Corps de l’article

À la question « quelles méthodes utiliser pour lutter contre le financement du terrorisme », l’Union européenne répond notamment en développant un arsenal législatif important, en adoptant et mettant en oeuvre les neuf Recommandations spéciales du gafi, la Convention des Nations Unies sur la suppression du financement du terrorisme, les résolutions 1267 et 1373.

Plus concrètement, l’Union a également choisi de renforcer la coopération judiciaire, policière entre ses États membres en nommant par exemple un coordinateur de la lutte contre le terrorisme, en adoptant un nouveau mandat d’arrêt européen, en dotant Europol et Eurojust de mandats politiques plus étendus.

L’Union a aussi renforcé la coopération diplomatique, en particulier dans le cadre des enceintes multilatérales (la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, le Groupe de Wolfsberg, etc.) en apportant des réponses à la lutte contre le terrorisme et son financement inspirées par l’histoire de ses États membres[1].

Voici quelques-uns des thèmes abordés dans cette étude qui dresse en particulier un bilan à la fois descriptif et critique des actions menées par l’Union européenne pour réduire l’accès des terroristes aux ressources financières, accroître la capacité d’enquête et de poursuite des institutions européennes et des États membres et pour renforcer la coordination entre les États membres.

I – Survol de la réalité financière du terrorisme

Il est très difficile de chiffrer les masses financières servant au financement du terrorisme ; on ne peut procéder en ce domaine que par approximations.

Les experts ont créé un nouvel instrument statistique appelé Produit criminel brut (pcb) qui représente le chiffre d’affaires mondial annuel de l’ensemble des activités illicites. Le fmi estime le montant de ce pcb annuel entre 500 et 1 500 milliards de dollars. Le gafi évoque plus volontiers quant à lui 1 000 milliards de dollars. À titre de comparaison, le pib de la France était estimé en 2000 à 1 333 milliards de dollars[2].

D’autres experts estiment pour leur part que la définition ci-dessus est trop large, car elle englobe à la fois les vols d’objets courants – comme les automobiles – les revenus cachés au fisc et les revenus du crime organisé. Ils préconisent des mesures plus restrictives limitées à l’argent du crime organisé et la finance terroriste. On atteint alors des chiffres plus « raisonnables », qui malgré tout font frémir, de l’ordre de 100 milliards par an[3]. Ces chiffres paraissent toutefois surévalués.

Dans les années 1970-1980, l’essentiel de l’argent du terrorisme international provenait des États, en l’occurrence et pour l’essentiel la Libye, la Syrie, la Corée du Nord, Cuba, l’Iran, l’Irak et le Soudan[4]. Désormais, les sources sont beaucoup plus diversifiées. Trois types d’activités semblent particulièrement utilisées pour le financement du terrorisme : le trafic de drogue et de pierres précieuses, les prises d’otages ainsi que le racket ou le hold-up[5].

En ce qui concerne le trafic de drogue, Oussama ben Laden est soupçonné d’avoir tiré d’importants profits du trafic d’opium, dont l’Afghanistan est le plus grand producteur mondial. La drogue représente également des ressources importantes pour le Sentier lumineux au Pérou[6].

La contrefaçon commerciale ou le trafic de médicaments, notamment des drogues de synthèse (ecstasy, kétamine et autres amphétamines, etc.), le trafic des diamants et des pierres précieuses sont aussi très appréciés des terroristes, car il s’agit de ressources faciles à exploiter, à stocker, à dissimuler et dont la provenance est difficile à établir[7].

Les groupes terroristes ont également recours à d’autres techniques de financement de leurs activités ; les enlèvements et les prises d’otages par exemple, qui sont de plus en plus facilités par la mobilité des touristes. Le groupe Abu Sayyaf, qui rassemble de petits groupes islamistes terroristes, s’est ainsi spécialisé dans l’enlèvement contre rançon et aurait ainsi réussi à amasser un trésor de guerre évalué à plus de 100 millions de francs[8].

