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L’histoire contemporaine de l’Asie du Sud est d’abord celle d’une désintégration. En 1947, la partition des Indes britanniques donne le jour aux républiques indienne et pakistanaise, cette dernière elle-même scindée en deux parties occidentale et orientale[1]. Elle entraîne le déplacement d’une dizaine de millions de personnes et la mort d’un demi-million d’entre elles. La désintégration se poursuit avec la guerre de sécession du Pakistan oriental qui devient Bangladesh en décembre 1971. L’Inde et le Pakistan se font trois guerres, dès l’indépendance pour la possession du Cachemire, en 1965 et en 1971. Un effort de réconciliation est entrepris en 1985 avec la création à Dacca (Bangladesh) de l’association pour la coopération régionale en Asie du Sud (saarc en anglais). Elle rassemble l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh mais aussi les États himalayens du Népal et du Bhoutan et les États de l’océan Indien Sri Lanka et les Maldives[2]. Eclipsant les nationalismes, la charte de Dacca poursuit l’objectif d’une amélioration du bien-être des populations de l’Asie du Sud. Elle propose des coopérations techniques pour faire face à des problèmes communs d’éducation, de santé, d’environnement ou de transports. Dix ans plus tard les pays membres cherchent à développer le commerce régional : ils signent un accord préférentiel[3]. A la fin des années quatre-vingt-dix les nationalismes reprennent le dessus. En 1998 l’Inde et le Pakistan effectuent des essais nucléaires. Une détente s’amorce à nouveau au début de l’année 1999 avec la visite à Lahore, capitale du Pendjab pakistanais, du premier ministre indien, Atal Bihari Vajpajee, pourtant dirigeant du parti nationaliste, à l’invitation de son homologue Mian Nawaz Sharif. Dans les mois qui suivent, le chef d’état-major pakistanais Musharraf lance une offensive dans l’Himalaya et renverse le gouvernement[4]. Les dirigeants de la saarc ne se réunissent pas entre 1999 et 2001. Après le 11 septembre 2001 et sa coopération renouvelée avec les États-Unis, le pouvoir pakistanais rouvre le dialogue avec l’Inde. En janvier 2002 en pleine guerre d’Afghanistan, les chefs d’État et de gouvernement de la région se rencontrent à Katmandou (Népal).

I – Les inégalités et les rivalités régionales

La forte croissance démographique de l’Asie du Sud la fait héberger aujourd’hui un milliard cinq cent millions de personnes, soit le quart de l’humanité. Malgré le développement rapide de certains secteurs de l’économie indienne, le sous-continent ne produit toujours que 2 % à 3 % de la richesse mondiale. Ses besoins de développement sont immenses et seule la stabilité régionale peut permettre d’y faire face.

Les pays membres de la saarc sont d’une considérable inégalité. Avec plus d’un milliard d’habitants, l’Inde rassemble les trois quarts de la population du sous-continent là où le Bhoutan compte deux millions de personnes et les Maldives, trois cent mille. Elle produit aussi les trois quarts de la richesse. Ses voisins craignent d’être satellisés par une intégration régionale qui remettrait en cause les efforts consentis depuis l’indépendance.

En vingt ans d’existence, l’association régionale n’est pas parvenue à offrir un cadre au règlement des différends. L’Inde s’y refuse, espérant tirer bénéfice de sa puissance dans ses rapports bilatéraux avec ses voisins. Ses progrès économiques ne résultent pas d’une intégration régionale mais plutôt d’une insertion dans le marché mondial, fruit de politiques nationales.

Le pays dominant en Asie du Sud ne peut cependant faire abstraction de sa situation géographique. À ses frontières occidentale et orientale, trois cents millions de personnes peuplent les deux États musulmans issus de la partition. De puissantes forces de désintégration travaillent ses voisins pakistanais et sri-lankais. Le gouvernement de Colombo et la rébellion des Tigres tamouls ne parviennent pas à faire la paix. Le gouvernement pakistanais combat les forces islamistes dans la province du Waziristan, mais ses services secrets sont soupçonnés d’appuyer les groupes qui agissent au Cachemire et qui pourraient être à l’origine des attentats à Mumbaï en juillet 2006. Un fragile accord est intervenu au détriment du roi du Népal entre les partis et la guérilla maoïste. Des groupes islamistes ont en 2005 fait exploser des bombes au Bangladesh. L’Inde ne peut espérer confirmer son développement économique si l’instabilité régionale effraie les investisseurs. Elle a tout à craindre de la fragilité de ses voisins. L’extrême pauvreté des populations népalaises et bangladeshi favorise dans un cas la guérilla maoïste et dans l’autre la dérive islamiste. Au sommet de la saarc en 2005, le Premier ministre indien rappelle qu’un pays ne choisit pas ses voisins mais qu’il a l’obligation de travailler avec eux. C’est poser justement la question de l’intégration régionale, c’est-à-dire l’aptitude à coopérer avec les voisins.

