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Robert Litwak est directeur de la Division of International Security Studies du Woodrow Wilson International Center for Scholars qui fait partie de la Smithsonian Institution à Washington, dc. Il est également professeur à la School of Foreign Service de l’Université Georgetown, et auteur de nombreux ouvrages dont notamment Détente and the Nixon Doctrine, Security in the Persian Gulf, Nuclear Proliferation after the Cold War, et Rogue States and us Foreign Policy.

Le présent livre s’inscrit en quelque sorte dans le prolongement de ses recherches antérieures sur la politique étrangère des États-Unis, mais cette fois-ci à travers le prisme des événements du 11 septembre et de la guerre en Irak. Il prolonge également plusieurs réflexions condensées dans l’un des ouvrages cités plus haut, Rogue States and us Foreign Policy.

Ce livre dense et remarquablement documenté se divise en deux grandes parties. Dans la première, composée de trois chapitres, l’auteur analyse en profondeur les grandes options de la politique étrangère des États-Unis dans le nouvel ordre international en gestation, l’usage de la force et la stratégie envers les Rogue States. Dans la seconde partie composée de quatre chapitres, il s’attache plus particulièrement à analyser l’évolution des quatre pays qui, selon lui, constituent le noyau dur des Rogue States : l’Irak, la Libye, l’Iran et la Corée du Nord. Il montre également la menace que représentent des acteurs non-étatiques comme Al-Qaïda. Dans ses conclusions, il s’interroge longuement sur les facéties de la politique étrangère de ce qu’il appelle la République impériale et de l’impact des événements du 11 septembre et de la guerre en Irak sur la posture internationale des États-Unis.

Dans cet ouvrage, l’auteur développe trois thèmes principaux. Le premier concerne les changements importants dans la politique de sécurité nationale des États-Unis après les événements du 11 septembre. Ceux-ci ont incontestablement contraint l’Administration Bush à redéfinir le concept même de sécurité nationale sur la base des nouvelles menaces. Les attaques du 11 septembre 2001 ont grandement bouleversé tous les débats en cours. Elles ont non seulement fait passer, à l’époque, les discussions sur le nucléaire ou les défenses antimissiles au second plan, mais également profondément renouvelé l’approche des questions de prolifération. En effet, elles ont montré la difficulté de repérer à l’avance les agissements d’un groupe terroriste bien organisé, et ont fait apparaître l’inefficacité de la dissuasion traditionnelle – puisque les terroristes n’ont pas d’État, de territoire ou de population contre lesquels exercer des représailles. Le vrai danger, c’est que ces groupes se procurent des armes de destruction massive auprès des Rogue States. C’est donc là qu’il faut agir – en plus de la lutte contre les réseaux terroristes eux-mêmes. L’auteur montre bien que la simple existence d’armes de destruction massive devient en quelque sorte une menace pour les États-Unis, et dans ce contexte, la distinction entre les armes nucléaires d’un côté (vraiment dangereuses) et les armes chimiques et biologiques de l’autre (beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre et moins létales) a été un peu plus effacée. Après la politique de non-prolifération (par les traités et les relations bilatérales), puis celle de contre-prolifération (plus active car elle implique éventuellement des actions militaires), est venue la politique de préemption, élevée cette fois-ci au rang d’option politique.

C’est dans le cadre de cette nouvelle perception de la sécurité nationale que l’Administration Bush a décidé de frapper l’Irak, accusée de développer des armes de destruction massive et d’entretenir des liens avec Al-Qaïda. Cette guerre visant au changement de régime en Irak était dès lors, selon l’auteur, devenue impérative pour une Administration en lutte contre le terrorisme international. Elle n’aurait pas été possible avant la tragédie du 11 septembre. Après celle-ci, elle devenait justifiée malgré les réserves, voire l’opposition des alliés des États-Unis (à l’exception de la Grande-Bretagne).