Le racket ou le hold-up sont tout aussi fréquents. La fatwa promulguée dans les années 1970 par le cheikh Omar Abdel Rahman, emprisonné aux États-Unis après l’attentat contre le World Trade Center de 1993, rendait licite, en cas de besoin, le vol à main armée, assassinat compris, contre « les chrétiens mécréants et l’État impie[9] ».

Mais les sources du financement du terrorisme peuvent également être légales, pour le moins en apparence. Il semblerait par exemple que les activités d’Oussama ben Laden aient été financées grâce à des dons de centaines de milliers de musulmans, souvent de bonne foi, en faveur d’ong islamiques « charitables ».

En effet, l’obligation de l’aumône, troisième pilier de l’Islam (la zakat), explique le développement important des organisations caritatives musulmanes, dont les réseaux terroristes ont tiré avantage, soit à l’insu de ces ong, soit en utilisant des ong de façade afin de collecter des fonds.

Il est cependant indispensable d’être très prudent dans l’action menée pour éviter le financement du terrorisme par des organisations charitables : la zakat n’est pas en soi répréhensible, bien au contraire, et il ne faudrait pas donner l’impression que l’Occident s’ingère trop dans un domaine très sensible. Des pressions plus ou moins discrètes, faites notamment sur les pays du Golfe ou l’Arabie saoudite, ont incontestablement conduit à la prise de mesures de surveillance et de contrôle qui se sont montrées efficaces[10].

Il est également confirmé que l’ong saoudienne Al Haramein a joué un rôle essentiel, lors de la guerre en Bosnie, dans l’acheminement de combattants islamistes, ainsi que dans le trafic d’armes et le transport de fonds ; elle a par la suite été mise en cause après les attentats de 1998 en Afrique de l’Est.

En plus de provenir de sources très variées, le financement du terrorisme représente un défi important qui ne cesse de se compliquer. En effet, les sommes générées par les différents trafics précédemment énumérés ne circulent plus dans le système bancaire officiel, ce qui les rend de moins en moins facilement détectables. Les réseaux terroristes se sont en effet adaptés au renforcement de la surveillance et aux sanctions adoptées. D’après les services de renseignement, d’autres modes de transfert de fonds sont désormais de plus en plus utilisés, tels que les passeurs d’argent en espèces, cash carriers, et les systèmes alternatifs comme l’hawala.

Aussi compliqué soit-elle, la lutte contre le financement du terrorisme, qu’il provienne d’activités « légales » (commerciales, industrielles, ou caritatives), ou « illégales » (racket, trafic de drogues, proxénétisme, hold-up, etc.), constitue un objectif d’importance pour les services engagés dans la lutte opérationnelle contre le terrorisme. En effet, c’est en fonction de leurs sources de financement que les groupes terroristes tirent leur capacité de projection, la possibilité de se fournir en armement puissant, et celle de se faire connaître, de recruter, et d’entraîner leurs membres[11].

Lutter contre le financement du terrorisme est l’un des moyens irremplaçables pour remonter les réseaux depuis les cellules d’exécution jusqu’à d’éventuels donneurs d’ordre, pour disposer de preuves judiciaires et pour faire le lien entre petite délinquance ordinaire et terrorisme. Ainsi, l’enquête sur les attentats du 11 septembre a été grandement facilitée par l’étude des mouvements financiers (virements, cartes bancaires, etc.).

Pour cela, une action concertée des États est nécessaire et la communauté internationale a donc décidé de renforcer la coopération, notamment diplomatique, en particulier dans le cadre des enceintes multilatérales (la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, le Groupe de Wolfsberg, etc.) et d’assurer une coopération judiciaire et policière plus poussée[12].

