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Cet ouvrage théorique et pratique rédigé dans un style clair se veut une introduction générale à la politique comparée (en anglais comparative politics), c’est-à-dire l’étude comparative en sciences sociales, plus particulièrement dans les domaines de la science politique et des relations internationales. Il s’agit du premier livre de Timothy Lim, qui est professeur de science politique à la California State University de Los Angeles. Divisé en trois parties et subdivisé en neuf chapitres, Doing Comparative Politics. An Introduction to Approaches And Issues veut amener l’étudiant à une meilleure connaissance des outils méthodologiques, conceptuels et théoriques pour procéder de manière autonome à des recherches universitaires en politique comparée.

L’ouvrage se veut pédagogique et découle probablement d’un cours. Plusieurs chapitres semblent excellents et souvent novateurs sur le plan de la synthèse entre les disciplines. D’abord, afin de bien cerner son sujet, l’auteur juxtapose quatre définitions complémentaires de la politique comparée. De celles-ci, retenons la formulation proposée initialement par le politicologue américain Gregory Mahler, qui écrivait en l’an 2000 que la politique comparée « recherche les similitudes et les différences entre les phénomènes politiques, ce qui inclut les législations, les procédures, les partis politiques, les groupes d’intérêt, les comportements, le vote (…), les idées politiques ». En fait, pour Timothy Lim, le fondement même de l’étude des relations internationales demeure avant tout au niveau des interactions (c’est lui qui souligne) entre les États, ce qui lui permet d’insister sur les dimensions sociologiques et comparatives dans une multitude de secteurs. Après un rappel sommaire sur les principaux usages de la pensée critique en sciences sociales, l’auteur précise le vocabulaire de base (les deux types de variables), puis fournit plusieurs exemples de comparaisons, afin de préciser ce qui peut être comparé ou non, selon les similitudes entre les objets choisis, pour ensuite ébaucher les étapes essentielles d’une étude de cas. Parmi les exemples retenus, on peut voir le taux comparé d’homicides par armes à feu entre les États-Unis et le Canada. Toutefois, bien d’autres pays sont mentionnés dans les exemples de comparaison, de la Suède à Taïwan. Plus loin, pour conclure sa première partie, l’auteur propose une synthèse impressionnante de plusieurs recherches récentes et conçoit même un catalogue étoffé d’une vingtaine de théories actuelles en politique comparée, desquelles nous retiendrons certaines des plus connues : « le corporatisme, la théorie des élites, l’impérialisme, le marxisme et ses variantes, la modernisation, la théorie des nouveaux mouvements sociaux, le post-structuralisme, le choix rationnel, le structuro-foncfonctionnalisme, la théorie des systèmes mondiaux ». Quelques-unes de ces théories sont ensuite brièvement présentées au troisième chapitre.

La partie centrale de l’ouvrage propose cinq études de cas pertinentes à partir de questionnements spécifiques sur la pauvreté et la richesse de certains pays d’Afrique et d’Asie, la notion de démocratie, les mouvements sociaux émergents (avec de nombreuses définitions en p. 236) et le terrorisme. Ce dernier chapitre touche d’ailleurs le conflit libanais de 1983 et cet exemple demeure d’une étonnante actualité. Dans plusieurs cas, l’analyse part d’un thème général (la démocratie, la différence, l’hégémonie) pour ensuite expliquer une situation particulière ou des mutations sociales : ainsi, la dépendance engendrerait la pauvreté ; le colonialisme se changerait en mouvements identitaires et nationaux. Par ailleurs, la question de la démocratie se pose en observant les régimes de certains pays asiatiques ; Timothy Lim examine les exemples les plus problématiques (la Chine) mais rend également compte des progrès notables dans le processus de démocratisation en Inde. Il faut admettre que le texte fait toujours preuve d’une grande prudence méthodologique pour identifier les limites de la recherche comparative et éviter les pièges de la généralisation abusive. Enfin, le neuvième et dernier chapitre portant sur la mondialisation fournit une somme appréciable de notions théoriques. Pour définir de diverses manières le processus de mondialisation (en anglais globalization) dont il a souvent été question dans les chapitres précédents, Timothy Lim s’inspire principalement des travaux d’Ulrich Beck pour réaffirmer l’existence d’un processus dialectique d’homogénisation et de différenciation. Les deux auteurs s’accordent pour affirmer que cette mondialisation véhicule en outre une idéologie, nommée globalism, qui imposerait subtilement les règles du néolibéralisme.

Deux points forts sont à noter qui font l’originalité et la force de ce livre méconnu. D’abord, il y est fortement question du Canada et même du Québec, ce qui est peu fréquent pour un livre plutôt théorique en relations internationales rédigé par un Américain. On y traite à quelques endroits du libre-échange et de l’alena, mais aussi – en termes parfois approximatifs – de la question québécoise. En outre, Timothy Lim reprend et critique les arguments spécieux du cinéaste Michael Moore dans son film Bowling at Colombine (2002), pour montrer un exemple frappant d’une comparaison superficielle entre deux pays, dans ce cas les États-Unis et le Canada. On se souviendra de cette séquence cocasse où le réalisateur ouvre au hasard quelques portes non verrouillées de plusieurs domiciles canadiens de la région de Niagara pour conclure – abusivement et sans autre démonstration – que les Canadiens seraient probablement moins violents que leurs voisins américains parce qu’ils possèdent moins d’armes à feu dans leurs domiciles.

L’autre point fort de ce livre réside dans la dimension culturelle, à laquelle l’auteur se réfère constamment, ce qui semble assez rare dans le domaine de la science politique et des relations internationales, du moins dans les universités canadiennes. Qu’il s’agisse d’expliquer la pauvreté, de faire l’étude des mouvements sociaux du terrorisme ou de la mondialisation, Timothy Lim considère toujours les aspects culturels, identitaires et religieux afin de mieux appréhender ces questions complexes. Ainsi, pour analyser la délicate question du nationalisme québécois face au multiculturalisme canadien durant les années 1970, Timothy Lim rappelle brièvement les dimensions politiques et économiques pour bien saisir cette période, mais à la suite de quelques auteurs anglophones qu’il cite, conclut néanmoins en ces termes pour expliquer l’émergence du nationalisme québécois : Culture, therefore, was the issue.

Somme toute, ce livre est bien documenté et original dans son approche ; les encarts et les cartes géopolitiques sont précis et utiles ; le texte évite toujours les pièges de l’abstraction et du jargon. En supplément, un glossaire de vingt pages fournit une multitude de définitions concises et judicieusement formulées. En revanche, en dépit de ses qualités indéniables, ce livre reste très difficile à trouver en librairie au Canada. Trois magasins différents ont confirmé ne pas le garder sur leurs rayons ; un seul libraire a offert de procéder à une commande spéciale. Du point de vue éditorial, il est dommage que la quatrième de couverture soit si laconique ; la présentation du livre ne tient qu’en quelques lignes et ne rend pas justice à la richesse de son contenu. En terminant, Doing Comparative Politics ne prétend pas introduire le néophyte aux sciences sociales, et il serait souhaitable que l’éventuel lecteur soit déjà familier des questions méthodologiques de base en science politique ou en relations internationales, car le texte ne part pas de zéro. En ce sens, l’ouvrage conviendrait parfaitement à des étudiants de dernière année du baccalauréat ou du niveau de la maîtrise qui peuvent aisément lire l’anglais.