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Ce livre, sous la direction de Zartman et Faure, se veut avant tout un essai qui permette de relier les différentes phases qui caractérisent l’évolution des conflits aux stratégies de négociation destinées à faciliter leur résolution. De ce point de vue, il s’inscrit à la fois dans la tradition des recherches qui visent à expliquer les origines, les causes et le cheminement des conflits (le champ d’analyse de conflits) tout comme dans la littérature à caractère plus normatif plus orientée vers la pratique politique portant sur la gestion, la résolution et la prévention des conflits. Cette perspective, qui combine les résultats des analyses de plusieurs chercheurs reconnus aux conseils d’ordre pratique, s’adresse donc non seulement aux membres de la communauté universitaire mais également aux décideurs politiques impliqués dans la résolution des conflits internationaux.

Les auteurs se proposent de découvrir, par une analyse minutieuse des différents processus qui caractérisent un conflit, les situations propices au déclenchement des négociations. Cette tradition a été inaugurée par Zartman lui-même dans les années 1980, moment où il introduit le concept de ripeness pour décrire un stade dans l’évolution du conflit où les adversaires deviennent plus réceptifs aux bénéfices de la coopération. Valoriser et réactualiser cette hypothèse ainsi que mieux la préciser et l’opérationnaliser du point de vue théorique et pratique constituent l’objectif principal des chapitres de cet ouvrage.

La première partie du livre est destinée à l’étude de l’escalade des conflits, dont l’importance est soulignée non seulement à cause de la fréquence de ce phénomène, particulièrement dans le cas des conflits violents, mais également à cause des effets dévastateurs qu’elle peut avoir si elle échappe à tout contrôle. Toutefois, les auteurs soulignent également les opportunités de négociation qu’un processus d’escalade, dans certaines circonstances, peut offrir. La deuxième partie du livre approfondit notamment cet aspect. En apparence opposées, les multiples facettes de ces phénomènes ne les rendent pas forcément incompatibles. En général, l’argument central est que si l’escalade du conflit ne produit pas les résultats escomptés, les négociations peuvent devenir une alternative de plus en plus attirante.

L’escalade renferme un côté transitif qui la rend tributaire des actions des acteurs et un côté intransitif, qui fait ressortir les dynamiques propres au conflit contraignant les actions et oblige les acteurs à voir l’escalade comme la seule alternative à une défaite. En ce sens, la complexité conceptuelle qui entoure l’escalade ne souligne pas seulement une intensification du conflit, mais également un changement qualitatif qui marque son passage vers un stade supérieur de la confrontation en termes de violence, d’enjeux, de moyens, de coûts, des risques ou d’engagement des parties. Ainsi, l’escalade peut prendre de nombreuses formes et ses conséquences sont multiples : l’impasse (dead-lock), la dissuasion, la course aux armements, la prise au piège (entrapment) et la vengeance.

L’impasse, une situation où aucune concession ou action constructive n’est perçue comme acceptable, peut être, selon Guy Olivier Faure, une cause ou une conséquence de l’escalade. L’impasse peut acquérir un caractère durable, illustré souvent par des cessez-le-feu qui n’aboutissent pas à un accord définitif. L’auteur souligne par conséquent l’importance des actions des acteurs du conflit tout comme des tierces parties, afin de contrecarrer les effets intransitifs de l’impasse et de la transformer en point de départ pour les négociations. En dernière instance, l’impasse peut représenter un tournant dans le conflit, que les adversaires peuvent utiliser pour entamer des négociations, aspect souligné également dans le chapitre de Daniel Druckman.

Concept central des relations internationales pendant la guerre froide, la dissuasion constituait essentiellement une stratégie de sécurité destinée à prévenir l’escalade des hostilités entre les deux superpuissances. La conséquence secondaire de ce mode de cohabitation a été, selon Patrick M. Morgan, d’enlever une grande partie de la valeur des négociations et de les reléguer à un rôle sous-jacent. Toutefois, la dissuasion représente également un contexte favorisant l’efficacité des négociations. Elle limite les options des adversaires qui devront choisir entre l’acceptation du statu quo ou la tentative de régler le différend par d’autres moyens que la violence.