Jusqu’à présent la communauté internationale a cependant surtout utilisé, dans la lutte contre le financement du terrorisme, l’approche législative, avec notamment les neuf Recommandations spéciales du gafi, la signature de la Convention des Nations Unies sur la suppression du financement du terrorisme en décembre 1999, ou encore le vote de résolution 1267, également en décembre 1999, par le Conseil de sécurité gelant les fonds des talibans et d’Al-Qaïda, suivie en 2001 par la Résolution 1373.

II – Les actions de l’Union européenne

L’attentat de Madrid (puis ceux de Londres) a tragiquement confirmé que les pays de l’Union européenne sont des cibles du terrorisme islamiste. Ce traumatisme a notamment conduit l’Union à nommer un coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, afin de renforcer la cohérence de son action[13].

Les objectifs principaux de l’Union européenne ont pu être définis. Ils sont contenus dans la Déclaration sur la lutte contre le terrorisme (25 mars 2004) qui définit sept priorités : 1) Renforcer les efforts internationaux pour combattre le terrorisme ; 2) Réduire l’accès des terroristes aux ressources financières et économiques ; 3) Accroître la capacité d’enquête et de poursuite des institutions européennes et des États membres ; 4) Protéger la sécurité du transport international et mettre en place des systèmes efficaces de contrôle des frontières ; 5) Renforcer la coordination entre les États membres et ainsi la capacité de l’Union européenne à prévenir et à traiter les conséquences d’une attaque terroriste ; 6) Identifier les facteurs qui contribuent au recrutement de terroristes ; 7) Amener les pays tiers à s’engager davantage à combattre le terrorisme[14].

Pour atteindre ces objectifs, l’Union coopère étroitement avec les organismes internationaux compétents et surtout le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (gafi), sur toutes les questions liées au financement du terrorisme et a adapté le système juridique communautaire aux neuf recommandations spéciales sur le financement du terrorisme.

Conformément à la Recommandation spéciale i du gafi, les États membres de l’Union européenne ont été invités à ratifier et mettre en oeuvre les instruments pertinents des Nations Unies (Convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme, Résolutions 1267, 1269, 1373, 1333, 1363, 1390, 1455 du Conseil de sécurité, Convention des Nations Unies sur le trafic des stupéfiants et substances psychotropes, Convention des Nations Unies de 2000 contre la criminalité transfrontière organisée), à incriminer le financement du terrorisme (Recommandation spéciale ii).

L’Union veille aussi à ce que les procédures de gel des avoirs des terroristes décidées par l’ue produisent leurs effets, conformément aux obligations énoncées non seulement par le gafi (Recommandation spéciale iii) mais également par les Nations Unies (notamment la résolution 1373 du Conseil de sécurité du 28 septembre 2001). Ces mesures ont été adoptées sous la forme de positions communes fondées sur les deuxième (pesc) et troisième (jai) piliers et d’un règlement communautaire.

La liste des personnes et entités auxquelles s’appliquent ces mesures est régulièrement actualisée dans de nouvelles positions communes (dans le cadre de la clearing house), et une version électronique consolidée a été mise au point. Elle est établie sur la base des enquêtes menées par les autorités judiciaires et policières des États membres. Elle comprend notamment les noms d’entités telles que l’eta, l’ira, la branche terroriste du Hamas, le Djihad islamique palestinien, la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa, ainsi que les noms des personnes en faisant partie. Quarante-cinq personnes et quarante-six organisations figurent au total dans sa dernière version, en date de mai 2004. Une liste distincte concerne exclusivement les talibans et Al-Qaïda, ainsi que les personnes et organisations qui y sont liées[15].

Le mécanisme adopté dans l’ue pour la désignation des terroristes et des organisations terroristes autres qu’Al-Qaïda n’a cependant pas abouti à une liste qui puisse être considérée comme exhaustive ou totalement efficace. La principale raison semble être que les modalités de cette désignation ont été interprétées différemment selon les cas et les pays. L’amélioration de ce mécanisme passe donc impérativement par une définition et une interprétation standard: la désignation des groupes ou des entités qui ont changé de nom après avoir été désignés comme terroristes; la désignation des organisations de façade[16].

