Corps de l’article

Pour plusieurs Canadiens, et pour le monde, le maintien de la paix est un élément fondamental de notre identité nationale.

Bill Graham[1]

Pourquoi le maintien de la paix occupe-t-il une place aussi importante en politique étrangère canadienne depuis plus de cinquante ans ? Plusieurs réponses sont avancées pour expliquer cette situation. D’un côté, on soutient que le maintien de la paix témoigne des « valeurs canadiennes » parce qu’il assure la préservation de la stabilité internationale, chère aux Canadiens[2]. Il s’agit, dans ce cas, d’une externalisation des valeurs collectives canadiennes sur la scène internationale[3]. Ainsi, à l’instar des analyses qui portent sur l’usage de la force militaire par les démocraties libérales[4], cette conception propose que le libéralisme politique permet autant de justifier que de restreindre le recours à la force sur la scène internationale[5].

D’autres estiment que la participation canadienne aux opérations de maintien de la paix reflète les intérêts nationaux du pays. Ces intérêts incluent, entre autres, la recherche d’un environnement international stable et sécuritaire, assuré par la préservation de l’alliance entre l’Europe et les États-Unis[6], voire d’intérêts communs entre le Canada et ses alliés[7]. La première opération de maintien de la paix fut, par exemple, le résultat d’une tentative d’assurer la paix grâce à une étroite collaboration entre ces derniers[8]. L’idée derrière une telle conception des intérêts nationaux est que la recherche d’un contrepoids à la puissance américaine, et à ses tendances potentielles à l’employer unilatéralement, amène le Canada à privilégier une institutionnalisation des rapports interétatiques[9].

Enfin, bien qu’elle soit moins courante en politique étrangère canadienne, une autre conception de l’importance du maintien de la paix met l’accent non pas sur des impératifs stratégiques, mais plutôt sur les modes de pensée des dirigeants politiques[10]. L’idéologie de certaines élites serait dans ce cas à l’origine des pratiques militaires du Canada sur la scène internationale. Cette idée rejoint celle qui propose que la glorification du passé canadien en matière de maintien de la paix est entretenue intentionnellement par certains décideurs[11]. John English affirme par exemple que, pour les Canadiens, la participation passée du pays aux opérations de maintien de la paix ressemble davantage à une légende ou à un mythe qu’à une page d’histoire[12]. Le maintien de la paix est ainsi devenu, pour plusieurs, une dimension sine qua non du nationalisme canadien, et ce, essentiellement parce qu’il s’agit d’un élément qui permet de distinguer le Canada des États-Unis[13].

L’objectif de cet article est d’examiner comment les opérations de maintien de la paix sont parvenues à façonner d’une manière aussi marquante l’imaginaire de sécurité canadien. Il s’agit plus précisément d’en analyser une dimension particulière, soit le processus de légitimation de l’usage de la force militaire par les élites politiques canadiennes, grâce à l’utilisation systématique du symbole que représente le maintien de la paix pour les Canadiens. L’un des impacts de ce processus, vis-à-vis de pratiques militaires qui correspondent de moins en moins au symbole du maintien de la paix, est le développement d’un écart significatif entre la rhétorique et les faits. Il en résulte une crise de légitimation de l’usage de la force militaire au Canada. Autrement dit, cette crise de légitimation représente l’aboutissement d’un processus de distanciation progressif entre le référent central de la culture stratégique canadienne, le maintien de la paix, et sa pratique. L’ambiguïté croissante quant au rôle des Forces canadiennes sur la scène internationale, qui culmine actuellement avec l’engagement militaire en Afghanistan, atteste l’existence de cette crise.

Afin de mieux comprendre le lien entre l’imaginaire de sécurité canadien et l’usage de la force militaire, nous recourons au concept de culture stratégique. Ce dernier permet de théoriser l’écart entre la rhétorique et les faits et d’expliquer pourquoi les élites canadiennes ont tendance à recourir au symbole du maintien de la paix de même que les conséquences potentielles d’un écart significatif entre ce que préfèrent les Canadiens et ce que décident les dirigeants politiques.

L’argumentation est exposée en trois temps. Il s’agit d’abord de définir ce que nous entendons par « culture stratégique » et « imaginaire de sécurité ». Sont ensuite présentées les perceptions particulières des Canadiens quant au symbole du maintien de la paix. Enfin, le corps de l’argumentation montre l’émergence du maintien de la paix, puis l’évolution du recours à ce symbole par les élites politiques canadiennes comme source de justification de l’usage de la force militaire sur la scène internationale et ce, malgré le déploiement des Forces canadiennes dans des opérations qui prennent de moins en moins la forme d’opérations de maintien de la paix.

I – La culture stratégique

La signification du concept de culture stratégique est débattue parmi ceux qui y ont recours. Le débat porte essentiellement sur la nature du lien entre les deux dimensions que tente de réconcilier la notion de culture stratégique, c’est-à-dire les facteurs culturels (symboles, valeurs, croyances, principes, etc.) et les comportements stratégiques (l’usage ou la menace de l’usage de la force militaire). D’un côté, certains mettent l’accent sur la capacité explicative (ou régulatrice) des facteurs culturels. Dans cette perspective, les comportements stratégiques sont déterminés par une conception dominante de l’usage de la force, qui définit les circonstances où il est légitime de recourir aux forces armées[14]. D’un autre côté, plusieurs estiment qu’il est impossible de séparer, même pour des fins d’analyse, la culture des pratiques militaires. Pour ces derniers, l’objectif est d’examiner le contexte culturel dans lequel est légitimé l’usage de la force militaire et d’identifier la nature de celui-ci[15]. D’autres perspectives de la culture stratégique furent proposées[16], mais la plupart tentent dorénavant de se situer vis-à-vis de ce débat[17].

Dans cet article, nous adoptons l’idée qu’il est impossible pour les dirigeants politiques de s’extraire du milieu culturel dans lequel ils évoluent. De ce fait, les décisions stratégiques ne peuvent être séparées de leur bagage culturel. Pour comprendre les préférences stratégiques d’un État, il convient ainsi d’étudier l’interaction co-constitutive des pratiques et des facteurs culturels, plutôt que de tenter d’évaluer la capacité régulatrice de ces derniers. Dans cette perspective, nous appuyons Longhurst, qui définit la culture stratégique comme un « ensemble distinctif de croyances, d’attitudes et de pratiques à l’égard de l’usage de la force, entretenu par une collectivité et émergeant graduellement à travers le temps, qui persiste au-delà du moment de sa conception initiale, même s’il n’est ni permanent, ni statique[18] ». Cette définition a pour mérite de distinguer les périodes de constitution et d’évolution d’une culture stratégique, tout en préservant le rôle co-constitutif des comportements stratégiques et des facteurs culturels.

L’objectif de cet article n’est toutefois pas d’identifier la culture stratégique canadienne en fonction de chacune de ces deux dimensions. Il s’agit plutôt d’examiner l’une d’entre elles, c’est-à-dire la réification discursive du symbole du maintien de la paix par les dirigeants politiques dans l’imaginaire de sécurité canadien[19], dont l’aboutissement se traduit par une crise de légitimation de l’usage de la force militaire au Canada. Le rôle spécifique des pratiques militaires n’est donc pas abordé ici, tout comme celui des sous-cultures stratégiques (ou contestations) internes à la société canadienne[20].

