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Ce livre tente d’expliquer ce qu’est la mondialisation et quels sont les intérêts particuliers qui la façonnent. Il est très critique à son endroit parce qu’elle génèrerait beaucoup plus de perdants que de gagnants. Plusieurs autres ouvrages publiés dans les dix dernières années ont les mêmes visées. Celui-ci insiste particulièrement sur le fait que plus l’économie mondiale est intégrée, plus les décisions politiques qui font cette intégration échappent au contrôle démocratique. Il souligne le déclin démocratique et l’affaiblissement des solidarités nationales qui accompagnent la mondialisation. Il montre également que le citoyen est de plus en plus réduit à la dimension d’un consommateur impuissant et désolidarisé.

Dans le premier chapitre, la mondialisation, qui apparaît trop souvent comme une nécessité inéluctable, est présentée comme le résultat de politiques néolibérales favorisant les entreprises multinationales. En prétendant que la mondialisation et le marché sans frontières sont des nécessités, on les soustrait à la délibération démocratique et ils s’imposent davantage comme des faits accomplis. La polarisation des revenus qu’ils entraînent est aussi présentée comme inévitable plutôt que devant être discutée et combattue sur le plan politique.

Le deuxième chapitre traite de la démocratie aujourd’hui. Les décisions qui soutiennent la mondialisation ne sont pas transparentes et échappent aux citoyens. Il y aurait même une volonté de confondre les protestations contre la mondialisation avec la violence terroriste. En tout cas, l’obsession de la sécurité permet de soustraire aux débats politiques bien des questions. Les gouvernements sont davantage à l’écoute des multinationales, des lobbyistes et des institutions internationales défendant le consensus de Washington que de leurs propres citoyens qui sont de plus en plus isolés et sans voix. Les syndicats comme les partis politiques sont affaiblis et fragmentés face à une économie transnationale et à des nations dont les contours s’estompent.

Le troisième chapitre définit la citoyenneté par les droits civils et politiques qu’elle confère, mais aussi par les droits sociaux et économiques qui permettent d’être inclus dans la société, ainsi que par le droit d’être culturellement différent. Cependant, il n’y a pas d’accord sur une notion de citoyenneté aussi large et inclusive. Par ailleurs, beaucoup de citoyens sont passifs ou dépolitisés, acceptent le discours néolibéral et sont incapables de lutter collectivement pour leurs droits.

Dans le quatrième chapitre, l’auteur revient sur l’état de la démocratie face à la mondialisation. Il insiste sur le fait qu’elle n’est jamais acquise, doit sans cesse se construire, lutter contre de nouvelles oligarchies et inventer des formes d’action transnationales.

Dans le cinquième, il tente de distinguer bénéficiaires et perdants de la mondialisation. Celle-ci – il le dit et le redit – est la conséquence de politiques décidées au palier national et provoque une polarisation des revenus, de la richesse et des pouvoirs à l’intérieur des nations et entre les nations. Ce n’est donc pas une fatalité, même si les bénéficiaires qui tirent les ficelles tendent à le prétendre. Les gagnants de la mondialisation seraient les pays industrialisés, les détenteurs de capitaux et les multinationales, tandis que les pays en développement et les travailleurs non qualifiés seraient les perdants. Le consommateur solvable est aussi un gagnant et le citoyen, un perdant.

Le sixième chapitre aborde la question de l’empowerment du citoyen. Il redit son isolement et son sentiment d’impuissance dans un monde de plus en plus intégré du point de vue économique, mais de plus en plus fragmenté d’un point de vue politique.

Le chapitre suivant distingue la rhétorique des politiciens de leurs politiques, qui sont de plus en plus une acceptation du marché sans frontières. Le huitième traite de la répartition des revenus dans l’économie mondialisée et revient sur le problème de l’inégalité croissante de cette répartition.

Le dernier chapitre est consacré aux conclusions. Nous retiendrons surtout parmi celles-ci la nécessité de déconstruire l’idéologie accréditant le néolibéralisme, de lutter contre l’acceptation passive de la mondialisation, de dénoncer ceux qui imposent leurs intérêts subrepticement, de révéler au grand jour quels sont les coûts de la mondialisation.

Ce livre critique la libéralisation de l’économie et du commerce et en fait une cause de la pauvreté, mais il semble inclure dans cette libéralisation les subventions et le protectionnisme agricoles des pays les plus riches. Ce ne serait pas absurde si on expliquait que la libéralisation est imposée par certains pays qui se réservent le droit de ne pas se l’imposer à eux-mêmes ; or cela n’est pas formulé avant la page 116. L’Organisation mondiale du commerce est sans cesse dénoncée, mais elle lutte pourtant contre le protectionnisme qui est aussi dénoncé. Ce livre fait de la polarisation des revenus une conséquence de la mondialisation bien qu’il reconnaisse aussi que celle-ci contribue à la croissance et à une certaine réduction de la pauvreté. Il faudrait donc apprécier comment se comparent ses effets négatifs et ses effets positifs. L’auteur laisse entendre que les premiers dépassent les seconds, mais sans argumenter suffisamment. Il affirme que la mondialisation est l’américanisation du monde, mais ce n’est qu’une demi vérité, banale de surcroît ; la mondialisation implique aussi une influence de la Chine et de l’Inde sur le reste du monde. L’auteur dénonce l’influence non transparente des lobbies sur les gouvernements, mais également l’implication d’affairistes liés à l’administration Bush dans la reconstruction de l’Irak comme s’il s’agissait là de simples lobbyistes.

Ce livre comporte trop de répétitions, de confusions et de digressions dont on ne voit pas la pertinence. Il n’est pas assez rigoureux dans le développement de ses thèses. D’un auteur qui affirme qu’il va dénoncer le consensus de Washington, on pouvait attendre de bons arguments et pas seulement de bons sentiments.