Conformément à la Résolution spéciale iv du gafi, l’Union européenne a demandé aux États membres d’établir à la charge des institutions financières une obligation de déclarer aux autorités compétentes les fonds apparemment liés au financement du terrorisme d’après des motifs raisonnables[17].

La cinquième Recommandation spéciale demande aux États de permettre l’échange de renseignements concernant le financement du terrorisme avec d’autres pays non seulement par des mécanismes d’entraide judiciaire[18], mais également par tout autre moyen envisageable[19].

L’Union a ainsi établi des liens opérationnels et amélioré la coopération entre les instances compétentes pour faciliter un échange d’informations plus poussé sur le financement du terrorisme. Elle mène aussi un dialogue politique et technique avec les pays tiers afin d’intensifier la lutte contre le financement du terrorisme[20].

La Commission prépare également un projet de directive sur un nouveau cadre juridique pour les paiements dans le marché intérieur, qui vise à harmoniser la transposition de la Recommandation spéciale vi du gafi (remise de fonds alternative) dans la législation communautaire. En effet, les systèmes informels de transfert de fonds tels que l’hawala constituent un moyen important de transférer de l’argent illégal. Le régime envisagé prévoit l’enregistrement du donneur d’ordre par l’introduction d’une licence spéciale et tiendra compte du profil de risque des prestataires au moyen d’exigences prudentielles sur mesure[21].

Un règlement sur les transferts de fonds, mettant en oeuvre la recommandation spéciale vii du gafi, doit également être mentionné. Ce texte fixe des règles relatives aux renseignements sur le donneur d’ordre accompagnant les virements de fonds. Il est en effet intéressant de définir des normes minimales communes pour les institutions financières de l’ue en ce qui concerne la vérification de l’identité des clients et l’enregistrement des données d’identification. Ceci est essentiel pour aider les autorités de police dans leur lutte contre le financement du terrorisme[22].

Afin de faciliter la détection des liens entre les transactions financières et l’activité terroriste, le projet sustrans d’Europol va permettre l’échange de données en temps réel entre les services de maintien de l’ordre/de renseignement et le secteur privé en général (transactions financières, mais aussi achats de billets d’avion, locations de voitures[23]).

Pour satisfaire les exigences de la Recommandation spéciale viii du gafi, le haut représentant pour la pesc, Javier Solana, et la Commission ont présenté un document de stratégie au Conseil européen, qui préconise notamment de mieux protéger le secteur associatif et les organisations caritatives contre toute utilisation abusive[24].

Le nombre d’organisations de ce type et le montant de l’aide qu’elles dispensent ont en effet considérablement augmenté ces dernières années. La transparence est une question fondamentale en ce qui concerne le bon fonctionnement du secteur non lucratif/caritatif.

Enfin, l’une des méthodes favorites des groupes terroristes pour transférer des fonds consiste à confier les sommes en espèces ou sous forme d’instruments équivalents à des cash carriers très mobiles. Il importe donc de mettre au point et de déployer la technologie qui permettra de détecter et stopper cette pratique, conformément à la Recommandation spéciale ix.

En plus de la mise en oeuvre des Recommandations spéciales du gafi et des autres conventions et résolutions onusiennes, l’Union européenne a pris d’autres initiatives plus concrètes qui tendent à renforcer la coopération policière et judiciaire[25].

La coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme entre les États membres a débuté, dès 1976, avec la création du groupe trevi. Cette structure informelle avait notamment pour objet d’échanger des informations sur la menace terroriste que représentaient l’action des « Brigades rouges » en Italie et de la « Fraction armée rouge » en Allemagne[26].

La coopération policière et judiciaire n’a cependant pas longtemps dépassé le stade de la genèse. En effet, il s’agit d’un domaine particulièrement sensible, où l’attachement à la souveraineté reste légitimement fort. En effet, le mode de formation du droit européen dans ces domaines s’est fondé dans un premier temps sur une approche intergouvernementale, probablement au détriment de l’efficacité[27].