Or la coopération régionale en Asie du Sud regroupe des États qui se pensent toujours pour parties comme adversaires. Contrairement à l’Europe ou à l’Asie du Sud-Est, l’ennemi réel ou fantasmé n’est pas dehors mais dedans. Le Pakistan mais aussi le Bangladesh et Sri Lanka ont regardé vers la Chine et vers l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ansea) pour s’affranchir de la domination indienne. Ces relais extérieurs leur offrent une marge de manoeuvre mais là encore la situation géographique se rappelle à eux. C’est avec l’Inde que le Bangladesh et le Pakistan doivent négocier le partage des eaux de l’Indus et du Gange et l’ansea a écarté la demande d’adhésion de Sri Lanka, pays de l’Asie méridionale.

II – Les premières réalisations

L’organisation régionale de l’Asie du Sud est un forum où se rencontrent les chefs d’État et de gouvernement, où s’élaborent des coopérations techniques et où l’économie joue un rôle de rapprochement entre les pays. Elle ne serait que cela… Elle serait précieuse dans une région dont les dirigeants comptent plus de contentieux que d’occasions de se rencontrer. L’Inde, le Pakistan et le Bangladesh doivent faire la preuve de leur aptitude à faire prévaloir un intérêt général sur les égoïsmes nationaux. Les objets de coopération sont nombreux, les pays sont confrontés à des problèmes similaires qui requièrent des solutions communes. La gestion de l’eau est une source de conflits entre le Bangladesh et l’Inde pour le Gange et le Brahmapoutre, entre l’Inde et le Pakistan pour l’Indus et ses affluents. La lutte contre les trafics de femmes et d’enfants et contre le trafic de la drogue, la prévention des cyclones, la protection de l’environnement, l’action contre les pandémies du sida et de la tuberculose et la réduction de la pauvreté requièrent une pensée et une action à l’échelle régionale. La charte de Dacca fixe à la coopération un objectif de bien-être des populations grâce à la croissance économique, au progrès social et au développement culturel. Le libre-échange des marchandises, des services et des capitaux n’est ni le seul ni le premier objectif. Il apparaît en 1995 avec la signature d’un accord de préférence tarifaire, dans cette décennie qui est celle du libre-échange avec l’ouverture du marché européen, l’accord de libre-échange nord-américain et le nouvel objectif adopté par l’ansea en 1992.

A — Le commerce

Le 6 janvier 2004, le sommet d’Islamabad décide de prendre appui sur les dix premières années d’ouverture commerciale pour lancer le 1er janvier 2006 la création d’une zone de libre-échange, étape sur la voie d’une union économique de l’Asie du Sud[5]. La situation de départ est défavorable. Depuis bientôt soixante ans les pays de la région se sont tourné le dos et ont développé leurs échanges avec le reste du monde. Deux ans après la partition, l’Inde suspend tout commerce avec le Pakistan qui effectue encore près de 50 % des échanges avec son voisin. Les espaces économiques du Cachemire et du Pendjab à l’ouest et du Bengale à l’est sont désintégrés. Les belligérants créent de toutes pièces le handicap de l’absence d’échanges internes à la région dont souffrent la plupart des pays en voie de développement et qui leur était épargné tant qu’ils formaient un seul pays. Le commerce interne à l’Asie du Sud n’excède pas 5 % du commerce total des pays de la région et le commerce entre l’Inde et le Pakistan atteint 1 % de leurs commerces respectifs. Le Pakistan importe le thé du Kenya, l’Inde, le caoutchouc de la Malaisie et Sri Lanka, le ciment de l’Indonésie.

