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Ce livre se démarque de la littérature existante du fait qu’il constitue la première synthèse de l’histoire du Yucatán du xixe siècle à nos jours. Spécialiste de l’histoire agraire mexicaine et de l’indianité, Marie Lapointe déroule ainsi le film du Yucatán, depuis l’âge d’or des plantations de henequen, jusqu’à la mondialisation et à l’ère du tourisme de masse, en passant par les conséquences agraires de la Révolution mexicaine. Au-delà du cliché de l’indéniable attrait des plages de Cancún, et des inestimables richesses archéologiques des ruines mayas, ce livre ajoute à nos connaissances en ce sens qu’il invite à un voyage dans une partie mal connue du Mexique, bien que très visitée.

Au terme d’un propos introductif centré sur l’état de la littérature et les questions de méthode, Marie Lapointe présente une synthèse succincte des époques précolombienne, coloniale et de la première moitié du xixe siècle. L’auteur procède, ensuite, par période chronologique avec, au début de chaque chapitre, une synthèse de l’histoire économique et politique du Mexique pour une époque donnée, pour enfin aborder le cas du Yucatán dans une perspective fédérale/provinciale.

Le premier chapitre, consacré à la dictature de Porfirio Diaz et à l’âge d’or du libéralisme (1876-1910), montre comment la Fédération a été instituée par de puissants oligarques militaires et propriétaires terriens. Le pays s’ouvre aux investissements américains et tandis que l’oligarchie exportatrice s’enrichit, le peuple vit dans un état proche du servage. La récession économique américaine de 1907 entraîne l’implosion du régime porfirien. De 1910 à 1924, malgré la révolution et les débuts de la reconstruction (chap. 2), au Yucatán l’oligarchie renonce au pouvoir politique, mais conserve sa mainmise sur l’économie. Le chapitre 3 aborde la transition du populisme au corporatisme (1924-1940) avec comme fil conducteur la minimalisation des luttes de classes, en particulier pendant la crise des années 1930. Les compagnies pétrolières étrangères sont nationalisées, mais les réformes agraires n’affectent que superficiellement la péninsule yucatèque. Puis, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée encouragent les élites mexicaines à renouer avec les oligarchies pour profiter de la manne des exportations de matières premières aux États-Unis. Le chapitre 4 traite cette première phase du miracle économique (1940-1955). À ce deuxième âge d’or du Yucatán, qui n’aura pas duré plus de douze ans, succède une période de développement protectionniste et de fuite en avant pétrolière (1955-1982) analysée dans le chapitre 5. Pour endiguer l’explosion sociale au Yucatán, le parti-État fédéral esquisse une nouvelle réforme agraire, encourage vaguement la diversification agricole dans les régions des agrumes, de l’élevage et du maïs, et nationalise l’industrie cordière liée au henequen. La découverte de plusieurs gisements de pétrole permet au Gouvernement d’emprunter facilement pour financer à grands frais ces réformes. L’échec est retentissant : le Yucatán devient l’une des régions les plus pauvres du pays et, avec la baisse du brent (1982), le pays se retrouve en état de cessation de paiements. Le dernier chapitre décrypte les vicissitudes du néolibéralisme (1982-2000) encouragé par le président Miguel de la Madrid. Outre la vente de centaines d’entreprises para-étatiques déficitaires, en 1994, le Mexique attire les investisseurs américains en adhérant à l’alena. Des emplois sont créés, mais la population reste dans la précarité ou émigre vers l’eldorado californien.

Dans une brève conclusion, l’auteur résume son propos pour confirmer sa thèse : à savoir qu’au Yucatán l’inégale répartition des richesses tient à une succession d’accords de domination coloniaux et néo-coloniaux permettant à l’oligarchie de perdurer. En toute fin d’ouvrage la question de la pertinence d’une analyse comparable applicable au cas du Chiapas est posée.

Richement illustré (tableaux, graphiques, cartes, photographies), ce livre – très, voire trop académique dans sa forme – s’adresse à tous ceux – étudiants, enseignants et grand public – qui s’interrogent sur l’inégale distribution des richesses et les disparités socio-économiques induites par des pactes de domination. Le recours systématique à la méthode de l’analyse de contenu de plusieurs documents d’archives et, notamment, de la correspondance des présidents de la République avec les élites et les représentants des groupes de travailleurs des États, mérite pour sa part d’être signalée. Enfin, les très nombreuses notes et références, ainsi que l’orientation bibliographique, permettront au lecteur d’approfondir sa connaissance d’une région du monde riche en enseignements.