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Qui aime bien, châtie bien. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, L’unesco sans peine a ceci d’original qu’il apporte le témoignage de la vie d’un fonctionnaire international : Yves Courrier, entré à l’unesco en 1978. Il sert ici de porte-plume au « Groupe de recherche sur les réformes et les évaluations à l’étude à l’unesco pour son universalité » (grreeuu) constitué par d’anciens fonctionnaires originaires des cinq continents ayant servi dans un grand nombre d’unités différentes. L’autre originalité de l’ouvrage tient à l’autodérision et à la légèreté de l’auteur qui inscrit son propos dans la continuité d’Albert Cohen et de sa Belle du Seigneur. Un enchaînement de quinze leçons dépeint ainsi, avec son lot d’excès et de ridicule, les dédales et les travers de la très enviée nomenklatura unesquienne.

D’emblée, l’auteur justifie le choix de l’unesco, temple de la culture et parangon de la démocratie, comme objet de son enquête et présente un bref aperçu des ouvrages rédigés par d’autres fonctionnaires sur l’organisation. Puis il s’attarde sur le recrutement (leçon 2e) dont la procédure n’est un modèle ni de rapidité ni de transparence. Les possibilités de contournement sont, en effet, nombreuses et variées, notamment pour la gent féminine à condition d’être jeune et jolie! Quant au programme (leçon 3e), les résultats ne sont pas toujours tangibles, ce qui pose la question de son évaluation. Dans sa quatrième leçon, l’auteur décrit les aberrations des services sectoriels, en particulier du ao (administrative office) qui délivre les visas et de l’uce (unité de coordination et d’évaluation) dont l’inertie bureaucratique menace l’institution dans son ensemble dès lors que ses agents consacrent davantage de temps à rendre compte de leurs actions qu’à les mettre en oeuvre. La vie sociale à l’unesco, retracée à mi-ouvrage, montre combien l’individualisme, les rancoeurs et autres rivalités rendent l’ambiance de cette auberge espagnole détestable. L’analyse du fonctionnement des services centraux (leçon 6e) conduit l’auteur à souligner les travers de la hiérarchie au sein de l’organisation, la décentralisation dans les bureaux hors siège (leçon 7e) étant un moyen efficace de s’y soustraire. En matière de salaires et de protection sociale le mot d’ordre est à l’économie (leçon 8e), on fait carrière plutôt horizontalement que verticalement (leçon 9e) et l’agent se montre peu prompt à faire valoir ses droits (leçon 10e). Pivot de l’institution, le directeur général (leçon 11e) doit quant à lui composer avec les dysfonctionnements du Conseil exécutif (leçon 12e) et de la Conférence générale (leçon 13e). D’ailleurs, à l’instar des autres organisations internationales, l’unesco est le lieu privilégié des luttes entre États membres (leçon 14e). L’ouvrage s’achève par une leçon-fiction qui projette le lecteur en 2045 pour conclure que si la proportion homme/femme évolue dans le sens d’une plus large représentation de la gent féminine, les bureaucraties nationales et internationales seront profondément transformées.

Destiné aux néophytes comme aux professionnels de la diplomatie, cet ouvrage – cet examen de conscience lucide devrait-on dire – offre une multitude d’anecdotes pour décrypter une organisation internationale. Bien informé, l’ouvrage est d’autant plus agréable à parcourir que l’auteur adopte un ton délibérément enjoué et facétieux, qui ne verse jamais dans le mépris ou le dénigrement, mais qui tranche indéniablement avec le discours diplomatique conventionnel. La lecture n’en devient qu’un pur moment de détente, et c’est tant mieux, car comme disait Luis Buñuel « une journée sans rire est une journée perdue »…