En 2005, le premier ministre indien Manmohan Singh et le président pakistanais Pervez Musharraf réinstallent la commission économique mixte, en sommeil depuis 1989, afin d’évaluer les perspectives commerciales. Si les économies nationales sont plus concurrentes que complémentaires plusieurs produits offrent des perspectives de rapide croissance des échanges : le thé et le café, le coton et la plupart des textiles, les fruits et les légumes, le fer et l’acier, le caoutchouc naturel, la petite mécanique, les produits pharmaceutiques et les équipements médicaux. De façon paradoxale, le commerce en Asie du Sud est pour le Pakistan un moyen de contrer ses propres forces de désintégration, religieuses et ethniques.

L’accord d’Islamabad sur la zone de libre-échange de l’Asie du Sud est moins exigeant pour les pays les plus pauvres de la région qui doivent réduire leurs droits de douane à un niveau moyen de 30 % dans les deux ans contre 20 % pour les autres pays membres. Les petits pays de la saarc craignent à juste titre l’invasion de produits indiens mais ils savent aussi que les espaces de libre-échange à venir, en Asie du Sud-Est (2008) et en Asie Pacifique (2020) leur sont fermés. Un mécanisme de compensation des pertes de revenus douaniers et d’assistance technique doit être mis en place pour les pays les moins développés, le Bangladesh, le Bhoutan, les Maldives et le Népal. S’il s’annonce approprié pour un pays pauvre mais fortement peuplé (150 millions de personnes) et disposant de capacités productives comme le Bangladesh, il ne convient pas aux États lilliputiens de l’organisation. Que peut signifier pour le Bhoutan, pays enclavé de deux millions d’habitants vivant à 90 % de l’agriculture vivrière, le libre-échange avec une puissance économique d’un milliard de personnes ?

Les pays faisant le choix du commerce régional doivent relier à nouveau leurs infrastructures. Parmi les premiers projets, peuvent être citées la construction d’une route bitumée sur les quelques dizaines de kilomètres qui séparent les capitales des Pendjab pakistanais et indien, Lahore et Amritsar et la mise en service d’une liaison par fibre optique entre les deux villes. Une liaison maritime entre les deux grands ports Karachi et Mumbai doit être établie.

B — Les coopérations techniques

Confrontés à des problèmes communs, les pays de l’Asie du Sud commencent à penser en termes de biens publics régionaux. Des questions d’intérêt commun sont identifiées. Des agences pour la météorologie à Dacca, pour la lutte contre la tuberculose à Katmandou et, en 2005, pour l’énergie à Islamabad sont créées. Elles attendent toutefois d’être correctement dotées en personnels et en ressources financières. Les rencontres d’experts dans les domaines de l’agriculture, des forêts, des transports, des sciences, de la santé et de l’énergie contribuent à faire, lentement, converger les politiques publiques des États de la région. L’affirmation de la solidarité avec les plus pauvres, dans le texte fondateur de Dacca comme dans les conclusions du sommet des chefs d’État ou de gouvernement de 2005, est un facteur de convergence avec l’Europe et de divergence avec l’Amérique du Nord.

C — La rencontre des sociétés civiles

L’existence d’une organisation de coopération régionale entre des États qui se sont affrontés à plusieurs reprises est un signe de paix adressé à un milliard cinq cent millions de personnes. Les hommes d’affaires bénéficient de facilités pour l’octroi des visas. Les associations pour les droits des femmes et les associations d’étudiants deviennent des acteurs d’une coopération transfrontalière[6]. En 2000 des femmes indiennes et pakistanaises se rendent visite à travers la frontière du Pendjab. En 2004, les Pakistanais réservent un accueil chaleureux aux supporters de l’équipe indienne de cricket. La rencontre des sociétés civiles participe d’une évolution des esprits et de la formation d’une conscience sud-asiatique, à rebours des discours de la haine, des pratiques nationalistes et de la dévastation intégriste. Cette formation est encore lointaine si grande est la méfiance des gouvernements nationaux à l’égard de l’interpénétration des sociétés civiles. La disposition de ces dernières au rapprochement est plus grande que celle des États dont les appareils politiques, administratifs et militaires ont conquis leur légitimité dans l’affrontement.