L’imaginaire de sécurité se définit quant à lui comme « une structure de sens et de relations sociales bien établie à partir de laquelle sont créées des représentations du monde des relations internationales[21] ». En d’autres mots, il s’agit de l’environnement socioculturel à partir duquel sont élaborés les rôles, les préférences et les intérêts d’une société particulière en matière de sécurité. L’imaginaire de sécurité constitue ces derniers et leur donne un sens socialement accepté au sein de ladite société. Grâce, notamment, au recours à des symboles, cette structure idéelle est (ré)articulée au fur et à mesure des expériences vécues et contribue ainsi à la reproduction (et à la transformation) de l’imaginaire de sécurité. La culture stratégique représente donc une dimension spécifique de l’imaginaire de sécurité. L’usage de la force militaire est légitimé par la construction de raisonnements jugés plausibles et acceptables par une société[22], qui aboutissent autant à une délimitation des circonstances où le recours à la force est considéré admissible, qu’à un sentiment d’attachement à l’égard des mythes qu’ils contribuent à entretenir. Lorsqu’un écart significatif se constate entre les pratiques militaires et les fondements de sa légitimation sociale, l’on peut dès lors s’attendre à une crise de légitimité à l’égard du nouveau rôle émergent. Un besoin de légitimer ce dernier s’imposera et tendra à s’opérationnaliser sur des référents symboliques similaires à ceux privilégiés par le passé.

Cette compréhension de la culture stratégique adopte la prémisse selon laquelle la réalité est constituée par des interprétations sociales et subjectives sans lesquelles les faits matériels n’ont aucun sens. Puisque les variables matérielles (telles que les capacités militaires d’un État) doivent être justifiées et/ou légitimées pour être considérées valables, elles n’ont ainsi un sens qu’à travers les interprétations que l’on en fait au fil du temps[23]. Ainsi, malgré son caractère physique, la réalité est construite par des interactions sociales et discursives qui lui confèrent un sens collectivement partagé[24].

L’utilisation de symboles s’inscrit dans ce processus de construction de la réalité en ce qu’elle généralise des métaphores. En effet, le langage rassemble en une entité complexe des mots, des propositions, des mythes, des analogies, des rôles sociaux, et formule à partir de ceux-ci des symboles. L’entité complexe qui en résulte représente précisément le « sens » donné aux actions[25]. L’utilisation de symboles contribue ainsi au processus de construction de la réalité.

Le rôle de « gardien de la paix » des Forces canadiennes est un exemple de symboles créés discursivement par les élites gouvernantes. À partir d’événements et de circonstances exceptionnelles, plusieurs dirigeants politiques canadiens ont développé des analogies et des métaphores qui ont fortement imprégné l’imaginaire de sécurité canadien. À un point tel, d’ailleurs, que le maintien de la paix représente, plus de cinquante ans après la première opération de maintien de la paix, un élément incontournable de la culture stratégique canadienne. Avant de procéder à l’examen du processus de (ré)articulation discursive du symbole du maintien de la paix au Canada, il convient d’abord de préciser la signification de celui-ci auprès des Canadiens et de montrer leur attachement à son égard.

II – Le maintien de la paix dans l’imaginaire de sécurité canadien

Les interventions militaires du Canada ont contribué à forger la culture stratégique canadienne en créant des symboles, des mythes, en somme, une certaine image de soi[26]. Celle-ci se traduit notamment par un attachement sociétal à l’égard d’une conception traditionnelle du maintien de la paix. Peut-être en raison de la difficulté qu’éprouve le Canada à se définir[27], peut-être par accident ou par un besoin de se créer des mythes fondateurs[28], reste que les Canadiens se sont rapidement approprié l’image des Casques bleus à titre de représentation de soi et ont affiché, au cours des dernières décennies, une affection particulière à l’égard du maintien de la paix.

Dans leur première évaluation de l’opinion publique canadienne vis-à-vis des opérations de paix, Pierre Martin et Michel Fortmann soulignent qu’une forte majorité de Canadiens est en faveur, depuis la fin des années 1950, du déploiement des Forces canadiennes en vue de participer à des opérations de maintien de la paix[29]. Cette analyse est appuyée par d’autres évaluations de l’opinion publique. Vers la fin des années 1990, plusieurs sondages indiquent que la plupart des Canadiens estiment que le maintien de la paix demeure le rôle le plus important des Forces canadiennes[30] ou encore une facette primordiale de l’identité canadienne[31]. Dans leur seconde analyse sur le sujet, Martin et Fortmann relèvent non seulement une surprenante cohérence et stabilité de l’opinion publique canadienne (et ce, nonobstant des événements critiques tels que les missions en Bosnie et en Somalie), mais également une ouverture vis-à-vis de la nature changeante des opérations de paix. Bien qu’ils ne soient pas familiers avec les vocables « consolidation de la paix » et « imposition de la paix », les Canadiens semblent être en mesure de faire la distinction entre les opérations traditionnelles de maintien de la paix vis-à-vis d’autres types d’opérations nécessitant davantage de moyens d’action dans la promotion de la paix et la résolution des conflits[32].

Ceci dit, l’étude d’Evan Potter souligne que les Canadiens préfèrent catégoriquement les opérations de maintien à celles d’imposition de la paix :

Dans une proportion de deux pour un, les Canadiens préfèrent que les troupes continuent de jouer leur rôle traditionnel de maintien de la paix plutôt que de prendre part à des initiatives d’imposition de la paix, ce qui pourrait se traduire par la nécessité de combattre aux côtés des forces des Nations Unies. On observe ainsi que l’appui est beaucoup moins marqué lorsqu’il est question de missions visant à mettre fin à des guerres civiles ou exigeant le recours à la force pour restaurer la paix[33].

Les plus récents sondages appuient ces analyses et attestent de l’attachement persistant des Canadiens à l’égard des opérations de paix, et plus particulièrement à une conception traditionnelle du maintien de la paix[34]. Cet appui populaire en reflète l’enracinement profond au sein de l’imaginaire de sécurité canadien.

Bien que les Canadiens semblent être en mesure de distinguer les concepts d’opérations de maintien, de consolidation et d’imposition de la paix, il importe tout de même de les définir afin d’éviter toute ambiguïté. Le maintien de la paix fait référence aux forces multinationales déployées par une organisation internationale – les Nations Unies principalement, mais pas exclusivement – afin de créer une zone tampon entre des parties étatiques belligérantes. Le consentement de ces dernières est essentiel avant la mise sur pied d’une opération. Les Casques bleus qui y sont déployés n’ont le droit d’utiliser la force qu’en situation de légitime défense. Les interventions de l’onu à Suez et à Chypre sont souvent présentées comme des modèles d’opérations de maintien de la paix.