Le Traité de Maastricht prévoyait que l’harmonisation du droit communautaire devait s’effectuer au moyen de conventions internationales classiques. Pour entrer en vigueur, ces dernières devaient donc être ratifiées par l’ensemble des États de l’Union, ce qui pouvait prendre de très nombreuses années[28].

Le Traité d’Amsterdam a donc constitué un important progrès par la mise en place d’une nouvelle procédure, celle de la décision-cadre qui lie « les États membres quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Cependant, son efficacité reste limitée : tout d’abord par l’obligation de prendre ces décisons-cadres à l’unanimité, ce qui conduit souvent à adopter des textes peu ambitieux au regard des enjeux, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. En outre, dans la mesure où la coopération judiciaire pénale et policière continue de relever du « troisième pilier », et non du « pilier communautaire », le non-respect par un État membre de ses obligations n’engendre aucune sanction. Ainsi, il n’est par exemple pas possible d’exercer un recours en manquement devant la Cour de justice des Communautés européennes à l’encontre d’un État qui se refuse à transposer les dispositions d’une décision-cadre[29].

La lutte contre le terrorisme a cependant été renforcée par l’adoption de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres des personnes soupçonnées ou condamnées notamment pour de tels crimes. Elle remplace les conventions d’extradition existantes par une procédure de remise plus rapide et plus simple, faisant exclusivement intervenir les autorités judiciaires, et non plus les autorités politiques[30]. Cet instrument s’appuie sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, dont le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a fait la pierre angulaire de l’espace judiciaire européen, et non sur l’harmonisation des législations.

Le mandat d’arrêt européen introduit cinq innovations majeures, qui représentent une véritable « révolution copernicienne » pour le droit de l’extradition : 1) le principe de la double incrimination, selon lequel les faits fondant la poursuite ou la condamnation doivent être constitutifs d’une infraction tant dans l’État membre d’exécution que dans l’État membre d’émission du mandat, est supprimé pour une liste de trente-deux infractions graves, dont le terrorisme ; 2) les États membres doivent consentir à la remise de leurs nationaux ; 3) la phase politique et administrative des procédures d’extradition est supprimée, la procédure étant entièrement juridictionnalisée, les mandats étant transmis de juge à juge ; 4) un délai impératif de 90 jours à compter de l’arrestation doit être respecté[31] ; 5) la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen. Entré en vigueur le 1er janvier 2004, cette nouvelle procédure a révolutionné la pratique de l’extradition entre États de l’Union européenne en la rendant quasi automatique, notamment par la suppression du contrôle de la double incrimination pour une liste de 32 infractions graves, dont le terrorisme[32].

Au niveau institutionnel, Europol et Eurojust jouent un certain rôle dans la lutte contre le terrorisme et son financement.

Situé à La Haye, l’Office européen de police (Europol) a été créé par la Convention Europol du 26 juillet 1995. Il a connu une montée en puissance importante depuis le démarrage de ses activités le 1er juillet 1999 : doté d’un budget de 58,7 millions d’euros en 2004, il compte aujourd’hui environ 400 agents. Ses compétences matérielles ont été progressivement étendues et couvrent l’ensemble de la criminalité organisée transnationale, y compris le terrorisme[33].

Europol ne dispose cependant actuellement d’aucun pouvoir opérationnel, et permet uniquement des échanges d’informations entre les services répressifs des États membres, auxquels il fournit une analyse criminelle fondée sur des « fichiers d’analyse » consacrés à des thèmes précis de la criminalité internationale (terrorisme islamiste, réseaux pédophiles, traite des êtres humains, etc.[34]).