D — L’organisation administrative

Les structures dirigeantes des États de la saarc ne sont pas disposées à lui donner les moyens d’un fonctionnement autonome. Elles en contrôlent tous les leviers et l’organisation demeure strictement de type intergouvernemental. Le secrétaire général, installé à Katmandou, est nommé pour une durée de deux ans qui ne lui laisse guère le temps d’acquérir une autorité. Il n’a pas la capacité de contrôler l’application effective des décisions régionales par les États membres. La saarc n’a pas de ressources propres. Comme n’importe quelle organisation internationale elle est financée par les contributions des États membres. La poursuite de l’objectif de libre-échange peut toutefois conduire les États à comprendre la nécessité de règles du jeu pour assurer le bon fonctionnement du marché régional. Un mécanisme de règlement des différends est prévu par l’accord de libre-échange entré en vigueur en 2006.

III – Les décisions du sommet de Dacca de novembre 2005

A — Le terrorisme

Les États membres ont adopté une déclaration contre le terrorisme : il viole les valeurs fondamentales de la saarc et des Nations Unies et il constitue l’une des plus grandes menaces pour la paix mondiale. Les États membres sont invités à faire entrer en vigueur le protocole additionnel (2004) à la convention régionale sur le terrorisme (1987) relatif à la lutte contre son financement. Les agences de renseignement sont invitées à coopérer entre elles. Les ministres de l’Intérieur doivent se rencontrer chaque année. Alors que les djihadistes du Cachemire se profilent derrière les attentats d’octobre 2005 à Delhi et de juillet 2006 à Mumbai, la détermination des autorités pakistanaises à leur faire face est une fois encore en question. Leurs services de renseignement ont contribué à exporter les guerres islamistes en Afghanistan et au Cachemire.

B — Le libre-échange et la solidarité

Les États membres ont confirmé l’entrée en vigueur le 1er janvier 2006 de l’accord de libre-échange régional (safta) mais les bénéfices de la croissance économique étant très inégalement répartis, l’objectif de réduction de la pauvreté ne peut être atteint par ce seul moyen. Si la richesse globale du Mexique a fortement augmenté en dix ans de libre-échange nord-américain, les inégalités sociales et territoriales se sont creusées. La saarc ambitionne d’accroître le bien-être des populations, un marché débridé sans encadrement public ne peut le garantir.

La période 2006-2015 est déclarée décennie pour la réduction de la pauvreté. Un fonds régional doit financer des politiques publiques. La saarc n’ayant pas de ressources propres fera appel à des contributions extérieures comme celles du Japon déjà grand bailleur de fonds. Dans la péninsule indochinoise, la Chine décide même de créer un fonds en faveur des pays les plus pauvres de l’asean, le Cambodge, le Laos et Myanmar, accroissant ainsi son influence dans la région. Le choix des actions à financer, la distribution des crédits et le contrôle de leur emploi confronteront la saarc à son manque de moyens administratifs. Les États membres commencent à en mesurer les conséquences : ils appellent à une application effective des décisions, ils créent un mécanisme pour le règlement des différends commerciaux et ils demandent au secrétariat général de préparer un plan de route sur dix ans.

C — L’élargissement

L’Afghanistan devient en 2005 le huitième membre de l’association régionale. La Chine et le Japon obtiennent le statut d’observateurs. L’élargissement peut signifier une fuite en avant, faute d’un accord des pays membres sur l’approfondissement mais il existe des facteurs objectifs à l’adhésion de l’Afghanistan. Le Premier ministre indien en visite à Kaboul en 2005 fait valoir les liens culturels et historiques entre l’Asie centrale et l’empire des Moghols. L’économie prime toutefois, le pays à l’instar du Pakistan a vocation à devenir un pays de transit du gaz turkmène et du pétrole iranien vers l’Inde. Une agence régionale pour l’énergie est installée à Islamabad. Dans le monde de l’après onze septembre 2001, le Pakistan doit renoncer à l’ambition régionale pour son seul compte qui faisait de l’Afghanistan la base arrière d’un affrontement avec l’Inde.