Au lendemain de la guerre froide, de nouveaux types d’opérations de paix sont sollicités afin de répondre à la complexité et à la nature changeante des conflits. Ces derniers ont plus souvent cours à l’intérieur des États qu’entre ceux-ci. À la demande du Conseil de sécurité, Boutros Boutros-Ghali présenta en 1992 l’Agenda pour la paix, dans lequel il recommande aux États membres de doter les Nations Unies des moyens nécessaires pour mettre sur pied des opérations de paix de plus grande portée, de manière à ce qu’elles soient en mesure de s’attaquer aux « causes fondamentales » des conflits. Les rapports subséquents viennent graduellement définir deux nouveaux types d’opérations : d’abord, l’imposition de la paix, et, plus récemment, la consolidation de la paix[35]. Ces opérations sont dites de « deuxième » et de « troisième génération ». Le premier type d’opérations fait référence au besoin de rétablir la paix sans nécessairement obtenir l’aval des parties en cause, qui ne sont plus limitées aux États. Les Casques bleus peuvent, dans ce cadre, recourir à la force afin d’imposer le mandat des Nations Unies. L’opération américaine en Somalie (unitaf), menée en 1993 avec l’aval de l’onu, en est un exemple. Le second type d’opérations vise à développer les capacités institutionnelles, socio-économiques, juridiques et politiques des États afin de prévenir le déclenchement d’hostilités ou une reprise de celles-ci. Les opérations de reconstruction et de développement internationaux (comme celle actuellement en cours en Afghanistan) s’inscrivent dans ce cadre. Ainsi, il s’agit d’opérations plus dangereuses sur le terrain, plus complexes que celles de maintien de la paix, et qui sollicitent de plus en plus l’aide d’organisations régionales (dont l’Alliance atlantique et l’Union africaine) et d’ong (care, oxfam et la Croix-Rouge par exemple).

Malgré ces distinctions techniques et sémantiques, dont les implications pratiques sont néanmoins manifestes, les Canadiens semblent attachés au symbole du maintien de la paix plus qu’à toute autre forme d’opérations de paix. Martin et Fortmann estiment que ceci est dû à l’idéalisme des Canadiens, qui repose sur des valeurs profondément ancrées dans la culture politique canadienne (multiculturalisme, tolérance, respect des droits de la personne, résolution pacifique des conflits, etc.[36]). Il s’agit d’ailleurs, pour Tessier et Legault, de l’un des seuls rôles des Forces canadiennes qui fasse consensus parmi tant les communautés francophones qu’anglophones[37]. Ce rôle de gardiens de la paix, que se sont approprié les Canadiens, repose ainsi sur un socle culturel commun qui définit, en retour, les intérêts du pays. Cette prédisposition favorable à l’égard des opérations de maintien de la paix contribue par exemple à l’idée, fortement répandue chez les Canadiens, que les intérêts du Canada sont mieux servis par le multilatéralisme que par l’unilatéralisme[38].

Les valeurs des Canadiens et les pratiques du Canada façonnent donc mutuellement la culture stratégique canadienne. Celle-ci est, selon Katzenstein, de nature « postmoderne », puisque l’usage de la force au Canada se « définit en termes de maintien de la paix plutôt que de défense de la souveraineté nationale[39] ». Les préoccupations canadiennes en matière de sécurité sont ainsi considérées être partagées par d’autres sociétés, conduisant les Canadiens à se définir comme « citoyens du monde » et à privilégier des politiques de sécurité destinées « à défendre [un] ordre international (plutôt qu’une sécurité nationale), sinon à le façonner pour le rendre encore plus conforme aux valeurs et aux idéaux canadiens[40] ».

La culture stratégique « postmoderne » du Canada l’amène à privilégier certains types de comportements stratégiques plutôt que d’autres. Comme le souligne Vennesson, dans un contexte sociopolitique postmoderne, la guerre est le « signe d’un échec politique » puisqu’il s’agit d’une entorse à la coopération et à l’ouverture sur lesquelles repose la sécurité des États[41]. Il en résulte une culture stratégique idealpolitik, qui se traduit par une aversion envers la guerre et un désir constant de l’éviter par l’entremise de la coopération et de la concertation[42].

L’objectif de la section suivante est tout d’abord de mettre en contexte l’émergence des opérations de maintien de la paix, puis d’examiner le processus discursif qui a contribué à faire du symbole du maintien de la paix un élément fondamental de la culture stratégique canadienne jusqu’à ce jour. Après son émergence due à des circonstances exceptionnelles, les dirigeants politiques canadiens ont effectivement utilisé le symbole du maintien de la paix afin de légitimer les interventions militaires du Canada, malgré le fait que ces dernières correspondaient de moins en moins aux référents culturels de la société canadienne.

III – Émergence et pérennité du maintien de la paix

L’ancien ministre de la Défense nationale, Art Eggleton, affirmait en janvier 2002 que « l’onu fait probablement partie de l’adn de la plupart des Canadiens[43] ». À l’heure actuelle, 82 % d’entre eux estiment effectivement que l’un des plus importants rôles du Canada sur la scène internationale est celui de médiateur dans le cadre de conflits interétatiques, c’est-à-dire de maintien de la paix au sens traditionnel du terme[44]. Si cet enthousiasme est maintenant bien ancré dans l’imaginaire de sécurité canadien, ce ne fut toutefois pas toujours le cas.

A — St-Laurent : la fondation d’un symbole

La crise de Suez de 1956 est l’un des points marquants de la politique étrangère canadienne. Suite à la nationalisation du canal de Suez par Nasser, l’armée israélienne attaqua militairement l’Égypte ; les Français et les Britanniques lancèrent conjointement un ultimatum aux deux parties afin qu’elles se retirent de la zone du Canal dans les douze heures. Constatant le refus égyptien d’obtempérer, les armées françaises et anglaises débarquèrent à Suez, créant ainsi l’une des plus grandes impasses politiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[45]. Selon l’image populaire au Canada, Lester Pearson, alors Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, créa une force internationale neutre ayant pour mandat de séparer les parties belligérantes. Cette initiative fut adoptée avec enthousiasme tant par l’Assemblée générale des Nations Unies que le public canadien[46]. En plus d’apaiser les tensions et d’être applaudie par la communauté internationale, cette initiative permit également aux Britanniques et aux Français de sortir d’Égypte la tête haute, sans subir la condamnation des Nations Unies[47]. Le prix Nobel de la paix, obtenu par Pearson pour son rôle joué dans le dénouement de la crise, servit à légitimer cette interprétation de l’histoire et représente encore aujourd’hui un élément de fierté nationale pour les Canadiens.

Les événements ne se sont cependant pas tout à fait déroulés de cette façon. Pearson fit face à une opposition provenant à la fois de l’onu, du Parlement canadien, mais aussi de la population canadienne en général. De surcroît, plusieurs observateurs estiment que la réussite de Pearson émana davantage d’un concours de circonstances que d’un plan bien orchestré[48].