Après les attentats du 11 septembre 2001, une équipe de spécialistes antiterroristes, appelée « Task Force de lutte contre le terrorisme » (Counter Terrorism Task Force, cttf), a été mise en place au sein d’Europol. La pauvreté des informations échangées et sa faible valeur ajoutée ont conduit à sa suppression, le 1er avril 2003. A l’issue d’une période de transition, une unité contre le terrorisme (SC5) a pris le relais. Après les attentats du 11 mars 2004, le conseil d’administration d’Europol a finalement décidé de réactiver la Task Force de lutte contre le terrorisme. Ses effectifs devraient même être à terme renforcés[35]. Mais le profil des correspondants nationaux auprès d’Europol (des fonctionnaires qui ne sont pas parmi les plus expérimentés ou ayant exercé d’importantes responsabilités dans leur pays) montre que les États ne sont pas réellement encore décidés à jouer le jeu d’une action commune[36].

La contribution d’Europol à la lutte contre le terrorisme reste donc limitée, surtout en raison de la réticence des services des États membres à l’alimenter en informations[37].

Toutefois, Europol produit régulièrement des évaluations intéressantes de la menace terroriste, ainsi qu’un aperçu mensuel du terrorisme islamiste et un rapport annuel sur la situation et l’évolution du terrorisme (appelé te-sat, Terrorism Situation and Trend) afin d’informer le Parlement européen. Un glossaire des groupes terroristes a été élaboré, et la base de données sur les composants des bombes (qui existait déjà avant le 11 septembre 2001) est régulièrement enrichie[38].

En ce qui concerne Eurojust, cette unité installée à La Haye (comme Europol), a été instituée par une décision du Conseil du 28 février 2002, sa création ayant été décidée lors du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999. Composée de procureurs, de magistrats ou d’officiers de police ayant des compétences équivalentes, Eurojust est compétente pour l’ensemble de la criminalité organisée transnationale, dont le terrorisme[39].

Eurojust a pour mission de faciliter, soutenir et coordonner les enquêtes pénales transfrontalières ordonnées par les juges d’instruction ou les parquets des États membres. Eurojust peut notamment demander que les autorités compétentes d’un ou plusieurs États membres entreprennent une enquête ou des poursuites sur des faits précis, mettent en place une équipe commune d’enquête ou lui communiquent les informations nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Les États ne sont pas tenus de donner suite à ces demandes, mais doivent motiver leur refus (sauf si cela porte atteinte à des intérêts nationaux essentiels, au bon déroulement d’enquêtes en cours ou à la sécurité d’une personne[40]).

Le nombre de dossiers transmis à Eurojust concernant le terrorisme reste cependant faible : environ 6 % en 2003 (le trafic de drogue et les cas de fraude représentent près de la moitié des dossiers) et 7 % en 2004. Les réunions de coordination organisées par Eurojust sont toutefois utiles, de même que les réunions stratégiques consacrées au terrorisme, telle celle organisée au siège d’Eurojust en juin 2004. La plupart des États membres ont désigné des correspondants nationaux avec Eurojust pour les questions de terrorisme (il s’agit, en France, du directeur des affaires criminelles et des grâces[41]).

Dans un rapport adressé au Conseil en juin 2004, Eurojust a présenté plusieurs propositions visant à renforcer sa contribution à la lutte contre le terrorisme. Parmi les mesures proposées figurent notamment, outre la transposition complète et rapide de la décision instituant Eurojust dans tous les États membres, la mise en place d’un système de communication et d’information sécurisé, y compris une base de données. Un tel système est effectivement indispensable pour permettre à Eurojust de traiter les informations qui lui sont transmises par les États membres[42].

La lutte contre le financement du terrorisme dépend en effet de l’échange d’information entre les instances compétentes au plan national et communautaire. Pour cela, il importe de mettre en place des structures de coopération et d’échange englobant les autorités fiscales, les organismes de surveillance financière, le ministère de la Justice, les services de renseignement, les forces de l’ordre et les autorités responsables du gel administratif[43].

