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Dans le contexte de l’après septembre 2001, le Canada ne peut éviter d’affronter les nouvelles réalités géopolitiques définies par la puissance américaine et leur impact sur les relations bilatérales. L’unilatérisme américain, en ignorant la volonté et les conseils d’Ottawa, pose des défis nouveaux et met la pression sur la coopération des deux pays à faire face au terrorisme international. La sécurité du Canada dépend fortement de politiques définies à Washington et se trouve ainsi confrontée au défi à devoir définir une nouvelle politique de sécurité intérieure qui englobe aussi la place qu’il souhaite avoir dans le monde. Geopolitical Integrity publié par Hugh Segal rassemble une collection de douze contributions sur un thème d’une importance cruciale pour le Canada, à savoir la nature de son engagement en matière de défense, de sécurité nationale et de ses responsabilités internationales. Segal propose une synthèse géopolitique des enjeux à venir et insiste notamment sur la nécessité de la cohérence et du lien étroit entre politique étrangère, politique de défense, le commerce extérieur et les actions humanitaires à l’extérieur. Il prône en particulier une certaine cohérence entre les politiques intérieures et les actions du Canada à l’étranger afin d’encenser les valeurs communes qui font l’image du Canada.

Qu’est-ce que l’intégrité géopolitique signifie concrètement pour le Canada ? Les chercheurs et universitaires qui ont contribué à la rédaction de cet ouvrage élaborent tous les différentes perspectives de ce qui constitue un niveau raisonnable d’intégrité géopolitique pour le Canada prenant notamment en compte les ressources naturelles, la géographie, la population et l’histoire du pays. Segal nous présente en introduction l’origine de ce travail collectif qui fait une synthèse des différents colloques tenus à l’Institut de recherche en politiques publiques, un organisme canadien indépendant. Il explique dans le deuxième chapitre que l’intégrité géopolitique signifie en fait « cohésion » ou une manière d’appréhender les politiques étrangères, de défense ou d’intervention humanitaire qui soient cohérentes et interreliées. La plupart des débats actuels sur la capacité militaire du Canada trouvent toujours leur origine dans les recommandations exprimées dans le Livre blanc sur la défense de 1994.

L’exercice de Maloney dans le troisième chapitre est de nature plus historique. Le Livre blanc de 1994 a été préparé comme une transition pour dépasser les années post-guerre froide, une période où les politiques voulaient limiter les dépenses militaires et contenir l’action militaire dans le cadre strict des Nations Unies. Maloney regrette que le Livre blanc continue d’influencer les politiques de défense actuelles et insiste sur la création urgente de deux structures, l’une dédiée à la surveillance des frontières et l’autre aux forces armées en intervention extérieure dont le déploiement devrait être basé sur « une accumulation de menaces ».

Fitz-Gerald et Macnamara nous expliquent dans le chapitre suivant les termes clefs de référence en matière de planification des stratégies de défense. Les auteurs rendent explicite la connexion entre les valeurs du Canada et les intérêts supérieurs du pays en définissant les outils qui pourraient les préserver. Le décalage entre engagement et capacité est souligné et élaboré autour du thème de la place du Canada dans le monde, et notamment au sein des coalitions, par Douglas Bland. Bland insiste sur le lien incontournable entre la fin et les moyens dans toute politique étrangère et s’interroge sur la capacité du Canada à jouer un rôle important dans les relations internationales.

Les coalitions reposent de plus en plus sur le concept militaire « d’interopérabilité ». Dans le sixième chapitre, Middleniss et Stairs soulignent la nécessité au pays d’un débat national plus large sur nos capacités de défense. Le concept d’interopérabilité est une stratégie qui permet à des puissances moyennes comme le Canada d’avoir quand même une certaine visibilité sur la scène internationale en leur permettant de contribuer de manière focalisée aux forces globales fournies par les États-Unis. Sokolsky centre sa réflexion sur la collaboration des forces navales canadiennes et américaines en soulignant la nécessité pour le Canada de garder la liberté de refuser ou d’accepter toute collaboration. Ann Fitz-Gerald examine dans le chapitre huit les efforts accomplis dans la coopération militaire entre les deux pays, mais prévient que si les approches culturelles sont trop divergentes au sein d’une coalition, la force internationale risque d’y perdre sa crédibilité au sein des populations locales.

Sean Maloney établit ensuite le constat qu’en réalité seule la politique de consolidation de la paix élaborée durant les années quatre-vingt-dix définit vraiment les forces armées canadiennes, et, en refusant de se joindre à la coalition américaine en Irak, le pays a ainsi perdu une opportunité d’action sur le terrain de la paix. Mais Fitz-Gerald nous apporte un autre point de vue : il s’agit désormais d’utiliser la période de l’après-conflit en Irak pour redéfinir le rôle de l’armée canadienne dans le monde. Elle souligne ainsi que si une politique globale de consolidation de la paix n’est pas définie rapidement, le conflit risque de ressurgir très vite. À ce propos, Tom Axworthy nous propose un rappel utile sur les devoirs et obligations d’un véritable allié en temps de guerre. Et Sokolsky fait une synthèse des conséquences sur le Canada des nouvelles directions de la politique américaine en matière de défense et de sécurité.

Ce volume incorpore des travaux déjà publiés et d’autres non publiés au sein de l’Institut de recherche en politiques publiques (irpp), le programme national de sécurité et d’opérationnabilité militaire. De manière générale, les auteurs ont voulu montrer que le Canada devait d’urgence définir quelles seront ses nouvelles priorités en matière de défense intérieure et de visibilité dans le monde au cours des dix prochaines années. Souvent le pays n’a pas les moyens de ses prétentions mais pourrait avoir un rôle plus affirmé sur la scène internationale si les différents acteurs s’engageaient dans une responsabilité éthique qui encenserait nos valeurs et les diffuserait dans le monde. L’ouvrage, parfaitement maîtrisé et plutôt complet, est un instrument de travail qui peut nourrir les réflexions des chercheurs, des journalistes et des étudiants en science politique.