D’une part, le gouvernement St-Laurent eut d’importantes difficultés à faire approuver sa proposition à la Chambre des communes. L’opposition conservatrice vociférait contre ce qu’elle considérait être une politique « de suivisme » à l’égard des États-Unis et critiquait la répudiation des liens historiques avec la Grande-Bretagne et la France[49]. On accusait également le gouvernement d’être irresponsable et de sur-utiliser l’armée au point de l’épuiser et de ne plus être en mesure d’intervenir ailleurs militairement, si besoin il y avait[50]. S’appuyant sur le mécontentement général, les Conservateurs déposèrent une motion de défiance envers le gouvernement, et ce, malgré le fait que John Diefenbaker, alors critique de l’Opposition officielle en matière d’Affaires extérieures, avait lui-même proposé de créer une force internationale semblable pour séparer Israël et les pays arabes en janvier de la même année[51]. Le vote n’obtint cependant que 36 voix favorables, permettant ainsi au gouvernement St-Laurent de survivre et de déployer les Forces canadiennes en Égypte. Cet épisode divisa néanmoins profondément le Parlement sur une question de politique étrangère, et ce, pour l’une des premières fois de l’histoire du pays[52]. Il s’agit, à l’instar de l’entrée en guerre en 1939, d’un moment-clé de la politique étrangère canadienne, en raison de la distanciation vis-à-vis de la Grande-Bretagne qu’elle provoqua, et donc d’un moment d’affirmation d’une politique étrangère véritablement indépendante de la mère patrie, voire de l’établissement de nouvelles préférences stratégiques.

D’autre part, la population canadienne n’était pas enthousiaste, du moins initialement, à l’idée d’intervenir en Égypte. L’image de la guerre de Corée était toujours fraîche dans la mémoire des Canadiens[53] et ces derniers ne voyaient pas quel était l’intérêt pour le Canada de dépêcher son armée dans un conflit qui leur était étranger[54]. La population n’a ainsi appuyé le déploiement des Forces canadiennes qu’a posteriori, après avoir constaté les réactions (positives) de la communauté internationale, mais surtout après que Pearson eut obtenu le prix Nobel de la paix[55]. L’appui populaire à la Force d’urgence des Nations Unies (funu) arriva cependant trop tard pour sauver les Libéraux lors des élections de 1957.

Le gouvernement St-Laurent a ainsi créé et développé le concept de maintien de la paix, nonobstant la réticence initiale des Canadiens. Ce n’est qu’après coup que la population et les médias se sont identifiés aux valeurs véhiculées par celui-ci. Un certain prestige était d’ailleurs associé à cette activité menée par l’onu, auquel la population était loin d’être réfractaire. Il faut dire qu’à l’époque, le gouvernement s’efforçait d’expliquer aux Canadiens que la participation à ce genre de missions, comme son implication au sein des grandes institutions multilatérales, octroyait une influence significative au pays[56].

L’engouement populaire à l’égard du maintien de la paix fut en revanche très rapide, au point d’influencer la politique étrangère du nouveau premier ministre Diefenbaker. Celui-ci n’était pas un fervent partisan des Nations unies et, contrairement à son prédécesseur, il considérait que les intérêts fondamentaux du Canada résidaient aux côtés de ses alliés traditionnels et non dans une quelconque région éloignée[57]. Quand, en 1960, le Conseil de sécurité autorisa la création de la Mission des Nations Unies au Congo (monuc), Diefenbaker s’opposa à l’idée d’y « offrir une quelconque assistance canadienne[58] ». Par contre, il fut contraint de revenir sur sa décision en raison de pressions populaires lui demandant de faire suite à l’orientation internationaliste qu’avait donné St-Laurent au pays[59]. Pour Yves Tremblay, les débats de juillet et d’août 1960 à ce sujet à la Chambre des communes témoignent de l’internalisation du symbole du maintien de la paix dans l’imaginaire collectif canadien[60]. Il est toutefois à noter que la nature de cette mission était différente de la funu dans le sens où les Casques bleus intervinrent dans un conflit intra-étatique. Cet élément n’affecta cependant ni la justification politique, ni l’appui populaire.

Les Canadiens ont ainsi développé très rapidement un attachement particulier à l’égard du maintien de la paix. Trois années suffirent pour faire changer la perception de la population canadienne à l’égard de l’orientation de la politique étrangère canadienne. Le symbole du maintien de la paix contribua donc à l’affirmation de nouvelles préférences stratégiques canadiennes sur la scène internationale. Ce changement fut manifeste au point d’influencer la politique étrangère de Diefenbaker en 1960 et ainsi transformer la perception populaire quant au rôle que devaient jouer les Forces canadiennes à l’étranger.

B — Pearson : le maintien de la paix tous azimuts

À son arrivée au pouvoir, Lester Pearson entendait mettre fin à près de six ans de tergiversations sur la question du maintien de la paix. Il croyait en celui-ci et souhaitait que le Canada y consacre des efforts de premier plan. Le maintien de la paix fut ainsi placé au premier rang des priorités du pays dans le Livre blanc sur la défense de 1964. Il s’agissait d’un changement « spectaculaire » par rapport aux politiques de défense précédentes[61]. Pearson organisa également une conférence internationale des pays contributeurs de Casques bleus à Ottawa en 1964, où il proposa notamment la création d’une force onusienne permanente, idée qu’il avait déjà proposée en 1957 dans un article de la revue Foreign Affairs[62]. Il jugeait d’ailleurs qu’en tant que « puissance moyenne, reconnue pour son appui aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, le Canada [jouissait] d’une position unique pour prendre cette initiative[63] ». Constatant le peu d’enthousiasme des autres États, il exprima son intention de doter le Canada d’un bataillon d’infanterie spécialement consacré au maintien de la paix pour que l’onu puisse intervenir rapidement, partout dans le monde.

Pearson n’eut cependant pas l’occasion de mettre cette volonté en application puisque seule la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (unficyp) fut autorisée par le Conseil de sécurité alors qu’il était en poste[64]. Cette situation est attribuable au manque de financement, mais surtout à l’indifférence du Conseil de sécurité à l’égard de ce dossier. Elle ne fit cependant pas changer la position du gouvernement canadien, ni celle de la population[65]. Il est d’ailleurs à noter qu’alors que les Canadiens croyaient que l’occupation première de leurs forces armées devait être le maintien de la paix onusien, seulement 1 920 des quelque 22 815 militaires déployés à l’étranger en 1965 agissaient sous mandat des Nations Unies[66]. Dès cette époque donc, un écart entre la perception des Canadiens et les actions du Canada se révélait.

C — Trudeau : la volte-face

En matière de politique étrangère, Pierre E. Trudeau fit rapidement savoir qu’il souhaitait se distancier de l’approche multilatérale adoptée par ses prédécesseurs libéraux. Contrairement à la majorité des décideurs politiques de l’époque, il ne croyait pas que le multilatéralisme servait adéquatement l’intérêt national du Canada[67]. Le Livre blanc sur la défense, publié en 1971, en témoigne explicitement : le maintien de la paix fut relégué au quatrième rang des priorités du gouvernement. Le Premier ministre considérait plutôt que les intérêts fondamentaux du pays étaient de se doter des moyens nécessaires pour préserver la souveraineté de son territoire, défendre le continent nord-américain et contribuer à l’Alliance atlantique afin de contrer une éventuelle attaque soviétique. En outre, il jugeait que les décideurs canadiens accordaient jusque-là trop d’importance à la place du Canada dans le monde ainsi qu’à la façon dont les autres nations le percevaient, négligeant ainsi les « vrais intérêts » du pays[68]. En d’autres mots, il inversa pratiquement l’ordre des priorités établi par Pearson quelques années plus tôt. Par exemple, à l’occasion du 25e anniversaire des Nations Unies (1970), il fut invité à prononcer un discours devant l’Assemblée générale, en plus de diriger le débat à cette occasion « historique ». Il déclina toutefois la proposition, démontrant son peu d’intérêt envers l’organisation.

