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Dans le domaine de l’économie internationale, peu de livres sont dédiés à l’examen des litiges commerciaux dans des industries et de surcroît impliquant des pays à niveau de développement variable. Ce livre, rédigé par Gordon Myers, apporte sans aucun doute un éclairage fascinant sur le dilemme vécu par les pays en développement (pvd) dans leur tentative d’insertion dans le commerce mondial. La question est simple : Les pvd devraient-ils embrasser le principe de la liberté des échanges au risque de voir disparaître un pan entier de leurs facilités de production ? C’est ainsi que l’auteur nous offre la perspective des pays des Caraïbes, producteurs de bananes. Si les préfaciers du livre, le premier ministre de St-Vincent et Grenadines (Ralph Gonsalves), ainsi que l’ancien premier ministre de la République dominicaine (Edison James), appellent à une protection préférentielle en faveur des pays des Caraïbes, au nom d’une certaine « morale sociale », l’auteur lui-même ne cache pas qu’à terme, l’industrie de la banane perdra beaucoup de son importance dans les Caraïbes. En fait, ce livre contient bien des arguments pour plaire autant aux détracteurs du libre-échange qu’à ses supporteurs. Mais comme d’habitude, ces derniers peuvent être réconfortés dans l’utilité et la simplicité de leurs convictions. Suivons à cet égard l’analyse de l’auteur.

L’ouvrage de Gordon Myers présente une étude sur les causes et les conséquences d’un litige qui perdure depuis plusieurs années relativement au commerce de la banane. Ce différend commercial qui oppose les deux grands blocs commerciaux en l’occurrence les États-Unis et l’Union européenne a fait l’objet de débats et négociations intenses au sein de l’omc.

D’un côté, l’Union européenne soutient le groupe des pays Afrique, Caraïbes et Pacifique (acp) considéré comme étant des pays à économie vulnérable et dépendants du commerce de la banane, et de l’autre côté les États-Unis qui contrôlent le marché des pays d’Amérique latine à travers la présence des grandes firmes multinationales américaines dans ces pays (Chiquita, Dole, Del monte).

À cet égard, les pays de l’Union européenne, de par leurs liens historiques, coloniaux, et la particularité de leurs relations commerciales privilégiées avec les pays de l’acp sont en faveur de l’adoption d’un régime commercial qui tient compte de la fragilité et la dépendance des économies de ces pays sur l’exportation des bananes. À l’opposé, les États-Unis sont des fervents partisans d’une politique de libre-échange en vertu des dispositions de l’omc.

Pour mieux illustrer l’ampleur, les causes profondes et les conséquences de ce litige, l’auteur a présenté brièvement une analyse économique des spécificités ainsi que les principales caractéristiques de l’industrie de la banane dont l’origine remonte au début du 19e siècle à la suite d’une politique d’implantation décidée par la puissance impériale qu’est le Royaume-Uni. Autrefois principaux exportateurs de la banane, les pays des Caraïbes se font aujourd’hui dépasser par les pays d’Amérique latine (Équateur, Costa Rica, Colombie, Guatemala, Honduras et le Panama) qui couvrent presque 80 % des exportations mondiales.

Les pays d’Amérique latine détiennent un avantage comparatif majeur dans la production et l’exportation de la banane grâce à la présence d’une multitude de facteurs propices à cette industrie, en l’occurrence, un sol fertile favorable à la culture de la banane, l’abondance des grandes superficies de plantations, une main-d’oeuvre à salaire compétitif, la proximité des centres de production des marchés d’exportations et l’existence d’une industrie exportatrice à forte intensité en capital grâce à la présence des grandes firmes multinationales dans ces pays. Par contre, malgré le fait que l’économie des pays des Caraïbes dépend essentiellement de l’exportation de la banane, ces derniers ne disposent pas des atouts que détiennent les pays d’Amérique latine.

Dans le même ordre d’idées, grâce à la présence des économies d’échelle et des coûts de productions moindres en Amérique latine, les pays des Caraïbes ont de la difficulté à soutenir la concurrence de ces pays ainsi que celle des grandes firmes multinationales exportatrices de bananes. La faiblesse des coûts de production en Amérique latine a créé une pression à la baisse sur les prix de la banane sur les marchés internationaux et plus particulièrement en Europe. Par conséquent, l’exportation des pays des Caraïbes (acp) s’est trouvée menacée, ce qui a amené l’Union européenne à signer des accords qui tendent à soutenir les exportations de ces pays en appliquant un régime commercial favorable et préférentiel.

Tous les accords signés entre la communauté européenne et les pays de l’acp (Convention de Lomé, Convention de Cotonou) ont été contestés par les pays d’Amérique latine, les grandes firmes américaines soutenues par le gouvernement américain préconisant ainsi l’adoption d’un régime commercial basé sur les tarifs plutôt que sur les quotas.

Devant la pression des États-Unis et les contestations des pays d’Amérique latine, la communauté européenne a signé un nouvel accord-cadre sur la banane, The banana framework agreement (bfa), ayant pour objectif d’augmenter les quotas des autres pays exportateurs, en l’occurrence les pays d’Amérique latine, et dans le but de minimiser aussi l’ampleur de la protection des pays de l’acp. Néanmoins, cet accord a été encore une fois remis en cause et mis en échec par les États-Unis, sous l’impulsion des multinationales américaines, en particulier la compagnie Chiquita qui était active dans le financement des partis politiques des sénateurs américains candidats aux élections. Ainsi, le nouvel accord n’a pas atteint les objectifs de stabilisation du régime des échanges.

Dans le but de trouver une solution à ce litige, en vertu des dispositions de l’omc et en tenant compte aussi de l’environnement actuel caractérisé par la promotion de la politique de libre-échange, l’adoption d’un régime basé sur un tarif unique a été envisagée comme étant un dénouement à ce différend pouvant éventuellement satisfaire tous les acteurs impliqués. La transition vers un régime à tarif unique a été programmée à partir du 1er janvier 2006, ce qui risque de porter un préjudice majeur à l’industrie des Caraïbes.

Finalement, étant donné que cet ouvrage s’intéresse beaucoup plus à l’étude de l’impact des décisions de l’omc sur les pays des Caraïbes, l’auteur estime que l’avenir du commerce de la banane dans ces pays dépend de trois facteurs fondamentaux, à savoir, du régime qui devrait entrer en vigueur en janvier 2006, des améliorations que les pays des Caraïbes devraient établir afin d’augmenter leur productivité ainsi que leur compétitivité sur le marché de la banane. Mais tout cela dépendra sans aucun doute des opportunités offertes sur le marché.

En somme, cet ouvrage présente la dynamique du marché de la banane et explique clairement les raisons du litige qui oppose les deux grands blocs commerciaux.

C’est un livre à conseiller aux autorités publiques chargées de la détermination des politiques commerciales autant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, afin de concilier l’objectif d’ouverture des marchés et le développement économique. Les professeurs, les étudiants en économie internationale peuvent, à la lecture de cet ouvrage, renforcer leurs connaissances du sujet au-delà des aspects de modélisation trop souvent prisés.