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Au Moyen-Orient, l’eau est une denrée rare, donc stratégique. Riche en ressources énergétiques, la région souffre d’une carence hydraulique. La répartition très inégale de l’eau dans la région a créé plusieurs situations conflictuelles autour de la problématique hydrologique. La Mésopotamie avec le Tigre et l’Euphrate, la vallée du Nil, le bassin du Jourdain, le lac de Tibériade et le sud du Liban avec ses rivières comme Litani sont devenus des lieus de tension et sujet de friction entre les pays riverains, se trouvant en amont et en aval.

En dépit de l’importance de la question de l’eau dans cette région assoiffée, aride et semi-aride, elle n’a pas réussi à attirer l’attention nécessaire, dirigée surtout vers le pétrole à cause, entre autres, de son importance pour l’économie mondiale. C’est surtout à partir des années 1990 que l’eau préoccupe les observateurs de la scène moyen-orientale. Le Centre de recherches pour le développement international (crdi), une société d’État canadienne, a publié d’excellentes recherches sur la pénurie et l’enjeu de l’eau au Moyen-Orient. D’autres publications se sont arrêtées sur l’aspect politique de l’eau et sa place sur l’échiquier régional comme source de conflit ou agent de paix.

L’ouvrage de Marwa Daoudy étudie les liens existant entre l’eau et la sécurité dans la région de la Mésopotamie et l’impact stratégique et sécuritaire de l’allocation arbitraire des eaux du Tigre et de l’Euphrate pour les pays de la région. Il fait un recul historique afin d’établir le premier conflit pour l’eau de l’Euphrate au Sumer en 3100 av. J.-C.

La première partie du livre est consacrée au débat d’idées et aux outils conceptuels qui encadrent l’analyse. Dans le premier chapitre, l’auteure présente son cadre théorique, la méthodologie et les modèles de la négociation utilisés par la Syrie sur les eaux des deux fleuves. Ce chapitre présente une étude bibliographique exhaustive de la littérature sur la notion de négociation que l’auteure applique avec finesse à l’objet de sa réflexion : le rôle de négociation dans l’avortement de dérapage vers un conflit violent causé par le stress hydraulique.

La deuxième partie, La Syrie, riverain moyen dans les bassins de l’Euphrate et du Tigre. Les facteurs de contraintes endogènes, s’attarde sur les choix socio-économiques et la logique de développement hydraulique et agricole, comme facteurs conditionnant le comportement des dirigeants syriens dans la négociation sur le partage des eaux fluviales. Les grands projets hydrauliques et de construction de barrages par la Turquie agissent comme facteurs contraignants exogènes et influent sur les besoins de développement économique internes de la Syrie. Comment conjuguer et réconcilier les besoins des uns et des autres, constitue tout l’enjeu des rapports hydrologiques syro-turcs ! Le chapitre explique également le problème de la pollution des eaux souterraines en Syrie et la situation hydraulique de l’Irak.

Le troisième chapitre identifie les facteurs de contrainte exogène, c’est-à-dire les projets d’exploitation en amont par la Turquie, elle-même plongée dans une guerre d’usure avec sa minorité kurde. La rébellion kurde dans la région sud-est anatolienne, est aussi source d’une partie importante de la richesse hydraulique du pays. Le gouvernement d’Ankara est désespéré de développer économiquement la région kurde afin d’établir ce que l’auteure appelle une « sécurité sociétale ». La volonté turque de mettre fin ou, tout au moins, d’alléger le malheur perpétuel des Kurdes, négligés et réprimés pendant des décennies, a un impact direct sur le bien-être de la population syrienne.

Dans le chapitre quatre, La structure de la négociation : contexte historique et principes de droit international, Marwa Daoudy s’interroge sur les facteurs qui influent sur la position de pouvoir de la Syrie d’amener la Turquie à un accord sur les eaux fluviales. Les problèmes historiques non résolus entre la Turquie, héritière de l’Empire ottoman, et les composantes arabes du dernier empire musulman, devenues des États indépendants, questions liées aux contentieux territoriaux, refont surface. Les Arabes sont conscients des rapports de force qui leur sont défavorables dans cette équation. Membre indispensable de l’otan, la Turquie fait face à un Irak deux fois occupé par les forces non arabes et une Syrie de plus en plus isolée, donc paralysée dans ses rapports avec Ankara. Le chapitre étudie aussi le cadre juridique international relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux et son impact sur les relations difficiles des États en amont et en aval.

Un processus de négociation bilatérale syro-turque, vieille d’une trentaine d’années (1962-1993), fait l’objet du chapitre cinq. L’auteure y analyse les multiples crises sur l’eau entre le triangle Syrie/Irak/Turquie. Si les rapports turco-arabes relatifs au partage des eaux ont été laborieux, la Turquie et Israël ont réussi, en revanche, à signer, en mars 2004, un traité permettant la fourniture de l’eau turque par bateaux citernes à Israël. L’eau turque aurait un rôle positif à jouer dans l’instauration de paix entre Israéliens et Arabes par l’allègement des pressions hydrauliques sur les pays en conflit.

L’ouvrage de Marwa Daoudy est une contribution valable pour comprendre un problème complexe de sécurité, souvent négligé en faveur du conflit israélo-arabe qui consomme toutes les énergies et monopolise le débat au Moyen-Orient. Il est un outil important pour les étudiantes/ts d’études régionales comme pour les acteurs politiques qui doivent gérer les relations entre les États dans cette région.