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Dans l’approche du conflit israélo-palestinien, la question des réfugiés demeure la plus sensible politiquement et de ce fait la plus instrumentalisée. Longtemps niée comme inconcevable, l’expulsion des réfugiés palestiniens telle que décrite par Elias Sanbar ou, ce qui revient au même, le refus par l’État d’Israël de les réadmettre chez eux est aujourd’hui considérée comme une réalité historique, justifiée du côté israélien comme une nécessité politique, ainsi que l’affirme sans complexe l’incontournable nouvel historien israélien Benny Morris, révisionniste en son temps de la lecture sioniste traditionnelle du problème des réfugiés palestiniens. Quoi qu’il en soit, il en a résulté pour les exilés et leurs descendants une diaspora contradictoirement tiraillée, comme l’a montré Basma Kodmani-Darwich (1997), entre l’attrait de l’assimilation – réalisme oblige – et le désir de préserver une originalité culturelle et politique, ressort d’un discours métapolitique sur un futur retour dans la patrie perdue. Il est peu de dire que, comme l’a expliqué Alia Zureik (1998), non seulement le droit international n’y trouve pas son compte, mais encore que la situation juridique des intéressés s’en trouve singulièrement complexifiée, soit de leur propre fait, soit à cause de leurs États de résidence.

Le Liban, à cet égard, représente un cas tout à fait particulier dont on peut s’étonner qu’il fasse pour la première fois seulement le sujet d’un livre en français, qui va au-delà des nombreux articles, exclusivement de langue française ou anglaise, mentionnés par l’auteur. Son dessein vise en effet à décrire avec précision la projection non seulement d’une histoire particulière, celle des migrations palestiniennes dans un espace géographique politiquement problématique, mais aussi celle du choc en retour des péripéties politiques régionales sur l’implantation de la population palestinienne réfugiée et sur ses dynamiques migratoires. Cet ouvrage pose ce faisant la question de la conjonction contradictoire de la pérennisation des camps et de la précarité des statuts, de l’aspiration au retour et de la tentation de toujours plus lointaines réémigrations.

L’auteur a choisi d’articuler son ouvrage en deux parties : avant le déclenchement de la guerre civile libanaise (1975) et après. La première débute donc en 1948 avec l’exode en catastrophe des réfugiés de Galilée, notamment de Haïfa. D’abord dispersés, ils se sont majoritairement concentrés dans 16 camps (aujourd’hui 13) du nord au sud, mais plus particulièrement et au plus près dans la région de Tyr, dans laquelle le rapport des réfugiés à l’espace aurait selon M.K. Doraï quelque chose de paradigmatique en matière de regroupements familiaux, de constance culturelle et de fidélité mémorielle, mais aussi d’adaptation à un contexte juridique et économique très pénalisant.

Cette situation allait gravement se dégrader dans les années quatre-vingt avec l’interventionnisme syrien, l’occupation israélienne, la guerre des camps, et même les accords d’Oslo. La seconde partie de l’ouvrage correspond à cette période. S’y trouvent décrits les nouveaux déplacements consécutifs aux offensives israéliennes et à l’expulsion de l’olp. Après l’esquisse d’une typologie des nouveaux espaces migratoires au Liban, ce sont plutôt l’analyse des courants de réémigration et l’aperçu de la situation des réémigrés dans un espace transnational qui forment la partie la plus novatrice de l’ouvrage. Ainsi, à maints égards, les camps deviennent-ils des espaces-tremplins pour de nouveaux départs qui tendront à faire des hérédo-réfugiés de 1948 des migrants comme les autres, aspirant à acquérir la nationalité du pays d’accueil. Sur les 400 000 réfugiés palestiniens du Liban, 10 000 auraient ainsi réémigré. Maintenant dans un premier temps des liens affectifs et financiers étroits avec leurs familles au sein de réseaux à géométrie variable, ils deviennent en acquérant la nationalité du pays d’accueil autant de pôles de regroupement familial, notamment par le mariage des filles avec des Palestiniens sans nationalité définie restés au Liban. Fort discret sur la présence palestinienne aux États-Unis où vivent cependant près de 200 000 réémigrés, notamment du Golfe, M.D. Doraï, développe le cas européen : celui de la Suède en particulier qui a joué un rôle de premier plan dans l’accueil des réémigrés (environ 10 000), ainsi que du Danemark (environ 20 000) et de l’Allemagne (environ 30 000), traitée pour sa part plutôt sous l’angle du transit.

Quelques considérations théoriques sur la notion de diaspora appliquée au cas palestinien sont, vers la fin du livre, les bienvenues. Récusée par E. Sanbar et B. Koodmani-Darwich au profit du concept de communauté transnationale, l’auteur estime que la notion de diaspora est pertinente dans la mesure où il s’agit d’une diaspora fluide, dynamique (A. Médam), politique (M. Bruneau) et ethno-nationale sans État de rattachement (G. Sheffer). Mais, conciliant, il reconnaît que, politiquement, les Palestiniens de l’extérieur, dans le sillage de leurs élites, revêtent bien des traits d’une communauté transnationale.

Cette concession conduit l’auteur à une conclusion optimiste où réapparait discrètement le voeu du militant quant à la persistance du sentiment d’appartenance politique et ethno-nationale palestinienne, malgré les dynamiques d’intégration spatio-temporelles à l’oeuvre. Il est également optimiste quant à l’efficacité des pressions que les communautés palestiniennes seraient en mesure d’exercer sur la diplomatie internationale. Il l’est encore vis-à-vis des perspectives de règlement avec Israël du problème global des réfugiés inspiré par Rashid Khalidi. Une autre réalité risque cependant d’advenir depuis qu’avec l’intervention de l’Autorité palestinienne de Ramallah et la territorialisation du mouvement national palestinien, l’extérieur a cessé d’en être le centre de gravité et redevient une périphérie politiquement de plus en plus marginalisée, intégrée et globalement dépolitisée.