Pour mettre en oeuvre ce principe, plusieurs voies ont été envisagées: soit un rapprochement de la coopération directe entre services des différents États membres afin de les inciter à travailler davantage en commun et à échanger leurs informations sur la base du volontariat, soit la définition d’un principe général d’accès aux informations et renseignements retenus par un service à tout service répressif d’un État de l’Union qui le demanderait. Ce « principe de disponibilité » consiste donc à permettre à tout agent d’un service répressif d’un État membre qui a besoin d’informations de les obtenir de la part d’un service d’un autre État membre si celui-ci les détient ou est en mesure de les obtenir. L’accès à ces informations devient dès lors automatique, alors que la coopération policière fonctionne actuellement principalement sur la base de contacts directs et spontanés, certes utiles, mais qui ne peuvent à eux seuls conditionner la qualité de l’échange de renseignements[44].

C’est le principe de disponibilité qui semble emporter l’adhésion de l’Union. Un projet de décision-cadre suédois a, à cette fin, été présenté le 4 juin 2004 qui vise à rendre obligatoire l’échange des informations relatives aux enquêtes entre services répressifs, sans tenir compte des spécificités procédurales de l’État requis, et notamment l’éventuelle intervention d’une autorité judiciaire. Les informations échangeables sont celles qui sont détenues, ou pourraient l’être, par le service requis sans recourir à des mesures coercitives. Elles ne pourront par ailleurs pas être utilisées comme éléments de preuve, à moins de recourir parallèlement aux procédures traditionnelles d’entraide judiciaire en matière pénale[45].

La Commission a présenté une communication à ce sujet le 20 octobre 2004, où elle évoque un accès des autorités répressives aux bases de données des institutions financières sur la base de données cryptées, qui ne seraient lisibles qu’en cas de concordance entre un suspect et les informations que l’institution financière détient sur cette personne.

La transmission se fait notamment par l’intermédiaire des bureaux sirene[46] ou des unités nationales et des officiers de liaison Europol, ou directement entre services répressifs. Les règles de protection des données habituellement prévues pour ces canaux de communication sont applicables[47]. Les questions touchant à la protection des données sont en effet au coeur d’une grande partie du débat sur les moyens d’améliorer la lutte contre le financement du terrorisme. Toute dérogation aux directives communautaires sur la protection des données, aux fins de la prévention et de la détection des activités criminelles par exemple, doit être à la fois nécessaire, pertinente et prévue par la loi.

La communication de la Commission prévoit également l’amélioration de la traçabilité des virements, le renforcement du contrôle des systèmes informels de transfert de fonds (tel que l’hawala), un accroissement de la transparence des organisations caritatives et l’informatisation de l’échange d’informations entre les cellules de renseignement financier[48].

À cet égard, la mise en place du réseau crf.net, financée par les États membres et la Commission, vise à informatiser l’échange d’informations entre les cellules de renseignement financier.

Un autre projet de décison-cadre « sur la rétention de données traitées et stockées en rapport avec la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de données transmises par des réseaux de communications publics, aux fins de la prévention, la recherche, la détection, la poursuite de délits et d’infractions pénales, y compris du terrorisme » a été déposé par la France, la Suède, le Royaume-Uni et l’Irlande, en date du 28 avril 2004[49].

Le projet vise à imposer aux États membres la mise en place d’une législation rendant obligatoire la conservation par les opérateurs de communication (téléphonie, sms et mms, Internet) des données de trafic, de localisation et relatives à l’abonné ou à l’utilisateur. Les données concernant le contenu de ces communications ne sont pas concernées ; celles-ci relèvent en France d’un régime particulier, établi par la loi du 10 juillet 1991[50].