L’auteur analyse les différents arguments avancés par les uns et les autres, les Européens en général soutenant l’idée que la réponse américaine (la guerre contre le régime de Saddam Hussein) allait exacerber les tensions à l’intérieur de l’Irak et promouvoir la cause des islamistes radicaux dans le monde arabo-musulman. Le fait de ne pas avoir trouvé d’armes de destruction massive en Irak ni de liens tangibles avec Al-Qaïda après la chute de Saddam Hussein, a contraint l’Administration Bush à changer de rhétorique. Dès lors, l’accent a été mis sur la dimension humanitaire et surtout sur la nécessité d’imposer la démocratie dans un pays soumis depuis longtemps à une dictature féroce violant de manière constante les droits de l’homme. Ces nouveaux prétextes n’ont guère convaincu. En fait, ils n’ont fait qu’alimenter les arguments de ceux qui soutenaient que l’intervention en Irak masquait de vieux intérêts tels que l’accès aux ressources pétrolières et le règlement final d’une question ouverte lors de la première guerre du Golfe en 1991.

L’auteur analyse de manière pertinente la suite des événements. Plus d’un an après la fin des « opérations conventionnelles » en Irak, les États-Unis sont toujours considérés comme une puissance occupante et doivent faire face à une insurrection armée menée par des groupes violents les plus divers, y compris ceux ayant fait allégeance à Al-Qaïda. Cette situation inextricable a contraint l’Administration Bush à se tourner vers les Nations Unies pour tenter de légitimer son intervention et d’obtenir une assistance pratique pour faire face à la situation. L’unilatéralisme a fait place à un usage plus approprié du multilatérisme dans les relations internationales des États-Unis. La politique irakienne de l’Administration Bush a également suscité un débat aux États-Unis sur l’usage de la force armée. L’auteur estime d’ailleurs que les pertes américaines risquent de provoquer, à l’instar de ce qui s’est passé après la défaite du Vietnam, un syndrome irakien qui pourrait relancer une vague d’isolationnisme.

Le second thème central développé par l’auteur s’inscrit dans le prolongement du premier. Le concept de changement de régime ne peut, selon lui, qu’envenimer les relations avec les Rogue States. Le modèle irakien est à ses yeux totalement contre-productif dans la gestion des relations avec ces États. Il pense que les leçons tirées de l’échec de ce modèle devraient contribuer à la mise en oeuvre d’une gestion plus pragmatique des relations avec des pays comme la Corée du Nord et l’Iran. À titre d’exemple, il cite le cas de la Libye, longtemps considérée comme un Rogue State, et montre combien l’usage de la force doit être intégré de manière appropriée dans la diplomatie. Le problème est de savoir comment gérer ce type de situation.

Le troisième thème concerne la sécurité de l’après le 11 septembre. Comment gérer de nouvelles menaces contre le territoire national de la part d’un acteur non étatique comme Al-Qaïda agissant éventuellement avec l’assistance d’un Rogue State ? Il s’agit, pour l’auteur, d’élaborer une stratégie adéquate et efficiente pour lutter contre ce type de menace. À cette fin, il faut, selon lui, se focaliser sur trois catégories d’États : les sponsors actifs (par exemple, l’Iran et la Syrie) qui utilisent le terrorisme comme un instrument au service de leur politique étrangère ; les sponsors passifs (par exemple, l’Arabie saoudite et le Pakistan) qui ferment les yeux ou –tolèrent les activités terroristes sur leur territoire ; et enfin, les États faibles (weak states) qui ne possèdent pas la capacité ni de contrôler ce qui se passe sur leur territoire (par exemple, la Somalie) ni de juguler les trafics portants sur des armes de destruction massive (par exemple, la Russie). L’auteur pense que les mesures prises au niveau national ne vont pas résoudre ces problèmes mais contribueront à changer la nature de la menace et donc la gestion de celle-ci.

Cet ouvrage dense et intéressant est basé sur de nombreuses références et complété par un index fort utile au lecteur. Il permet à tous ceux qui s’intéressent aux méandres de la politique étrangère des États-Unis d’en mieux comprendre les grands enjeux, notamment en matière de sécurité. Écrit dans un style clair, il permet surtout de s’interroger sur l’avenir de cette République impériale après l’aventure irakienne.