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Voilà un ouvrage collectif qui reflète bien son titre du début à la fin, tout en gardant un certain fil conducteur entre les différentes contributions, surtout dans la deuxième partie où il est question d’altermondialisation. Le lecteur saura gré aux responsables de cette publication d’avoir réuni des collaborateurs dont l’érudition permet d’offrir des textes de grande qualité, appuyés par une documentation aussi vaste que variée, d’une lecture agréable et non hermétique, comme le sont trop souvent les oeuvres académiques. C’est à la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie (mcd) de l’uqam, dont J. Duchatel est titulaire, que l’on doit cet effort collectif auquel contribuent des universitaires aussi bien québécois, que canadiens, français et anglais. Duchatel et Canet n’en sont pas à leurs premières armes auprès de cette maison d’édition, ayant publié depuis 2003 trois autres titres sur des sujets se rapportant aux préoccupations de la chaire mcd qui existe depuis 2001. Le présent volume comprend deux parties qui reprennent le titre de l’ouvrage, chacune étant partagée en deux sections où se retrouvent les dix-neuf auteurs.

R. Canet ouvre la marche avec une introduction qui pourrait être lue en même temps que la conclusion globale de J. Duchastel, étant donné qu’elle prend davantage la forme d’une introduction que d’une conclusion. Le premier, en se rapportant au titre du volume, précise que les auteurs s’inscrivent dans le courant de la nouvelle sociologie des relations internationales. Pour sa part, Duchastel évoque les fissures de l’édifice institutionnel issues de la modernité qui incitent à remettre en cause les institutions politiques et à inventer de nouvelles pratiques en vue de redéfinir la démocratie.

Dans cet ouvrage, il est abondamment question d’un concept qui a envahi les discours et les écrits depuis une dizaine d’années : celui de la société civile. Un concept qui ne peut qu’agacer tous ceux qui se sont intéressés au développement communautaire et qui continuent à encourager la participation de la population à l’intérieur des différents mécanismes décisionnels plutôt que de parler de la contribution de cette soi-disant société civile. Mais on peut savoir gré à Canet de fournir pas moins de sept définitions différentes, alors que l’on s’en tient d’habitude à celle, bien connue, de Gramsci. Cinq autres auteurs puisent à leur tour dans leur érudition pour définir ce concept à leur façon. C’est ainsi que D. Couvrat de l’uqam, dans un chapitre intitulé Altermondialisme, société civile et démocratie radicale, nous apprend que nul autre que Tocqueville y a recours dans son De la démocratie en Amérique, sans toutefois le définir.

Il fallait s’y attendre, R. Carnet ne pouvait passer à côté d’un autre concept qui s’avère de nos jours tout à fait incontournable : la gouvernance. Alors que vers la fin des années 1990, on n’y pouvait voir rien d’autre qu’un de ces buzzwords dont les milieux académiques sont si friands, on en reconnaît de plus en plus sa pertinence dans un monde où divers acteurs sont appelés à avoir voix au chapitre dans la prise de décisions sur des sujets qui les touchent directement ou indirectement. Ainsi J.A. Scholte, de Warwick University, complète les informations déjà fournies sur la gouvernance après avoir, à son tour, donné son point de vue sur la société civile dans un chapitre intitulé La société civile et la démocratie. Elle écrit ainsi : « Alors que nous avions l’habitude de parler de gouvernement, il convient maintenant de parler de gouvernance ». Aux yeux de cette auteure, si l’État ne disparaît pas, il faut admettre que l’on assiste à la fin de l’étatisme en tant que mode de régulation prédominant. Toujours en relation avec le concept de la gouvernance, J.M. Siroën, de Paris Dauphine, y ajoute celui de la globalisation en insistant, et on ne peut qu’être d’accord, sur le fait qu’il ne faut pas confondre globalisation avec internationalisation. Avec cette dernière, le monde est en effet une somme de nations interdépendantes tandis qu’avec la globalisation, le monde se trouve intégré dans un contexte dépourvu de frontières. Ce chapitre pave la voie à d’autres collaborateurs en traitant de l’éclosion (!) des organisations non gouvernementales (ong). On admettra que, si le phénomène associatif n’est pas nouveau, effectivement, des ong d’envergure internationale occupent cependant une place grandissante (depuis le sommet de Rio 1992) au sein des grands débats qui animent les grands corps internationaux tels que l’omc. Ces ong ont pour avantage, selon l’auteur, de fournir à leur tour des biens publics (information des citoyens, production de biens de santé, d’infrastructure, d’éducation, etc). À l’instar d’autres collaborateurs, l’auteur évoque le glissement sémantique vers la gouvernance qui accompagne l’évolution vers la diversification et, parfois, favorise la mise en concurrence de l’offre de biens publics.

