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Pour trouver un renseignement précis sur l’évolution d’une question géopolitique donnée, il faut avoir une bibliothèque savamment garnie d’ouvrages de référence, à la fois bien documentés et méthodologiquement efficace. C’est dans cette catégorie que se situe l’ouvrage de R. de Koninck et J.-F. Rousseau : il permet d’accéder rapidement à une information claire et précise.

Cela tient à la méthodologie mise en oeuvre : les auteurs ont opté pour une mise en avant d’indicateurs fondamentaux, permettant de cerner l’évolution de notre monde ainsi que des hégémonies qui le construisent et le font fonctionner.

Face à la complexification des phénomènes mondiaux, il est devenu essentiel de tenter de comprendre les destins respectifs des nations et des régions du monde, puisque ces destins restent soumis au poids relatif des unes et des autres sur la scène internationale. En choisissant quelque quatre-vingt indicateurs, coordonnés sur des échelles géographiques et temporelles, les deux auteurs réussissent à nous faire parvenir un état des lieux de la situation mondiale dans toute sa complexité.

S’il peut apparaître un brin inopportun de recourir systématiquement à l’outil cartographique, cela se justifie pourtant dans la majorité des cas étudiés et permet une meilleure appréhension des situations et des enjeux. Afin de faciliter la lecture de ces éléments cartographiques, il a également fallu restreindre le nombre de pays étudiés. Les auteurs ont donc choisi à la fois d’identifier « les quinze poids du monde », parce qu’ils sont généralement responsables de plus de 80 % des flux, et de procéder par une régionalisation de certains phénomènes.

L’ouvrage débute par un rappel historique des évolutions du monde ces dernières décennies, notamment de la chute de l’ex-urss et de la naissance de quinze nouveaux États, du processus de démembrement en Europe centrale, des indépendances africaines et des sécessions asiatiques, montrant ainsi l’apparition de certaines zones d’influence réciproques, de liens particuliers entre nations, de création d’organismes et systèmes communs… ainsi que de l’ensemble des facteurs (parfois de décomposition) influençant la structure des régions du monde. Les auteurs procèdent à une mise en exergue des logiques qui ont prévalu dans l’émergence de certaines régions sur la scène internationale, comme l’intérêt grandissant que le monde développe à l’égard des pays d’Asie centrale ou le décollage économique de certains pays asiatiques.

Cette étude prend pour référence deux périodes historiques : 1980 et 2000. Les auteurs ont choisi six clefs d’entrée thématiques, en écartant délibérément certaines questions vitales.

Dans une première partie qui considère les territoires et les populations, les auteurs constatent les inégalités de répartition qui frappent certaines régions du globe. Superficie, croissance de la population, vieillissement, densité, taux d’urbanisme et partage des richesses sont autant de thèmes qui permettent de caractériser les pays et les régions à notre époque.

Dans la section agriculture et pêcheries, les cartes s’attachent à montrer la production et l’exportation céréalière, de blé, de sucre, de caoutchouc ainsi que des autres denrées qui se transforment en indicateurs (vin, thé, café, cacao, poisson, bovins, etc.)

La troisième partie, pivot du livre, est consacrée à l’énergie : consommation, production, exportations et importations. En identifiant les principaux pôles de la planète, ces cartes permettent de visualiser les grandes tendances et les différents flux.

Le chapitre quatre quant à lui, est consacré à l’industrie : productions brutes, transformation industrielle, croissances continues et émergences très rapides, asiatiques ou australes. Le Brésil et l’Australie rejoignent le Canada, la Russie et les États-Unis au premier rang des pays riches en matières premières industrielles. D’autre part se constituent des pôles de croissance : l’acier en Chine, le cuivre dans les Amériques, le bois aux États-Unis et au Canada. L’industrie de véhicules passagers et l’industrie aéronautique, encore l’apanage des pays occidentaux, rééquilibrent un peu le déplacement du centre de gravité du monde industriel vers l’Orient.

Après un doublement de la production industrielle ces vingt dernières années, celle-ci reste aujourd’hui pour 80 % entre les mains de 15 pays. Premier pays dominant : les États-Unis, mais qui se trouve dans une situation particulière puisqu’il est en phase de désindustrialisation relative (la production industrielle des États-Unis a une croissance inférieure à celle de leur pib). Globalement, la contribution du secteur industriel au pib mondial a chuté de 27 à 21 % entre 1980 et 2000. Cette désindustrialisation relative a été plus importante en Europe qu’ailleurs dans le monde, tandis que la quote-part de la production industrielle de l’Afrique a fondu de moitié pour atteindre 2 % en l’an 2002.

Si le niveau de restructuration varie selon les pays, presque tous sont désormais largement dépassés par la Chine, à l’exception de la Corée du Sud qui affiche une croissance de sa production industrielle de 700 % en vingt ans.

Le chapitre suivant au sujet de l’économie regroupe de nombreux indicateurs : pib, réserves de devises, capitalisation boursière, nombre de touristes, d’étudiants, de travailleurs immigrés, de chercheurs, ide et aide au développement. Tous ces indicateurs mettent en lumière l’existence de trois pôles dominants : l’Asie de l’Est, l’Europe et l’Amérique du Nord.

En abordant le domaine militaire, les auteurs se sont attaqués à des données dont la fiabilité est incertaine. Là encore, la suprématie américaine est évidente, tant dans les dépenses que dans le nombre de soldats. Malgré certaines volontés nationales de réduire les dépenses militaires (surtout dans les pays riches), la forte croissance de certains budgets (Chine, Afrique du Nord et Moyen-Orient notamment) contribue à l’augmentation générale des dépenses militaires dans le monde ces vingt dernières années.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’environnement, avec une volonté affichée de limiter les indicateurs mis en évidence. Les auteurs ont choisi d’appuyer certains points fondamentaux : consommation d’eau, émissions de co2 et nombre de véhicules motorisés. L’eau est aujourd’hui un enjeu fondamental de l’organisation des hégémonies mondiales : les grands pays agricoles du tiers-monde en sont avides.

Dans leur conclusion, les auteurs notent qu’au-delà du caractère incomplet de l’ouvrage, ils ont voulu mettre en exergue dix points fondamentaux : la marchandisation du monde, la croissance des inégalités, la richesse des riches, d’une part ; le retour de l’Asie, la tripolarisation du monde, l’hégémonie de l’hyper puissance américaine, le repli de la Russie et la marginalisation de l’Afrique, et la naissance de certains pays du sud comme poids lourds, d’autre part ; ainsi que la pesanteur de l’humanité.

Cet ouvrage reprend des thèmes largement traités dans les livres qui s’inscrivent également dans la catégorie des atlas et annuaires stratégiques. Le nombre de ces synthèses augmente et leur qualité s’enrichit régulièrement. L’enjeu réside donc dans la capacité à calibrer correctement la quantité et l’intérêt des thèmes choisis, tout autant que le mode de traitement des informations. Ainsi, cet ouvrage est certainement moins complet que d’autres, mais même si ses constats sont évidents, sa cartographie permet cependant d’insister sur plusieurs des déséquilibres du monde, les rendant ainsi plus flagrants.