Trudeau n’écarta cependant pas le maintien de la paix du revers de la main. À la Chambre des communes, il l’établit, en 1969, comme troisième priorité canadienne en matière de sécurité mondiale. Le Canada devait ainsi « [j]ouer un rôle dans les forces internationales de maintien de la paix et les initiatives non militaires visant à susciter la confiance et la force dans les modes d’action internationaux destinés à résoudre les conflits et dans un système d’ordre[69] ». De surcroît, le Canada exerça un rôle quantitatif plus important dans les opérations de maintien de la paix sous le gouvernement Trudeau que sous celui de Pearson. Trois missions furent mises sur pied durant ses mandats, et le Canada participa à chacune d’elles. Malgré ses réticences initiales à l’égard du maintien de la paix, il ne put résister à la demande personnelle du Secrétaire général de l’onu, Kurt Waldheim, de fournir des effectifs dans le cadre de la Force d’urgence des Nations Unies ii (funu ii) à Suez en 1973. Dans le cadre de cette mission, 1 012 militaires des quelque 7 000 déployés provenaient du Canada. Trudeau donna également son aval à la participation des Forces canadiennes à la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement sur le plateau du Golan (undof) ainsi qu’à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (finul). Au milieu des années 1970, il y avait davantage de Canadiens déployés dans des opérations de maintien de la paix qu’il n’y en avait dix ans plus tôt, sous le gouvernement Pearson.

En plus de la pression internationale, l’appui populaire canadien à ce type d’opération motiva également le gouvernement Trudeau à poursuivre l’engagement du Canada en matière de maintien de la paix. Cet appui demeura soutenu et sans équivoque, et ce, malgré quelques échecs et controverses associés aux missions canadiennes ainsi qu’à une couverture médiatique très critique[70]. Le ministre de la Justice de l’époque, Max Yalden, affirma d’ailleurs au premier ministre Trudeau que la culture, le caractère, la position géographique et la prospérité de la société canadienne l’avaient conduit à développer un « rôle spécial pour aider à apporter la paix et la santé d’esprit dans le monde[71] ». Trudeau lui-même ne demeura pas indifférent à l’attachement populaire à l’égard du symbole du maintien de la paix. En 1983, alors que les Libéraux tiraient de l’arrière dans les sondages vis-à-vis des Conservateurs, le Premier ministre exprima de plus en plus l’idée que le Canada devait exercer un rôle de leader mondial en matière de maintien de la paix[72]. Cette conviction, si elle servit à affirmer la distinction et l’indépendance du Canada vis-à-vis des États-Unis, reflétait néanmoins les mêmes référents culturels que lors des mandats de St-Laurent et de Pearson. Le discours du Trône de Trudeau en 1972 est éloquent à cet égard. Il stipula que le « Canada est engagé à l’amélioration du bien-être de tous, au règlement des différends par la raison et non par la force, à la pratique de la tolérance […]. Le Gouvernement, conséquemment, continuera de participer pleinement aux efforts de paix pour le bien-être des peuples partout dans le monde[73]. »

Déjà à cette époque donc, la force qu’occupait le maintien de la paix dans l’imaginaire de sécurité canadien était telle qu’elle contribua à faire de la politique étrangère de Trudeau le reflet insoupçonné des priorités établies par Pearson et St-Laurent. Cette volte-face est d’autant plus spectaculaire que le Canada fut plus actif au sein des opérations de maintien de la paix de l’onu durant cette période que jamais auparavant.

D — Mulroney : le début d’une transition

Dès son accession au pouvoir, Brian Mulroney s’empressa de repositionner les institutions multilatérales au haut de la liste des priorités du gouvernement canadien. Le discours du Trône de 1984 identifia ainsi la revitalisation des institutions internationales comme l’un des principaux défis que le pays devait relever afin de conserver sa position avantageuse sur la scène internationale. En 1988, lorsque le Canada se fit élire pour une cinquième fois comme membre non permanent du Conseil de sécurité, le premier ministre Mulroney vanta « le rôle important joué par le Canada, particulièrement en faveur du maintien de la paix, depuis la fondation de l’onu » et accueillit l’élection comme « un témoignage d’estime envers les hommes et les femmes qui ont servi dans les forces de paix[74] ».

La chute du mur de Berlin donna l’occasion rêvée au Canada de mettre en pratique ses préférences stratégiques. La fin de la guerre froide et le désengorgement du Conseil de sécurité qui en résulta laissèrent effectivement entrevoir la possibilité que les Nations Unies puissent mettre sur pied des opérations de paix bénéficiant de mandats plus larges. Le gouvernement Mulroney fut d’ailleurs l’un des plus fervents partisans d’une redéfinition des concepts de multilatéralisme et de souveraineté étatique et promut conséquemment un interventionnisme plus musclé pour les Forces canadiennes, tout en faisant allusion à l’héritage de Pearson pour le justifier.

Le Canada et les Canadiens ont inventé le maintien de la paix, et nous continuerons d’en prôner le recours […], comme moyen d’apaiser les tensions et les conflits régionaux. De même, la guerre dans l’ex-Yougoslavie a montré les limites des techniques essentiellement passives en matière de résolution de conflit, et nous devons être prêts à envisager des modes d’intervention plus actifs lorsque les circonstances l’exigent[75].

Si le gouvernement Mulroney accorda une place aussi importante aux opérations de maintien de la paix, c’est essentiellement en raison d’un appui populaire très important. Plusieurs ong exerçaient effectivement de fortes pressions afin que le gouvernement donne suite à l’appui « virtuellement unanime » de la société canadienne à l’égard du maintien de la paix[76]. L’enthousiasme des Canadiens à son endroit fut d’ailleurs tel qu’il donna parfois lieu à des propositions farfelues. Par exemple, le Council of 21 proposa de faire du maintien de la paix l’unique rôle des Forces canadiennes. Selon lui, cette initiative permettrait de se débarrasser des forces aériennes et navales, en plus de réintroduire la conscription pour les Canadiens sans emploi[77].

En revanche, alors que le maintien de la paix bénéficiait d’un appui populaire quasiment consensuel, Mulroney prit des décisions allant à l’encontre de l’image populaire. Ce fut notamment le cas lors des interventions de « deuxième génération », comme l’Opération des Nations Unies en Somalie i & ii (onusom) et la Force de protection des Nations Unies dans les Balkans (forpronu). Si ces opérations n’étaient manifestement pas du maintien de la paix au sens traditionnel du terme, les décideurs canadiens continuèrent tout de même à les présenter comme tel. La Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Barbara McDougall, soutint par exemple que :

Les Canadiens croient que nous avons inventé les missions de maintien de la paix. Non seulement nous les avons inventées, mais nous comptons parmi leurs défenseurs les plus actifs […]. Aujourd’hui, le Canada participe à 15 missions de maintien de la paix dans le monde, du El Salvador au Cambodge, en passant par la Somalie et la Bosnie[78].