Avec le chapitre intitulé Régionalisme et autonomie en Europe occidentale, É. Vallet et S. Lavorel, respectivement de l’uqam et de l’Université Grenoble ii, présentent une fort intéressante réflexion sur le traitement des revendications régionalistes et minoritaires vues comme une des préoccupations majeures des démocraties d’Europe occidentale. À leurs yeux, l’autonomie se présente comme une solution permettant de garantir, à un groupe qui diffère de la majorité de la population de l’État mais qui constitue la majorité dans une région donnée, un moyen d’exprimer son identité distincte. Il ne s’agit donc pas d’un état (avec un « é » minuscule) achevé, puisqu’on est plutôt en présence d’un processus de distanciation entre l’État et les collectivités régionales, d’une autonomie susceptible de se modifier progressivement. Ces réflexions pourraient, par exemple, inspirer grandement les Kabyles suite à la création en 2001 d’un mouvement favorisant une certaine autonomie de la Kabylie à l’intérieur d’une Algérie demeurant unie. Par ailleurs, les auteures risquent de semer une certaine confusion en associant autonomie et décentralisation car elles se réfèrent aux lois françaises de 1982-1983 sur la décentralisation. Il s’agit, on le conçoit aisément, d’une tout autre problématique que celle se rapportant à l’identité de populations minoritaires. Le lecteur québécois trouvera à n’en pas douter, plus pertinente l’allusion à l’Espagne susceptible d’évoluer vers un fédéralisme asymétrique. Le même lecteur, curieux de savoir ce que représente le strapontin offert en 2006 au Québec par l’unesco, pourra accorder une attention particulière au chapitre d’I. Roy, de l’Université d’Ottawa, portant sur l’impact des minorités sur les relations internationales.

La section 1 de la deuxième partie se rapporte à l’altermondialisme et aux forums sociaux qui en constituent la principale tribune. Ici, le parti-pris des auteurs ne laisse aucun doute, le style académique faisant parfois place au style journalistique rappelant Le Monde diplomatique. Ainsi. D. Drache, de York University, se penche sur l’échec du sommet de Cancun en soulignant l’émergence d’un Sud global en tant que nouveau bloc politique cependant encore fragile. Très critique envers les politiques de l’omc, l’auteur ne fait pas dans la nuance en évoquant l’hypocrisie des échanges en tant que principal moteur de la dissidence. Il y voit le résultat des pratiques de l’omc qui se font à l’abri de l’examen public. Pour sa part, C. Désy, de l’uqam, dans une section portant sur l’utopie démocratique, s’interroge sur la possibilité que de nouveaux modèles émergent de la contestation de la mondialisation. On y retrouve le slogan du fsm de Porto Alegre : « Un autre monde est possible ». L’auteure semble y croire même si elle ne convainc nullement sur les possibilités de déboucher prochainement sur des propositions réalistes et concrètes. En attendant le rêve se poursuit… Sous un angle moins idéalisé, R. Canet et S. Perrault traitent des forums sociaux en opposant le consensus de Porto Alegre à celui de… Washington. Et on ne manque pas d’évoquer le «tourisme révolutionnaire auquel donnent lieu ces grandes rencontres bien médiatisées. Qui ne connaît pas quelqu’un faisant partie de ce jet-set altermondialiste qui, au début de 2007, s’est donné rendez-vous, cette fois à Nairobi, pour le fsm de l’année ? Pour poursuivre en mode réaliste, J.A. Scholte met en évidence, en sept points, les dangers démocratiques de la société civile, ce qui n’est pas sans rappeler les billets de Lysiane Gagnon de La Presse, qui ne manque jamais une occasion de s’interroger sur la représentativité des dirigeants des diverses ong contestataires (élus par qui ?). Comment ne pas être d’accord avec le constat que certaines ong n’offrent à leurs membres guère d’occasions de participer autrement qu’en versant une cotisation… Le dernier chapitre, dû à la plume de R. Audet, R. Canet et J. Duchastel, présente un tableau intéressant de la confrontation entre la société civile et l’omc par une nouvelle allusion au fameux consensus de Washington. On y trouve une allusion au danger de la surthéorisation de ce que recouvre la notion de société civile, ce qui ne freine pas l’élan des auteurs qui la décrivent de façon pertinente en mettant en évidence trois types d’acteurs : les conformistes, les réformistes et enfin les radicaux. Seule ombre à ce chapitre : une phrase de quinze lignes (p. 332) tout à fait illisible avec ses longues parenthèses, qui finalement dit juste que la mondialisation néolibérale a façonné un environnement essentiellement centré sur les intérêts des firmes multinationales. Plusieurs s’en doutaient.

Cet ouvrage ne manquera cependant pas d’être utile à tous ceux qui, universitaires comme militants ou simples citoyens, s’interrogent sur les défis que représentent les nouveaux enjeux internationaux et sur la façon de, non seulement y comprendre quelque chose, mais aussi d’en influencer le cours.