Les ensembles régionaux ne constituent pas des blocs homogènes définis une fois pour toutes. Leur rencontre dans les intersections est aussi importante que les ensembles eux-mêmes. Elle signe la singularité géographique et politique d’un pays. La Chine, traditionnelle alliée du Pakistan et du Bangladesh mais dont les relations avec l’Inde se réchauffent et le Japon, plus proche de l’Inde, deviennent observateurs de la saarc. L’Inde et le Pakistan ont un statut analogue dans l’Organisation de coopération de Shanghai (ocs) qui regroupe depuis 2000 la Chine, la Russie et les républiques de l’Asie centrale, à l’exception du Turkménistan, dans la lutte contre le terrorisme mais aussi contre les mouvements séparatistes. Membres de la saarc, le Pakistan et l’Afghanistan le sont aussi de l’Organisation de coopération économique (oce) qui les rassemble avec l’Iran, la Turquie et les républiques de l’Asie centrale pour construire des infrastructures et pour commercer librement en 2014[7].

IV – La saarc, l’Inde et le Pakistan

L’Inde et le Pakistan ont adhéré au forum régional créé par l’ansea (arf en Anglais) avec l’ensemble des États intéressés au règlement pacifique des conflits en Asie de l’Est et en Asie du Sud-Est[8]. L’ocs et l’arf sont chacun à leur façon des tentatives d’approche multilatérale des enjeux de sécurité régionale. L’avenir pacifique de l’Asie du Sud suppose la poursuite de la détente entre l’Inde et le Pakistan. Le déverrouillage des frontières a commencé, il est le signe d’une amorce de désarmement des esprits.

Fermée depuis la guerre de 1965, la ligne de chemin de fer entre le Rajasthan et le Sind est rouverte en 2006. La délivrance de visas, aujourd’hui accordée ville par ville, doit être facilitée par l’ouverture d’un consulat indien à Karachi et d’un consulat pakistanais à Mumbai[9]. Cinq cents prisonniers, principalement des pêcheurs et des paysans qui avaient en méconnaissance de cause franchi illégalement la frontière, ont été libérés en 2005 par les deux pays. Un accord d’échange d’informations entre les garde-côtes pour la sécurité maritime a été signé.

La question du Cachemire demeure cruciale. Les frontières actuelles sont constitutives des États et seule une guerre pourrait les modifier. Leur hermétisme est douloureux aux familles séparées et est contraire aux besoins du développement économique et social. Devant la domination militaire indienne et l’instrumentalisation de la question du Cachemire par le gouvernement pakistanais, sans considération dans l’un et l’autre cas pour la souffrance des populations, ces dernières expriment plus fortement leur conscience cachemirie, par-delà leur appartenance juridique aux États constitués[10]. En 2005 une ligne de bus est rétablie entre les capitales des deux Cachemire, Srinagar et Muzzafarabad. En visite à Delhi, le président pakistanais déclare que l’importance des frontières doit être relativisée, mais confronté à cette nécessité dans le Cachemire dévasté de l’automne 2005, il n’accepte qu’au compte-gouttes les secours indiens ainsi que la circulation des familles séparées. Des points de passage sont ouverts sur la ligne de contrôle pour la seule circulation des matériels. Les populations aspirent au contraire à ce que la ligne devienne une frontière souple, mais le gouvernement pakistanais souhaite conserver le contrôle exclusif de ses ressortissants et l’Inde craint les infiltrations djihadistes. En 2005, pour la première fois depuis seize ans, le Premier ministre indien s’est entretenu avec la coalition des partis autonomistes modérés du Cachemire. Le séisme de l’automne a souligné la vanité de l’absence de coopération.

La déclaration de Dacca de novembre 2005 invite les pays membres à assumer leur identité sud-asiatique et à favoriser les contacts entre les populations. Les actions transfrontalières de la société civile sont décisives pour l’apaisement des esprits et la dynamique qu’elles créent serait plus grande si tous les États de la région étaient démocratiques. Dans les jours qui précèdent le 13e sommet de la saarc, plusieurs associations de la société civile bangladeshi organisent une rencontre régionale qu’anime le dirigeant de la banque Grameen, aujourd’hui prix Nobel de la paix, le docteur Muhammad Yunus[11]. Elles se prononcent en faveur d’un engagement direct et constant des dirigeants des États membres pour la coopération afin de prévenir l’explosion des bombes qui menacent la région, l’arme nucléaire, les rivalités ethniques et religieuses et la grande pauvreté. L’association régionale doit tenir son 14e sommet en Inde en 2007. Un prix de la saarc sera délivré à une personnalité ou à une organisation oeuvrant pour la paix en Asie du Sud.