De son côté, Brian Mulroney rappela que :

Lester Pearson, qui a reçu le Prix Nobel de la paix pour son initiative de maintien de la paix lors de la crise de Suez, a expliqué ainsi le but qu’il poursuivait : « La meilleure arme pour défendre la paix n’est pas le pouvoir, mais la suppression des causes de la guerre et la conclusion d’accords internationaux qui assoiront la paix sur une fondation plus solide que la terreur de la destruction. » Voilà pourquoi nous nous joignons à l’opération de l’onu en Somalie et voilà pourquoi nous avons quelque 2 400 militaires dans les républiques de l’ex-Yougoslavie […][79].

En plus de faire répétitivement allusion à la politique de Pearson, Mulroney distingua aussi clairement la mission de « maintien de la paix » en Yougoslavie par rapport à la guerre du Golfe qui, elle, engendrait « carnage et destruction[80] ».

Une telle utilisation du symbole du maintien de la paix conduisit les Canadiens à croire que leurs forces armées étaient encore utilisées dans le cadre d’opérations traditionnelles, alors que le Canada amorçait une transformation progressive du type de missions dans lesquelles il s’impliquait. À ce titre, certains avertissaient déjà les décideurs politiques que le « nouveau multilatéralisme » risquait de désillusionner la population à plus ou moins long terme s’il n’était pas clairement défini[81]. Au niveau politique, le chef de l’Opposition officielle, Jean Chrétien, critiqua d’ailleurs la position du gouvernement lors de la guerre du Golfe, et l’enjoint de « revenir à son rôle traditionnel de gardien de la paix[82] ».

En somme, à partir du début des années 1990, un écart significatif se constate entre les pratiques militaires et la rhétorique en ce qui a trait aux activités des Forces canadiennes, écart beaucoup plus net que celui constaté au cours des années 1960. Il s’agit d’un second moment clé de la politique étrangère canadienne, qui amorce une transition majeure quant au rôle de l’armée canadienne sur la scène internationale. En revanche, cette transition est marquée par une justification de l’usage de la force grâce au symbole du maintien de la paix. La poursuite de cette situation au cours des années qui suivirent, notamment par ceux-là mêmes qui s’opposaient à un écart vis-à-vis du rôle de « gardien de la paix », montre la prégnance d’un tel acte politique.

E — Chrétien : entre réticences et innovations

Contrairement à son prédécesseur, Jean Chrétien n’était pas fervent des opérations de « deuxième génération », lui-même personnellement inconfortable avec ce nouveau genre d’interventions[83]. Plusieurs estiment qu’il souhaitait se distancer de l’approche internationaliste de Mulroney. Il aurait ainsi privilégié une stratégie de procrastination, consultant fréquemment le Parlement sur les questions de politique étrangère[84]. Lorsque le conflit en ex-Yougoslavie commença à se détériorer, il convoqua même un débat spécial aux Communes, chose qui ne s’était pas vue depuis W.L. Mackenzie King. Certains vont jusqu’à dire que les années Chrétien ont marqué le retrait le plus significatif de l’internationalisme multilatéral depuis 1956, au point de ressembler davantage à une forme d’isolationnisme[85].

En dépit de ses réticences, le premier ministre Chrétien contribua néanmoins à plusieurs égards à l’innovation des interventions des Nations Unies. En plus d’exercer de fortes pressions afin que l’onu se dote d’un « Centre de crises » qui fonctionne vingt-quatre heures par jour, il mit également sur pied le Centre Pearson pour le maintien de la paix, dont l’objectif est de former les futurs Casques bleus. En outre, le gouvernement Chrétien fut l’un des principaux instigateurs de la Brigade multinationale d’intervention rapide des forces en attente des Nations Unies (birfa) et l’un des acteurs les plus actifs dans le processus de réforme de l’onu.

Si la population continuait d’appuyer fortement la participation du pays aux opérations de maintien de la paix, ce ne fut toutefois pas le cas pour les missions spécifiques en Yougoslavie et en Somalie[86]. La médiatisation de ces conflits et les difficultés rencontrées par les militaires vinrent jeter sporadiquement une ombre sur l’enthousiasme des Canadiens à l’égard du maintien de la paix. Ce phénomène témoigna d’une rupture entre la vision pacifique des opérations de paix, chérie par les Canadiens et entretenue par les décideurs, vis-à-vis d’une réalité plus belliqueuse vécue par les militaires.

Malgré ceci, le gouvernement Chrétien autorisa des missions, qui n’étaient pas de maintien de la paix, en légitimant les « nouvelles » pratiques militaires du Canada grâce au symbole du maintien de la paix. Ce fut le cas de la participation canadienne à la Force de mise en oeuvre en Bosnie-Herzégovine (ifor) et à la Force de stabilisation (sfor), toutes deux conduites sous l’égide de l’otan. Ainsi, en 1995, alors que la mission de l’onu était terminée et que les militaires canadiens oeuvraient sous les auspices de l’otan, Jean Chrétien continua tout de même à justifier l’intervention canadienne dans les Balkans par des impératifs de maintien de la paix. « Les Canadiens et Canadiennes sont très fiers de notre riche tradition de maintien de la paix, et nous sommes tous fiers que la présence canadienne dans les Balkans ait contribué à préparer un terrain pour un accord de paix[87]. » De surcroît, craignant que le Canada s’éloigne de son rôle « pacifique » sur la scène internationale, les partis d’opposition à la Chambre des communes pressèrent le gouvernement canadien de préciser le rôle des Forces canadiennes dans les Balkans. Chrétien assura la population que les troupes canadiennes qui participeraient aux opérations militaires en Macédoine et en Albanie seraient « une force de maintien de la paix » et qu’elles seraient là « pour aider à soulager […] ceux qui sont victimes tous les jours de tragédies[88] ». Enfin, à la suite du début des bombardements de l’otan au Kosovo, en avril 1999, le premier ministre Chrétien souligna que « [n]ous avons été les premiers à écarter l’idée d’une force de maintien de la paix uniquement composée de membres de l’otan pour préconiser une force multinationale de l’onu[89]. » Une telle force ne sera cependant pas mise sur pied, mais les militaires canadiens contribueront à environ 6 % des 30 000 sorties aériennes effectuées par l’Alliance atlantique contre le régime de Slobodan Milosevic.

À la suite des attentats terroristes de septembre 2001, le gouvernement Chrétien invoqua l’article cinq du Traité de l’Alliance atlantique, qui stipule qu’une attaque contre un membre de l’Alliance est une attaque contre tous ses membres. C’est dans ce cadre qu’il donna son aval au déploiement des Forces canadiennes en Afghanistan aux côtés des États-Unis (Opération Apollo) en octobre 2001. Cette dernière, en plus de ne pas être sous mandat onusien, n’était chapeautée par aucune autre organisation internationale[90]. Le premier ministre Chrétien prit cependant soin de mentionner que les Nations Unies devaient avoir leur mot dire en Afghanistan lorsque le régime taliban tomberait. Le nouveau gouvernement afghan « devra être installé par les bons offices des Nations Unies ». Il poursuivit en affirmant que « [s]’il y a une proposition pour l’envoi de Casques bleus, peut-être que nous aurons un rôle à jouer – parce que nous avons tendance à être invités lors des opérations de maintien de la paix[91] ».