Un autre phénomène prégnant de la guerre froide, et une des manifestations les plus visibles d’un processus d’escalade, est la course aux armements. Le modèle formel de Rudolf Avehaus, Juergen Beetz et D. Marc Kilgour fait ressortir, entre autres, le caractère intransitif de ce phénomène qui favorise l’escalade même dans des situations où les parties semblent préférer le statu quo. Cela explique pourquoi dans des conditions d’information incomplète, l’escalade sera souvent utilisée par les belligérants comme stratégie lors des négociations, sans que cela ne représente nécessairement leur préférence.

La prise au piège (entrapment) des acteurs dans un conflit constitue une autre dynamique étroitement reliée au processus d’escalade. Ce phénomène signifie tout comme l’escalade une amplification du conflit, mais évidemment beaucoup plus désavantageuse pour une partie que pour l’autre. Le paradoxe d’un phénomène de prise au piège est que c’est souvent la partie la plus forte qui en est victime. Des choix limités, un manque d’alternatives et de liberté d’action érodent graduellement son avantage. Cela affecte évidemment la poursuite des négociations d’une manière essentielle. Paul W. Meerts en tire quelques leçons importantes pour la pratique politique, telles que la nécessité d’un mandat clair et d’une communication efficace et transparente entre les négociateurs et leurs supérieurs ; d’une priorité à la stratégie globale et d’un respect des échéances fixées ; ou encore la nécessité d’éviter l’implication émotionnelle, etc.

Finalement, la vengeance est un mécanisme cognitif extrêmement fort qui peut facilement pousser un conflit au paroxysme. La vengeance collective en particulier, difficilement réceptive aux incitations d’ordre matériel, cause profonde et peu visible des conflits, est une des forces les plus destructrices pour les populations civiles qui en sont affectées. Des stratégies spécifiques sont nécessaires pour rompre le cercle vicieux de la vengeance. Ainsi, la réconciliation, la réparation des relations bilatérales et la mise en place des bases d’une confiance mutuelle ont acquis récemment un rôle de plus en plus important dans les stratégies de pré-négociation.

Cependant, tel que Zartman le cautionne, si l’escalade peut dans certaines circonstances pousser les adversaires à prendre en considération l’option des négociations, elle n’en garantit pas le succès. Lisa J. Carson souligne l’importance de la perception de la menace qui accompagne une crise internationale : si celle-ci est unilatéralement perçue par un État autre que l’initiateur de la crise, il y a moins de chances que la violence soit le moyen principal de gestion de la crise et les négociations seront favorisées ; si au contraire la perception de la menace est partagée par tous les acteurs de la crise une situation inverse a plus de chances d’émerger.

Les parties belligérantes tout comme les tierces parties intervenantes peuvent agir sur ces circonstances afin de diriger le conflit vers le déclenchement des négociations. Selon Dean G. Pruitt, le rôle des tierces parties est extrêmement important dans des circonstances où le conflit a atteint le stade de ripeness qui le prépare au déclenchement d’un processus de paix.

Le mérite principal de cet ouvrage est d’infirmer les visions pessimistes et fatalistes qui sont présentes particulièrement dans l’analyse des conflits persistants et récurrents (les protracted conflicts) et de démontrer que même dans les moments les plus critiques du conflit, des possibilités de résolution pacifique peuvent émerger. Il incombe donc aux acteurs du conflit tout comme aux tierces parties de valoriser ces opportunités et de faire les premiers pas vers un mode de gestion non violent de leurs différends.

Une critique qui pourrait être adressée de manière générale aux auteurs de ce livre est le biais en faveur de la formulation des concepts et théories et la moindre importance accordée aux études empiriques. Malgré cela, l’ouvrage reste quand même une lecture incontournable pour les spécialistes en analyse des conflits et d’une grande valeur théorique et pratique.