Corps de l’article

Face à la pléthore de publications consacrées à l’élargissement de l’Union européenne, l’ouvrage de Marie-Luise Herschtel, spécialiste de finances publiques et d’économie européenne, offre un bréviaire des conséquences budgétaires, institutionnelles et économiques de l’adhésion de dix nouveaux pays. Au-delà de la portée historique et politique de l’événement, et à l’issue d’une brève introduction (5 p.) resituant la difficulté à réussir « l’unité dans la diversité », l’auteur évalue les effets de l’intégration de nouveaux entrants.

Dès le premier chapitre, l’auteur met en avant les embûches du processus d’adhésion et revient sur le périlleux chemin – critères de Copenhague, évaluation méthodique des progrès réalisés, mise en conformité avec l’acquis communautaire, dispositions transitoires, clause générale de sauvegarde – que les candidats à l’ancrage européen ont emprunté. Marie-Luise Herschtel souligne combien l’enthousiasme initial, suscité par la perspective d’intégrer l’eldorado européen, a été vite modéré par la prise de conscience du coût économique et social de la transition. L’une des principales explications tient au maintien du plafond global du budget européen (1,1 % du pib de l’Union en 2000) avec pour corollaire une limitation des crédits d’engagements liés à l’adhésion pour la période 2004-2006. Centrée sur la politique agricole et les actions structurelles, cette aide obère les dépenses pour le contrôle des frontières, la mise en sécurité des centrales nucléaires ou, encore, la recherche, la culture et l’éducation.

Les développements suivants (chap. 2) permettent de mesurer les efforts de transition consentis par les nouveaux arrivants afin de hisser leurs appareils de production et leurs administrations à un niveau satisfaisant pour permettre un fonctionnement sans heurt du marché intérieur. Le train des réformes a été alimenté, très fréquemment, par des politiques libérales d’ouverture et de régulation des marchés qui ont profondément affecté les acquis sociaux, accentué les écarts de revenus, consolidé le chômage, la corruption et les trafics de toutes sortes.

Ensuite (chap. 3), l’auteur s’attache à pointer les atouts et les risques économiques inhérents à l’élargissement à des pays où les populations s’accommodaient d’un niveau de vie inférieur de moitié à la moyenne européenne. Le retard de consommation et d’équipement en Europe centrale et orientale a entraîné, notamment, un accroissement des échanges qui s’est traduit par un excédent commercial cumulé de plus de 100 milliards d’euros pour les Quinze. S’il ne fait aucun doute que l’arrivée de nouveaux États dopera la croissance et donc l’emploi à l’Ouest, à court terme les menaces de délocalisation des investissements sont réelles. Quant au fantasme migratoire, il est démythifié par toutes les expertises qui démontrent que le nombre de résidents originaires des pays d’Europe centrale et orientale, actuellement estimé à 0,1 % de la population de l’Union européenne, diminuera dans les années à venir, nonobstant la levée des restrictions à la libre circulation d’une main-d’oeuvre qui s’avère, dans l’ensemble, peu mobile.

Il est enfin question, dans le dernier chapitre, des défis budgétaires pour la décennie à venir. Privilégiant l’aspect exclusivement financier des coûts de l’élargissement, l’auteur explique que le choc budgétaire ne fera véritablement ressentir ses effets que sur la période 2007-2013 avec une hausse significative, au profit des nouveaux pays, des dépenses en faveur de l’agriculture et des actions structurelles. La négociation entre les principaux pays contributeurs nets (Allemagne), les gros exportateurs des produits agricoles (France), les bénéficiaires de fonds de cohésion (Espagne, Portugal, Grèce) et les derniers venus n’en sera que plus délicate. Dans une conclusion concise (3 p.), l’auteur réaffirme la nécessité de financer, demain, ce qui n’a pas été anticipé.

S’adressant à un « public citoyen » familier des problèmes économiques, l’ouvrage vulgarise le débat, toujours d’actualité, sur les appréhensions et le scepticisme qu’engendre l’adhésion à un groupe nombreux et hétérogène de nouveaux États membres. Par-delà les inquiétudes légitimes, l’auteur insiste sur les bénéfices partagés de la réunification de l’Europe de Yalta, et identifie quelques pistes de réflexion relatives aux effets sur la réforme des politiques communes. À l’heure où l’Europe éprouve des difficultés certaines à se donner une « Constitution », l’ouvrage permet au néophyte de débroussailler l’épais maquis des enjeux d’un élargissement au sein d’une entité politique en perpétuelle gestation et prise dans la tourmente de la mondialisation.