Aucune proposition de la sorte n’eut lieu. Contrairement à ce que certains affirment, la Force internationale d’assistance et de sécurité (fias) de l’otan, déployée en Afghanistan avec la caution de l’onu, n’en est pas une de maintien de la paix[92]. Bien qu’elle puisse a priori ressembler aux opérations d’imposition de la paix dans les Balkans, son mandat n’est toutefois pas le même puisque les militaires canadiens n’y sont pas neutres (ils appuient ouvertement le gouvernement Karzaï) et peuvent utiliser la force pour atteindre leurs objectifs[93]. Malgré ce quasi-consensus à l’égard de la nature de la force, le premier ministre Chrétien présenta la participation du pays à la fias comme étant du maintien de la paix[94]. Il précisa en outre que l’intervention représentait « un engagement inébranlable envers les valeurs de la démocratie, les droits de la personne et le règlement pacifique des conflits[95] » de même qu’un effort de « rétablissement de la paix[96] » et de « reconstruction[97] ». Selon les définitions fournies précédemment, il serait donc plus juste de qualifier cette mission comme une opération de consolidation de la paix ou de « troisième génération ». Par exemple, lors de son passage en Afghanistan, le premier ministre Chrétien dit aux militaires canadiens qu’ils devaient être fiers puisque « la paix que vous aidez à instaurer permet à quatre millions d’enfants, dont un million de fillettes, de reprendre le chemin de l’école, soit le plus grand nombre de l’histoire de l’Afghanistan[98] ».

Au cours de ses trois mandats, le gouvernement Chrétien contribua ainsi à l’innovation des opérations de paix, tout en éloignant la politique étrangère canadienne des préférences des Canadiens. Il délaissa les missions conduites sous l’égide de l’onu pour se concentrer progressivement sur les opérations de l’Alliance atlantique[99]. Alors qu’au début des années 1990, environ 10 % des Casques bleus mondiaux étaient des Canadiens, cette proportion chuta drastiquement au point où, en avril 2006, seulement 0,002 % des effectifs onusiens en mission provenaient du Canada[100]. Chrétien légitima néanmoins les interventions militaires canadiennes en invoquant le symbole du maintien de la paix, à l’instar de ses prédécesseurs.

Jusqu’aux attentats terroristes de septembre 2001, l’appui populaire à l’endroit des interventions militaires canadiennes demeura élevé[101]. Cet appui n’est cependant pas représentatif puisque la plupart des Canadiens croyaient que les Forces canadiennes étaient déployées dans des missions de maintien de la paix[102], ce qui était, la très grande majorité du temps, faux. L’intervention de la birfa en 2000, qui instaura une zone tampon entre l’Éthiopie et l’Érythrée (minuee), est considérée être la seule mission de maintien de la paix instaurée depuis la fin de la guerre froide. Seulement 450 Canadiens y ont pris part, et ce pour une période de six mois seulement. L’usage du symbole du maintien de la paix, de même que la référence répétitive à l’héritage de Pearson, alimenta l’écart entre la rhétorique symbolique et les pratiques militaires du Canada.

F — Martin creuse l’écart

N’exerçant les fonctions de Premier ministre que pendant 18 mois, Paul Martin contribua tout de même à accentuer l’écart entre les comportements stratégiques du Canada et la rhétorique symbolique en recourant au symbole du maintien de la paix. En mars 2004, il souligna par exemple que le Canada a

fait sa part et davantage au fil des ans […] dans le maintien de la paix ou d’autres domaines primordiaux. Là où se manifestent la douleur et la souffrance, vous trouverez des Canadiens et des Canadiennes issus de divers milieux en train d’apporter leur aide. L’Afghanistan et Haïti ne sont que les exemples les plus récents, où les Canadiens et les Canadiennes membres de nos Forces armées défendent la cause de la démocratie avec courage et compassion[103].

Quelques jours plus tard, il affirma que « le Canada restera fidèle à sa pratique bien établie de défendre les droits de la personne, de participer à des opérations de maintien de la paix et de travailler dans d’autres secteurs d’importance internationale[104] ». Or, si la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (minustah) et la fias à Kaboul (Afghanistan) peuvent, dans une certaine mesure, être considérées comme des missions de consolidation de la paix (à l’instar des Balkans[105]), l’intervention actuelle des Forces canadiennes à Kandahar s’en éloigne considérablement.

Pour légitimer ce changement de stratégie, le gouvernement Martin introduisit l’idée des forces « robustes » de maintien de la paix. Le ministre de la Défense nationale, Bill Graham, soutint par exemple que

pour être efficaces dans les opérations robustes de maintien de la paix d’aujourd’hui, il est évident que nos troupes doivent être à la fois des guerriers, des diplomates et des travailleurs humanitaires. […] L’image du guerrier-diplomate-humanitaire est certainement conforme avec l’approche des « 3-D » du gouvernement dans les affaires internationales – c’est-à-dire l’intégration des efforts diplomatiques, de défense et de développement[106].

La mission de la fias à Kaboul était un exemple de cette nouvelle approche où les militaires canadiens effectuaient parallèlement des opérations « traditionnelles de sécurité et de stabilisation » telles que les patrouilles urbaines, de même que des efforts de « reconstruction institutionnelles » et d’« aide humanitaire[107] ». Selon Graham, la nouvelle mission des Forces canadiennes à Kandahar allait également s’inscrire dans ce cadre. « Les missions de maintien de la paix exigent parfois de s’engager dans des opérations plus risquées afin d’atteindre la stabilité », soulignait-il en juillet 2005[108]. Malgré ces nouveaux risques, les soldats canadiens

contribuent fièrement à l’héritage de plus de 125 000 militaires des forces terrestres, maritimes et aériennes qui, depuis près d’un demi-siècle, servent notre pays dans diverses missions de paix. Plusieurs ont dit que le maintien de la paix est devenu une partie intégrante de notre héritage national. C’est certainement quelque chose que nous, en tant que Canadiens, considérons essentiel et important[109].

Quant au premier ministre Martin, il insista sur le caractère de « reconstruction » de la nouvelle mission à Kandahar. À la suite du décès d’un soldat canadien, il déclara que « [l]es membres des Forces canadiennes, hommes et femmes, sont en Afghanistan pour aider à établir la paix, la stabilité, mais aussi pour faire renaître l’espoir et préparer l’avenir du peuple afghan[110] ».

En fait, initialement dans le cadre de l’opération américaine Enduring Freedom (oef), puis sous le commandement de l’otan, les Forces canadiennes déployées à Kandahar ont pour mission, pour la plupart, d’affirmer l’autorité du gouvernement Karzaï dans la région, réputée très hostile. Il s’agit de traquer et d’éliminer, par la force si nécessaire, les opposants au nouveau gouvernement afghan, dont principalement les membres d’Al-Qaïda, les talibans et certains « seigneurs de la guerre ». Plusieurs centaines d’entre eux ont d’ailleurs été tués lors d’affrontements directs avec les forces de l’otan ou lors d’attentats suicides contre ces dernières.