Certains États membres (l’Autriche et la Belgique notamment) ont proposé d’aller plus loin en créant une Agence européenne de renseignement (parfois qualifiée dans les médias de « cia européenne »). Cette proposition a été rejetée par la plupart des « grands » États membres, afin d’éviter d’ajouter une nouvelle structure à celles déjà existantes. Le risque de doublon avec Europol, en particulier, était réel. Les risques de « fuites » sont en outre jugés trop importants dans une Europe élargie, comme déjà mentionné[51].

La création d’une Unité d’analyse sur les menaces terroristes a en revanche été décidée au sein de l’actuel centre de situation conjoint (sitcen, Situation Center[52]), qui était jusqu’à présent uniquement chargé de l’analyse de la menace extérieure, et non intérieure. En pratique, une douzaine d’experts issus du groupe antiterrorisme (gat) s’ajouteront aux sept experts actuels du centre de situation, qui intégrera ainsi dans ses activités l’analyse de la menace intérieure[53].

Une autre proposition a été avancée, celle de l’interopérabilité et la création de synergies entre les diverses banques de données créées dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (Système d’information Schengen ii (sis ii), système d’information sur les visas, Visa Information System (vis) et Eurodac). Cette proposition supposerait une refonte du système actuel de protection des données à caractère personnel (notamment au regard du principe de finalité, qui interdit qu’une donnée à caractère personnel puisse être utilisée à une fin différente de celle pour laquelle elle a été collectée). Certains États membres se sont déjà prononcés et acceptent l’interopérabilité, sous réserve qu’elle ne conduise pas à une interconnexion de ces bases[54].

Conclusion

Malgré les efforts déployés tant au niveau législatif qu’à celui de la coopération judiciaire et policière par l’Union européenne et l’ensemble des membres de la communauté internationale pour lutter contre le financement du terrorisme, les résultats ne sont guère probants. Faut-il rappeler que depuis le 11 septembre 2001, seuls 133 millions de dollars américains ont été saisis dans le monde[55].

Peut-être faut-il se méfier de l’idée reçue selon laquelle la surveillance des flux financiers internationaux est le meilleur moyen pour lutter contre les réseaux terroristes. En effet, seuls 8000 euros ont été nécessaires pour les attentats de Madrid ; moins de 50 000 dollars pour les attentats de Bali d’octobre 2002 ; moins de 40 000 dollars pour les attentats d’Istanbul en novembre 2003 ; les attentats de New York ayant en revanche coûté entre 400 et 500 000 dollars[56]). Il paraît aussi difficile d’intercepter de si infimes sommes d’argent sans paralyser totalement les activités financières et bancaires.

Compte tenu de ces montants peu élevés, il est pratiquement impossible d’empêcher des groupes terroristes de disposer des fonds dont ils ont besoin, d’autant que les outils qu’ils utilisent pour se financer sont généralement très éloignés des mécanismes du blanchiment et de la haute technologie financière. Bien souvent, les réseaux locaux s’autofinancent en utilisant le produit de trafics divers et de la petite délinquance (escroquerie à la carte bancaire, trafic de drogue, etc.). Par ailleurs, quand ils ont recours à un financement extérieur, il prend de moins en moins la forme de transferts sur les marchés classiques de capitaux, mais relève davantage d’un usage détourné de fonds parfaitement légaux (utilisation de la technique de l’hawala qui permet d’effectuer des transactions financières sans circulation physique de l’argent, détournement des fonds d’organisations caritatives, etc.[57]).

Malgré les efforts de la communauté internationale qui s’ingénie surtout à renforcer un arsenal réglementaire dont la mise en oeuvre est déjà contraignante, une bonne part des mesures actuelles de lutte contre le financement du terrorisme sont donc inefficaces.Peut-être que la lutte contre le terrorisme et son financement ne passe pas nécessairement exclusivement par l’adoption de conventions, résolutions et par le renforcement de mesures répressives, policières et judiciaires. Elle devrait surtout s’accompagner d’une recherche des causes profondes du phénomène, causes extrêmement variées (économiques, politiques, culturelles), et s’attaquer à leurs racines, ce qui n’est pas une mince affaire.