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Ce douzième livre de cette collection consacrée à la gouvernance s’inscrit dans la tradition des autres ouvrages sur la santé à l’échelle mondiale, en considérant la mobilisation des acteurs internationaux en matière de santé comme une réponse à un problème, à des stimuli. Mais les auteurs s’ancrent aussi dans une conception moderne de la gouvernance en matière de santé : ils mettent en avant tout au long du livre les déterminants sociaux de la santé et le lien fort entre celle-ci et la richesse à la veille de la conférence interministérielle organisée en juin 2008 sur ce thème par le bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé (oms). Les contributions à l’ouvrage sont issues de trois programmes de recherche au Royaume-Uni et au Canada, qui avaient donné lieu, en automne 2005, à des ateliers à l’Université de Waterloo.

Le postulat de base de l’ouvrage s’articule autour de l’idée selon laquelle les atteintes à la santé dans le monde d’aujourd’hui s’affranchissent des frontières traditionnelles, menaçant l’ensemble de la population, et ne rencontrent qu’une résistance insuffisante, puisque le système actuel de gouvernance de la santé atteint ses limites. Les auteurs montrent donc que ce mode de gouvernance doit être amélioré, et s’attachent à définir les causes des défaillances, à analyser l’environnement mouvant dans lequel évolue la gouvernance en matière de santé et à proposer des pistes de réforme.

Les auteurs distinguent trois périodes dans la collaboration internationale en matière de santé : en premier lieu, du milieu du xixe siècle au début du xxe siècle, des négociations ont été entamées, qui ont mené à une première forme, encore très libérale, de coopération ; ensuite, c’est paradoxalement pendant la période qui a connu les progrès les plus rapides de la médecine et des découvertes (jusqu’aux années 1980) que la coopération internationale en matière de santé a marqué une pause ; la troisième période qui s’est ouverte au début des années 1990 est la période actuelle, marquée par une coopération intense en la matière. C’est aussi du fait de la multiplication des acteurs impliqués que les auteurs appellent, au-delà de la coopération multilatérale, à la mise en place d’une véritable gouvernance dans le domaine de la santé. Ces acteurs nombreux ont contribué à la diffusion de deux paradigmes essentiels, qui expliquent l’importance accordée désormais à ce domaine au niveau international. D’une part, explique James Orbinski, les mouvements sociaux ont travaillé à la diffusion d’une conception de la santé basée sur la dignité humaine et l’équité. D’autre part, souligne David P. Fidler, la santé au niveau global est désormais abordée sous l’angle de la sécurité. La « sécuritisation » de son champ s’expliquerait par la peur grandissante des armes biologiques, la conscience croissante des conséquences immenses du virus vih et du sida dans les pays en développement, et la vulnérabilité de plus en plus forte de tous les pays face à l’expansion de risques pathogènes. Ainsi, entretenant un débat vif, la conception sécuritaire de la santé est venue s’intégrer aux paradigmes préexistants, basés sur des considérations économiques et sur la conception de dignité humaine. Pour autant, le travail de conceptualisation n’est pas achevé, et il reste à clarifier les relations entre santé publique et sécurité.

Les auteurs soulignent ensuite que la globalisation représente à la fois des risques et des opportunités fortes en matière de santé. Dans certains cas, la distinction est difficile, et selon les pays, le tourisme de la santé peut s’avérer bénéfique ou néfaste. Une gouvernance solide est donc nécessaire pour résoudre des problèmes qui ne s’arrêtent pas aux frontières des États, pour définir les déterminants de la santé dans tous les secteurs, et pour impliquer l’ensemble des acteurs et des intérêts à l’oeuvre. Cette nouvelle gouvernance devra être capable d’amener un consensus sur les bases morales de la coopération en matière de santé, de définir le champ de l’action en commun et de construire un leadership, de trouver les ressources suffisantes pour la coopération internationale et de bâtir des mécanismes pour assurer le respect des priorités en matière de santé définies au niveau international. Pour tout cela, les États ne peuvent agir individuellement, et une action collective est nécessaire. Plus encore, pour parvenir à des résultats, il faut une approche plurisectorielle, qui est celle portée par les objectifs de développement du millénaire. Les cibles en matière de santé ne pourront être atteintes que si un travail est fait pour se rapprocher de l’ensemble des objectifs.

L’ouvrage se fait ensuite le théâtre d’un débat sur le rôle du G8 dans la gouvernance en matière de santé. Deux contributions estiment que le G8 est non seulement légitime, mais également efficace pour assurer le leadership de cette gouvernance : le G8 a pris un rôle croissant dans la santé à l’échelle internationale pour pallier les défaillances des acteurs internationaux classiques : le faible nombre de ses membres et la forte assise des présidents présents aux négociations dans leurs pays respectifs lui permettent d’agir efficacement, et il est de plus capable de se doter d’instruments incitant les États membres à se conformer à leurs engagements. Pourtant, deux autres textes remettent en question ce rôle prépondérant du G8. Ils soulignent, d’une part, que certaines actions promues par le G8 viennent en contradiction avec l’idéal de santé qu’il affiche par ailleurs, et qu’il y a là un manque de cohérence évident. D’autre part, la légitimité du G8 pour assumer le leadership dans la gouvernance en matière de santé est remise en question, tant vis-à-vis des acteurs au sein du système des Nations Unies que vis-à-vis des acteurs non étatiques.

Enfin, la dernière contribution à l’ouvrage rappelle que la santé est un droit de l’homme et que le succès de la gouvernance en matière de santé doit être mesuré à l’aune de la capacité offerte à chacun d’exercer ce droit.

Cet ouvrage collectif pose dès l’introduction les bases transversales communes à tous les textes, mais laisse pour autant une place au débat. Il soulève par ailleurs certains points essentiels, comme le rôle prépondérant des systèmes de santé des pays. Enfin, il propose des pistes intéressantes, comme celle évoquée par Colin I. Bradford Jr, qui estime que les objectifs de développement du millénaire constituent un nouveau consensus sur le développement, dépassant le consensus de Washington des années 1990. Ce livre peut permettre aux professionnels de la santé au niveau international de mieux comprendre les jeux de pouvoir dans lesquels s’inscrit leur action. Il est aussi un outil pour les chercheurs et les étudiants qui travaillent soit sur la gouvernance en général, soit sur la coopération internationale en matière de santé.