Comme ses prédécesseurs, le gouvernement Martin eut néanmoins recours au symbole du maintien de la paix afin de légitimer des interventions de plus en plus offensives. Les préférences stratégiques des Canadiens à l’égard des missions de paix furent ainsi articulées par les dirigeants canadiens en transformant graduellement l’analogie de l’héritage historique de Pearson de manière à justifier des interventions militaires qui font de moins en moins échos aux valeurs des Canadiens. Le maintien de la paix, référent central de la culture stratégique canadienne, qui fut d’abord ébranlé lors des échecs en ex-Yougoslavie et en Somalie, semble définitivement à bout de souffle depuis le déploiement des militaires canadiens à Kandahar.

G — Harper : la fin d’un symbole ?

La nature plus belliqueuse de la nouvelle mission canadienne en Afghanistan fut constatée avec un nombre croissant de décès chez les militaires canadiens. En 2006 seulement, plus du triple de soldats canadiens tombèrent au combat en Afghanistan que ce ne fut le cas au cours des interventions en ex-Yougoslavie et en Somalie réunies. Au caractère offensif de la mission, une grande partie de la population canadienne s’est opposée. En mars 2006, 62 % des Canadiens s’opposaient à la présence de troupes canadiennes en Afghanistan. Une semaine plus tard, cette opposition baissait à 45 %, puis remontait à 54 % en mai 2006[111]. Une étude publiée un mois plus tard révélait que 51 % des Canadiens préféraient des missions de « support à la paix » (lire Afghanistan), contre 46 % qui privilégiaient celles de « maintien de la paix[112] ». Un autre sondage effectué durant la même période indiquait un appui de 59 % à l’envoi de troupes canadiennes en Afghanistan[113]. En septembre 2006, cet appui chutait à 49%[114].

Alors que l’appui populaire à la mission en Afghanistan risque d’osciller en fonction de la couverture médiatique du décès de soldats canadiens, ce qui demeure essentiel de relever est l’ambivalence des Canadiens à appuyer une intervention militaire qui ne correspond pas au symbole du maintien de la paix. L’appui populaire fut, par exemple, très élevé (58 % en faveur, contre 20 % qui s’oppose) à l’égard d’une force de maintien de la paix de l’otan au Sud-Liban[115]. Il s’en dégage une certaine ambiguïté chez les Canadiens vis-à-vis du « nouveau » rôle des Forces canadiennes sur la scène internationale, ambiguïté qui atteste l’existence d’une crise de légitimation de l’usage de la force au Canada. Bernard Descôteaux, directeur du quotidien Le Devoir, posait ainsi la question suivante : « Pourquoi, à la place de l’Afghanistan, n’enverrait-on pas des soldats en mission de paix au Darfour ou encore au Sud-Liban, où leur présence serait plus naturelle pour le Canada et surtout plus urgente en raison des problèmes auxquels ces pays font face ? Dans l’esprit de la majorité des Canadiens, la réponse s’impose d’elle-même[116]. » L’usage systématique par les gouvernements canadiens du symbole du maintien de la paix comme source de justification de l’usage de la force militaire a tellement contribué à façonner la culture stratégique canadienne en fonction de ce symbole qu’il est désormais difficile de concevoir un nouveau rôle pour les Forces canadiennes sur la scène internationale.

Critiqué par tous les partis d’opposition sur l’engagement prolongé du Canada en Afghanistan (prévu jusqu’en février 2009[117]), le gouvernement Harper ne justifia pas, de manière générale, cette mission en termes de maintien de la paix. Les nombreux observateurs et les médias n’ont d’ailleurs cessé de souligner le caractère « offensif » de l’engagement canadien. Le gouvernement Harper choisit plutôt de mettre l’accent sur la dimension de « reconstruction » de la mission, faisant davantage référence à une forme de consolidation de la paix. Ainsi, le ministre de la Défense nationale, Gordon O’Connor, soulignait que « partout au pays, des édifices sont reconstruits. Des réfugiés retournent à la maison. Des marchés sont établis. Et des petites filles vont à nouveau à l’école[118] ». Prenant la parole devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le premier ministre Harper déclara :

Voilà pourquoi le Canada prend part à des travaux tels que la reconstruction des écoles de fillettes, détruites par les talibans ivres de haine. Voilà pourquoi nous avons augmenté au printemps dernier notre aide au développement, portant la contribution totale du Canada à près d’un milliard de dollars sur dix ans, afin d’aider le peuple d’Afghanistan. Ces deux actions – reconstruction d’une société éclatée et environnement sécuritaire stable – vont de pair[119].

Toutefois, faisant référence au décès de soldats canadiens, attaqués alors qu’ils distribuaient des bonbons à des Afghans, le premier ministre Harper affirma que la mission canadienne était « compliquée » et que, « [r]écemment, certains soldats canadiens [avaient] été tués dans leur rôle de maintien de la paix[120] ». Il est donc à se demander si le recours au symbole du maintien de la paix tire réellement à sa fin. Ce qui demeure, en revanche, est que le point culminant de l’ambiguïté des Canadiens et des critiques des médias et des partis d’opposition survient au moment même où le gouvernement canadien ne peut plus justifier l’usage de la force par les militaires canadiens grâce au symbole du maintien de la paix. Une crise de légitimité est donc en cours à l’heure actuelle.

Conclusion

Le maintien de la paix a contribué à façonner de manière évolutive et dynamique la culture stratégique canadienne. Symbole puissant de légitimation du recours à la force militaire, il fut systématiquement utilisé par les élites politiques. L’étude de cette articulation discursive révèle que le contexte culturo-stratégique fut marqué par deux périodes de transition quant à la nature du rôle des Forces canadiennes sur la scène internationale. Une première entre 1956 et 1960, où les Canadiens ont inscrit le maintien de la paix comme principal objectif de la politique étrangère canadienne, et une seconde, s’amorçant au début des années 1990, où les Canadiens ont graduellement intégré les implications de la nouvelle donne internationale dans leur perception du rôle que doit jouer le Canada à l’étranger.

Cette dernière période n’a toutefois pas abouti à une identification claire des termes du nouveau rôle. Les perturbations associées aux échecs en Yougoslavie et en Somalie, de même que la nature offensive de la mission à Kandahar, attestent de la prégnance du maintien de la paix dans l’imaginaire de sécurité canadien. Le recours systématique à ce symbole a certainement contribué de manière significative à cet état des choses. En revanche, le Canada se retrouve, à l’heure actuelle, dans une période de crise de légitimation de l’usage de la force. En l’absence d’un nouveau rôle clair pour les Forces canadiennes, soutenu par une forte majorité de Canadiens, il est à se demander si les dirigeants politiques canadiens développeront de nouveaux symboles collectifs afin de légitimer un usage plus « offensif » à la force militaire, ou s’ils continueront de recourir, à l’instar de leurs prédécesseurs, à celui du maintien de la paix afin de gagner le coeur et l’esprit des Canadiens. En d’autres mots, la question est désormais de savoir si les pratiques militaires s’ajusteront aux référents culturels de la politique étrangère canadienne, ou s’ils transformeront la nature de la culture stratégique du Canada.