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Les migrations ont toujours joué un rôle important dans le développement politique et social des pays d’arrivée et leur augmentation a toujours accompagné l’enrichissement d’un pays. Pour de nombreux économistes, les flux migratoires de travailleurs augmenteront au fur et à mesure que la mondialisation progressera. Dans ce contexte, les politiques mises en place par les États ont une certaine importance : plus un pays favorise l’ouverture de ses frontières aux travailleurs qualifiés, plus son influence politico-économique grandit sur sa zone d’influence.

La compétition est cependant rude entre l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie pour attirer les immigrants les plus diplômés. La facilitation juridique est importante mais souvent ne suffit plus. Dans ces conditions se pose, pour l’individu, le choix crucial du pays qui offrira les meilleures perspectives professionnelles mais aussi personnelles. Cet ouvrage collectif se propose de faire le point sur les différentes politiques suivies par les principaux pays attractifs dans le monde visant à attirer les meilleurs talents.

La première partie de l’ouvrage de Kuptsch et Pang pose les grandes questions relatives à la compétition qui s’engage à travers le monde pour attirer les talents ou travailleurs qualifiés. Abella pose la problématique des politiques adoptées récemment pour attirer spécialistes et professionnels et examine les conséquences de cette orientation sur la sécurisation du parcours migratoire. Pour attirer et surtout retenir un immigrant qualifié, il faut souvent adopter une législation sur la délivrance des permis de séjour plus souple et plus ouverte. Abella établit une typologie des différentes approches pour attirer les travailleurs qualifiés : le capital humain, les besoins du marché du travail, les exigences des milieux d’affaires, l’excellence académique et universitaire. Christiane Kuptsch focalise son analyse sur la compétition internationale pour attirer les étudiants et souligne que cette compétition a aussi des arrières pensées économiques.

La seconde partie traite du thème de la dynamique des enjeux et stratégies des différents pays d’arrivée, qu’ils soient industrialisés ou en développement rapide comme la Chine ou l’Inde. Allan Findlay souligne le changement d’orientation politique au Royaume-Uni d’un pays d’échanges de cerveaux (brain exchange) à un pays d’attraction (brain gain) dans une optique utilitariste. Findlay parcourt la littérature existante sur la globalisation des échanges humains, notamment au sein des multinationales et des grandes métropoles. Il s’interroge sur l’impact de ces nouvelles migrations sur les droits sociaux des immigrants en général. Philip Martin pense que l’exemple des États-Unis est révélateur : la migration qualifiée est d’abord provoquée par une opportunité d’emploi, rarement par des mesures incitatives. 90 % des étrangers qui ont reçu un visa d’immigration américain possédaient déjà un visa temporaire de travail ou d’études. Martin souligne que la réussite du modèle américain en matière d’attraction des talents s’explique par une plus grande flexibilité juridique qui permet de changer de statut à l’intérieur du pays.

Hugo traite ensuite de l’exemple australien, soulignant que même si l’Australie dispose d’une longue expérience historique en matière d’immigration, elle est cependant handicapée par sa situation géographique qui la met à l’écart des grands flux mondiaux. Pourtant le pays a réussi sa politique d’attraction des talents, notamment asiatiques. L’exemple de Singapour, repris par Fong, est significatif : un pays de petite taille doit adopter une politique d’immigration ouverte et proactive s’il veut survivre dans la compétition internationale. L’auteur pense que l’usage de l’anglais dans la ville-État est un atout pour attirer les cerveaux. Kamibayashi examine les politiques d’immigration au Japon et constate que le pays change progressivement sa législation pour rendre plus facile l’obtention de permis de travail aux étrangers, et que la société japonaise, encore perçue comme conservatrice, commence à évoluer vers plus d’acceptation et davantage d’immigration choisie. Deux grands pays sont ensuite étudiés, la Chine et l’Inde, qui connaissent plutôt une fuite de leurs travailleurs qualifiés vers des pays plus développés, mais Zwerg constate que la Chine a récemment fait adopter des lois pour faciliter le retour des cerveaux chinois. Mais plus que les incitations étatiques, c’est surtout la formidable croissance économique qui explique le regain d’intérêt des expatriés pour leur pays d’origine. Chanda et Sreenivasan présentent ensuite un aperçu du très particulier contexte indien. L’Inde est en effet un grand exportateur de main d’oeuvre qualifiée mais l’État essaie de tirer profit de la formidable diaspora indienne à travers le monde pour faciliter les transferts d’argent et de technologie.

La quête des talents à travers le monde peut avoir une incidence sur les rapports entre États. Une incidence positive lorsqu’elle force les pays de départ à se réformer pour faire face à une fuite de main d’oeuvre, négative lorsqu’elle altère les relations entre pays riches et pays pauvres, ces derniers dénonçant un pillage de ressources humaines nécessaire au développement. Dans le dernier chapitre, Counihan et Miller recommandent pour leur part d’abandonner le modèle de l’État-nation mono-ethnique pour favoriser l’ouverture à l’immigration qualifiée provenant de différentes cultures. Ils soulignent notamment que dans un contexte de mondialisation, l’expérience a montré une évolution parallèle entre des phases distinctes de développement économique. La migration qualifiée grandit au fur et à mesure que la société s’enrichit et s’ouvre vers l’extérieur. Les politiques suivies par les États peuvent ralentir ou accélérer ce processus mais à long terme le processus de détachement de l’individu-migrant vis-à-vis de son pays d’origine semble irréversible.

D’inspiration clairement libérale – l’ouverture des frontières aux immigrants qualifiés est jugée positive pour tous les pays – l’ouvrage permet de comprendre les enjeux principaux et les stratégies menées par les grandes puissances pour attirer chez elles les meilleurs spécialistes et travailleurs. Les analyses sont fines et bien argumentées quoique parfois incomplètes. L’expérience européenne de libre circulation de ses citoyens est par exemple à peine effleurée, les problèmes liés à l’installation de populations étrangères éduquées et à haut revenu dans une région d’arrivée ne sont pas abordés. En conclusion, l’ouvrage est une bonne initiation pour comprendre les principaux défis de demain en matière d’immigration : attirer et retenir des travailleurs qualifiés et des talents devenus plus mobiles et plus exigeants dans un contexte de compétition internationale.