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L’ouvrage dont il s’agit ici consiste en un regroupement de multiples perspectives critiques sur la mondialisation à partir de 33 textes en anglais déjà parus dans différentes revues universitaires (New Political Enonomy, Cambridge Review of International Affairs, Democracy and Nature, World Development) ou provenant de plusieurs livres et rapports, pour la plupart publiés entre 2000 et 2004. Les quelques pages les plus anciennes remontent à 1996. Tous les textes sont ici reproduits directement de la source, et non réédités uniformément, ce qui donne parfois à l’ensemble le fini inégal d’un recueil de notes de cours photocopiées, avec souvent une double pagination : celle du texte d’origine qui conserve sa mise en page initiale, et celle du présent recueil. Sur le plan éditorial, le principal inconvénient de cette formule (plus économique pour l’éditeur) est que les noms de plusieurs des auteurs n’apparaissent pas en tête de chaque chapitre, ni à la fin des notes, surtout dans le cas où le passage retenu est un extrait provenant du milieu d’un livre, puisque le nom de l’auteur n’y apparaît normalement pas (voir des exemples de ce problème dans les textes de Samir Amin, Saskia Sassen, Ha-Joon Chang et Ilene Grabel) ; il faut alors se référer à la table des matières placée en début d’ouvrage pour identifier exactement qui a écrit quoi dans ce livre.

Ouvrage considérable, à la fois théorique, analytique et comparatif, Critical Perspectives on Globalization se subdivise en deux parties : la première, la plus radicale, présente une critique étayée de la mondialisation et du néolibéralisme sous plusieurs angles et selon différents cadres théoriques ; la seconde moitié insiste davantage sur les risques liés à la mondialisation, tant du point de vue économique, politique, qu’environnemental, sans négliger pour autant la délicate question des droits de l’homme. Plusieurs textes traitent de la mondialisation selon une perspective féministe, et touchent la division des tâches et du travail, les salaires, et les standards selon les pays (chap. 19 à 25).

L’ouvrage s’ouvre sur un court texte de l’économiste Samir Amin intitulé The Future of Global Polarization, dans lequel celui-ci relie la mondialisation à l’érosion de l’État-nation et du lien social, phénomène qui donnerait lieu à l’émergence de cinq monopoles. Selon Amin, ces cinq nouveaux monopoles seraient les nouvelles technologies, le contrôle financier des marchés mondiaux, les accès privilégiés aux ressources naturelles, la concentration des médias, et enfin le contrôle des armes de destruction massive. Bien que ce texte de 1997 soit parmi les plus anciens du recueil, il présente succinctement et efficacement quelques bases claires pour pouvoir analyser les effets de la mondialisation, proposant même des hypothèses d’alternatives qui sont par la suite critiquées et invalidées par l’auteur, ce qui laisse le débat entièrement ouvert, même après dix ans.

Le deuxième texte (de Saskia Sassen) s’inspire d’abord de l’histoire et de la géopolitique pour analyser les nouvelles dynamiques du pouvoir, sous le regard de l’américanisation et du droit international. Le troisième texte apparaît plus approfondi que les deux précédents, qui sont davantage intuitifs. Ici, l’économiste Branko Milanovic (de la Banque mondiale) énonce sa conception des deux visages de la mondialisation (l’un positif, l’autre, on le devine, beaucoup plus négatif), en se fondant sur des statistiques comparées des indices de croissance selon les continents.

Rédigé sous la forme d’un débat fictif entre tenants et opposants, le quatrième chapitre de Ha-Joon Chang et Ilene Grabel veut cerner et déconstruire les principaux mythes entourant la mondialisation : ainsi, à l’argument voulant que la mondialisation fonctionne et soit bénéfique, on oppose adroitement une série d’objections variées (tant quantitatives que qualitatives). L’extrait suivant, l’un des deux qui soient rédigés par l’économiste Robert Hunter Wade, pose également une question, à savoir « est-ce que la mondialisation réduit la pauvreté et les inégalités ? ». En se basant sur des données de la Banque mondiale, l’auteur (par ailleurs l’un des coresponsables du présent ouvrage) met en scène un débat similaire pour préciser – sous la forme de propositions énoncées puis contestées – les enjeux et les conséquences du néolibéralisme. Plus proche de l’essai, le texte de Jerry Mander (l’auteur du livre Four Arguments for the Elimination of Television en 1977) s’intéresse aux processus d’aliénation et de déculturation rendus possibles par les nouvelles technologies. Les sept textes de la section suivante touchent aux questions environnementales et particulièrement à l’exploitation à grande échelle des richesses naturelles. De ce nombre, on retiendra celui de Peter Newell, qui soutient que la création d’une organisation mondiale de l’environnement serait en fait la mauvaise solution à un faux problème.

Les textes réunis dans la deuxième moitié de l’ouvrage touchent principalement à la question du risque et des menaces suscitées par la mondialisation, dans la foulée de la tragédie du 11 septembre 2001. Dans cette partie plus brève, le texte de John Tomlinson (chap. 32) présente de l’intérêt en ce qu’il traite de la mondialisation de la culture et de ce qu’il nomme, à l’opposé du philosophe Oswald Spengler, mais à l’instar de Giddens, Beck, et Zygmunt Bauman, le triomphe de l’Occident. Le recueil ne comporte pas de conclusion. On n’y traite par ailleurs très peu du Canada ou d’auteurs canadiens (à quelques allusions près).

Critical Perspectives on Globalization est une anthologie qui comporte plusieurs articles excellents et très stimulants, en particulier les chapitres 12 à 18 consacrés à la critique du développement durable. Je dois admettre que plusieurs des meilleurs extraits choisis provenaient de revues académiques que je ne connaissais pas, principalement celles du groupe britannique Taylor and Francis (voir la liste complète dans les remerciements, p. x). Trois critiques mineures peuvent toutefois être formulées, en dépit des nombreuses qualités de ce recueil. D’abord, le choix des sources retenues se limite beaucoup trop aux périodiques et ouvrages occidentaux de langue anglaise ; on ne trouve pratiquement pas d’extraits de publications provenant des pays du Sud, ni du continent asiatique. Même l’article de Dong-Sook S. Gills provient d’une revue américaine, les Annals of the American Academy of Political and Social Science. De plus, l’absence d’un index thématique complique le repérage et la recherche de certains concepts spécifiques (on ne trouve d’ailleurs qu’un index des noms). Néanmoins, le recueil Critical Perspectives on Globalization sera indéniablement utile aux étudiants du niveau de la maîtrise qui voudraient trouver une variété d’approches critiques sur la mondialisation. Mais compte tenu de son prix de vente élevé (environ 300 $ canadiens), il faut espérer que nos bibliothèques universitaires soient en mesure d’acquérir rapidement cet important ouvrage.