qui pourrait effleurer le lecteur s’estompe vite quand on mesure la complexité de la matière et l’accélération que connaît la mise en oeuvre de cet espace. Cet ouvrage est l’illustration de ce dernier caractère. Aboutissement d’un colloque international sur « L’espace pénal européen et le monde » organisé les 17 et 18 mars 2003, cet ouvrage prend en compte les développements intervenus depuis les attentats du 11 septembre 2001 dans ce domaine tant au plan interne à l’Europe que dans ses relations avec le monde et tout particulièrement les États-Unis. Les auteurs sont des universitaires, des fonctionnaires de haut niveau, nationaux et européens, ou des personnalités politiques ayant exercé des responsabilités de premier plan. On aurait pu penser que les vertus de la coopération fonctionnelle produisaient la force d’inertie suffisante pour que cet espace se construise sans difficulté majeure en raison de l’appartenance à une même civilisation juridique et à une même culture politique. L’impératif d’efficacité aurait donc permis, selon cette lecture, de vaincre plus facilement dans ce domaine les réticences des États à se défaire de leurs prérogatives de souveraineté au profit de la construction d’un espace supranational de droit et de liberté. L’un des contributeurs, Henri Labayle, souligne que « Brutalement confrontée à la criminalité terroriste, l’Union européenne a été contrainte de réaliser que la construction de l’espace pénal européen commun n’était pas simplement une illustration supplémentaire des effets du fonctionnalisme mais une finalité en soi. » Le caractère politique de cette construction constitue le fil conducteur qui guide l’ensemble des contributions à cet ouvrage par ailleurs très éclectique. Cet espace est aujourd’hui soumis, selon les auteurs, à un double défi. Le premier est celui de l’élargissement auquel l’espace judiciaire et policier qui est en train de se construire doit être étendu. L’élargissement est abordé à travers la question fondamentale de la confiance entre partenaires qui est indispensable pour parvenir à la judiciarisation complète dans les affaires transnationales. Le deuxième défi est celui de la relation de cet espace pénal au monde, ce qui pose la question de l’interdépendance avec les autres enceintes internationales, mais aussi de façon accusée avec les États-Unis. On voit bien que la question est d’une extrême sensibilité politique. La coopération avec ces derniers s’est considérablement renforcée tant en matière de coopération policière qu’en matière de coopération judiciaire, en matière criminelle qu’en matière de contrôle des frontières, de documents de voyage et de gestion des flux migratoires. C’est autour de cette double problématique qu’est organisé cet ouvrage.

La lutte contre le terrorisme qui fut à l’origine de la coopération européenne fait aujourd’hui de l’espace pénal européen une question politique fondamentale. Comme le souligne Marc Verwilghen, ancien ministre de la Justice de Belgique dans la préface, l’impact indirect du droit pénal de l’Union dans les relations extérieures est très important puisque c’est celui d’une participation à la pacification des rapports internationaux. Il sous-tend une conception de l’ordre international qui fait de la paix le seul mode de relation possible. En filigrane c’est la nature même de la relation de l’ue au monde qui est en jeu, sujet sensible en ces temps où la dimension militaire du rapport à la puissance ne se pose pas dans les mêmes termes des deux côtés de l’Atlantique, tandis que la lutte contre la menace terroriste exige une coopération très étroite. Entre l’ambition « d’une autre politique extérieure » et les impératifs de la coopération antiterroriste, la stratégie européenne requiert une vision et une volonté. Lu dans le contexte des débats qu’alimente la ratification du projet de Constitution européenne et en raison même de la teneur de celui-ci, cet ouvrage représente une importante contribution au débat fondamental concernant la nature du projet européen. Au risque d’extrapoler les conclusions des auteurs, il est permis de se demander si l’espace pénal européen tel qu’il est envisagé dans sa double dimension de l’élargissement et de la relation au monde n’ouvre pas la voie de ce que pourrait être une future gouvernance cosmopolite mondiale. Cette perspective reste encore largement utopique, mais la construction de l’espace pénal européen ouvre la voie d’une réflexion politique innovante par rapport aux concepts de puissance civile ou d’Europe-puissance qui nous sont peut-être plus familiers, mais n’ont pas jusqu’à ce jour obtenu le consensus des États concernés. C’est un autre grand mérite de cet ouvrage de nous apporter une réflexion qui garde toujours la hauteur nécessaire pour rester accessible aux profanes de la technique juridique.