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Comment préparer les étudiants en droit qui veulent se spécialiser en droit international public ? Il y a évidemment l’approche juridique, mais celle-ci ne peut être complète ni suffisante si elle ne repose pas sur une base de connaissances en histoire et en analyse de la réalité internationale contemporaine. Josiane Tercinet offre à ces étudiants une approche originale dans le domaine des relations internationales en vue justement de les préparer au droit international public. Elle le fait en deux tomes. Ce premier tome englobe une présentation du droit international à partir d’une approche axée sur la science politique.

L’approche est classique. Elle commence par une brève présentation historique de la formation de la société internationale allant de la fin du xve siècle jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Divisée en trois sections, cette présentation s’arrête dans un premier temps en 1814, période des grandes découvertes et de la naissance en Europe de l’État moderne. Suit l’institutionnalisation de la société internationale pendant le siècle de paix entre 1815 et le début de la Première Guerre mondiale. C’est la phase non seulement du concert européen, mais aussi de la genèse des organisations internationales à but technique et des tentatives de prévenir les conflits armés. Dans la troisième section, qui examine une période longue de trois décennies à peine, l’internationalisation de la société, amorcée dans la période précédente, continue. C’est la période qui voit non seulement la création de la Société des nations mais également l’échec de la sécurité collective qu’elle devait assurer. Voilà la toile de fond qui soutient l’analyse du livre.

Le chapitre introductif nous permet ainsi de bien comprendre l’approche de la scène contemporaine que Tercinet divise en cinq chapitres. C’est cette division qui fait d’ailleurs l’originalité de ce tome. Avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la société interétatique qui s’était developpée depuis le traité de Westphalie allait connaître une mutation profonde. Le premier chapitre examine les configurations successives du système des puissances, c’est-à-dire l’affrontement bipolaire, la coexistence entre les deux blocs et l’uni-multipolarité qui survient avec la fin des blocs. L’objet du deuxième chapitre est l’émergence du tiers-monde dont la décolonisation et le non-alignement sont les principales caractéristiques. Parallèlement à ces développements géopolitiques on voit apparaître des acteurs interétatiques, en particulier les organisations intergouvernementales à vocation universelle ou partielle à partir d’un point de vue géographique, puis les organisations non gouvernementales ainsi que les firmes multinationales ; l’auteure relève de façon adroite leur développement ainsi que leur importance sur la scène mondiale dans le troisième chapitre. Parmi les grands thèmes connus de la politique internationale comme la course aux armements et le désarmement, le terrorisme, la criminalité internationale, les pandémies et les migrations, c’est plutôt le développement économique qui retient l’attention de l’auteure dans le quatrième chapitre. Elle se penche successivement sur le phénomène de l’inégalité, sur la notion du droit du développement, sur le nouvel ordre économique international, sur l’aménagement de la coopération et du commerce international et termine avec un bilan contrasté de la coopération Nord-Sud. Dans le cinquième chapitre elle fait ressortir une nouvelle réalité qui caractérise d’ores et déjà la société internationale : la mondialisation. La scène internationale est ainsi devenue multistrate et globalisée et se définit à partir de trois niveaux : interétatique, international et transnational.

Est-ce que tous ces développements nous mènent vers une gouvernance globale ? Question importante qui semble ressortir logiquement de l’évolution de la société internationale telle que décrite dans cet ouvrage. Tercinet répond : «  Le monde actuel se compose de cercles multiples. Les cercles peuvent, selon les cas, s’emboîter, se juxtaposer ou manoeuvrer les uns avec les autres, dessinant des figures à géométrie variable ; celles-ci sont difficiles à interpréter et ne procurent pas un sentiment d’ordre, cet ordre mondial qui semblait pourtant au rendez-vous de l’histoire dans les années 1990 » ; conclusion avec laquelle tout professeur de science politique et d’études internationales ainsi que tout observateur avisé ne peut qu’être d’accord.

La présentation et l’interprétation des faits est excellente ; une seule erreur a été repérée, d’ailleurs assez répandue dans l’histoire des relations internationales. L’auteure écrit en effet qu’il y avait eu le 15 mars 1939 « l’institution d’un véritable protectorat allemand sur la Tchécoslovaquie », ce qui n’est pas exact : le 14 mars, le parlement provincial slovaque avait déclaré l’indépendance de la Slovaquie et le lendemain la partie tchèque était envahie par les troupes allemandes, ce territoire devenant le Protectorat de Bohème-Moravie. La Slovaquie signait plusieurs jours plus tard un traité d’alliance avec l’Allemagne. Il ne devrait pas être nécessaire de rappeler à une juriste qu’il y a une différence importante entre un protectorat et un allié.

Certains seront peut-être déçus du fait que l’auteure n’a pas consacré au moins un chapitre à plusieurs grands thèmes de la politique internationale. Compte tenu du cadre didactique de cet ouvrage, c’est-à-dire la connaissance et l’interprétation du droit international public, ces thèmes, aussi importants soient-ils, ne pèsent pas autant sur la formation d’un ordre juridique mondial que le thème du développement économique et les caractéristiques de l’ordre international qu’elle présente et analyse. Cela dit, cette approche est très utile pour un étudiant en science politique qui lui aussi doit, s’il cherche à comprendre, voire à trouver des pistes de solution quant aux autres thèmes, accepter le bien-fondé des caratéristiques principales du système international telles que présentées par Tercinet. Ce n’est pas le moindre mérite de cet excellent ouvrage qui servira à tous les étudiants en sciences sociales.