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Dans cet ouvrage, qui a été distingué par un prix de l’Institut d’études internationales de Montréal, l’auteure présente une étude exhaustive sur les relations bilatérales entre les États-Unis d’Amérique et Cuba, à partir de la perspective de l’histoire et du droit international. Son objectif central est d’éclaircir la nature des mesures de coercition économique et politique que la puissance mondiale a exercée et exerce encore contre l’île.

Le travail est divisé en deux grandes sections. La première retrace la trajectoire historique de Cuba, de l’ère coloniale à l’indépendance. Dans sa deuxième section, le livre aborde spécialement l’analyse des relations cubano-américaines à l’ère de la mondialisation des relations internationales. L’oeuvre analyse les politiques d’intervention des États-Unis et leur application extraterritoriale, face au processus d’autodétermination cubaine depuis la révolution de 1959.

À travers l’analyse de ce qu’elle appelle « les relations fondées sur le colonialisme », l’auteure, dans la première section, remonte à l’explication du contexte historique dans lequel ces relations ont évolué. Elle développe les principaux événements qui ont eu lieu depuis la découverte de l’île et sa postérieure conquête par l’Espagne. C’était la première étape des relations coloniales de Cuba avec les pouvoirs hégémoniques. La deuxième phase arrive avec l’occupation par les États-Unis en 1898, qui est la conséquence de l’affrontement entre ce pays et l’Espagne. La domination nord-américaine impose un nouveau pacte colonial, qui implique l’arrivée de nombreuses entreprises et capitaux étrangers, en majorité des États-Unis, attirés par l’expansion du secteur sucrier et confortés par le débarquement des forces militaires d’intervention.

L’auteur s’attache à analyser la signification de l’amendement Platt, qui donne lieu à un état d’intervention permanente des États-Unis dans la politique intérieure de Cuba. L’amendement sera la clef juridique du nouveau statut quasi-colonial de l’île et pourra être interprété comme une manifestation de ce qui a été appelé une « intervention consentie » dans le droit international.

Avec la révolution cubaine de janvier 1959 commence une nouvelle phase dans les relations cubano-étatsuniennes, caractérisée par la rupture des relations commerciales et diplomatiques, dans un processus de détérioration causé par la décision du gouvernement révolutionnaire de nationaliser les entreprises nord-américaines et de se rapprocher progressivement de l’urss. La rupture donne lieu à une stratégie de pression qui aboutira à l’embargo commercial, financier et économique, qui va être maintenue par la politique nord-américaine vis-à-vis de Cuba pendant les dernières décennies. La chute du bloc soviétique a pour conséquence directe l’apparition d’un monde unipolaire sous le leadership nord-américain. Selon l’auteure, dans ce nouvel entourage international s’est intensifiée la pression nord-américaine et se sont renforcées les interventions économiques ; il s’y ajoute une nouvelle composante à la coercition économique : la guerre idéologique. Durant cette période, soit les années 90, les responsables de la formulation de la politique de la Maison-Blanche étaient convaincus de ce que l’expérience révolutionnaire cubaine touchait à sa fin, étant donné que la rupture des liens spéciaux avec l’Union soviétique allait irrémédiablement mener à l’échec du paradigme cubain de développement national autocentré et de planification.

Les gouvernements de George Bush et de Bill Clinton ont mené une guerre économique ouverte contre Cuba, qui a eu deux modalités : continuité des politiques en vue de déstabiliser le régime révolutionnaire et introduction de nouvelles mesures d’intervention allant plus loin que celles adoptées par les administrations précédentes. Parmi ces mesures il faut mentionner spécialement la Cuban Democracy Act (ou loi Torricelli) de Clinton.

La politique de Clinton envers Cuba sera alors caractérisée par une augmentation des pressions commerciales, avec un déploiement d’initiatives et d’actions diplomatiques, accompagnées d’une révision de la stratégie de communication face à la communauté internationale, pour présenter Cuba comme l’exemple d’un régime qui ne respectait pas les droits de l’homme. Un exemple des tactiques de nouvelles restrictions imposées peut être vu dans le rejet de l’émission de visas pour les diplomates, artistes et intellectuels cubains, et même dans la restriction des voyages de tourisme et d’affaires de citoyens des États-Unis vers Cuba.

Paradoxalement, bien que le gouvernement de George W. Bush se soit montré également orienté vers le renforcement de la pression sur Cuba, il a dû mettre en oeuvre, lors de son arrivée au pouvoir, la Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act (tsra), pour satisfaire les intérêts commerciaux de divers groupes d’agriculteurs nord-américains qui se plaignaient du préjudice que leur occasionnaient les réglementations qui les empêchaient d’exporter dans l’île. Le résultat a été qu’en très peu d’années, les États-Unis se sont transformés en principal fournisseur de produits agroalimentaires à Cuba. Par la suite, en 2005, la tsra a été modifiée par le Congrès des États-Unis, et la loi a adopté une nouvelle dénomination : Agricultural Export Facilitation Act (aefa). Cette loi reconnaît l’importance décisive du secteur agricole dans les exportations étatsuniennes et le rôle fondamental du marché cubain comme demandeur de ces produits.

Toutes les mesures nord-américaines de pression ont été renforcées après le 11 septembre et Cuba est alors qualifiée d’« État terroriste ».

L’auteure parle abondamment de l’application des recommandations proposées par la Commission for Assistance to a Free Cuba, créée par le président Bush en 2003 avec l’objectif, non déclaré explicitement, d’accélérer la fin du gouvernement de Fidel Castro.

La deuxième partie de la première section est destinée à l’analyse du droit international en relation avec les mécanismes de l’intervention économique étatsunienne dans la politique intérieure de Cuba. On y retrouve une étude détaillée sur l’évolution historique des mesures de violence et de sujétion économique (boycotts, sanctions, représailles non militaires, blocus ou embargos, y compris un rappel des sanctions des Nations Unies). L’auteure distingue la nature juridique des mesures unilatérales de type économique imposées par les États-Unis et le développement des normes juridiques de non-intervention dans ses sources doctrinales latino-américaines, américaines et universelles. Elle révise les fondements de la doctrine Monroe et d’autres lignes directrices de la politique extérieure nord-américaine, depuis la politique du grand bâton à la diplomatie du dollar en passant par la doctrine Hoover, entre autres ; mais, aussi la doctrine Drago et la contribution apportée par le droit interaméricain et le rôle joué par l’Organisation des États américains et les conférences panaméricaines dans ce domaine. En lien avec l’actualité, elle estime que l’intervention économique dans la politique intérieure de Cuba s’inscrit dans les processus de mondialisation de l’économie, les négociations multilatérales de commerce et l’apparition de l’Organisation mondiale du commerce (omc).

Dans la deuxième section, le livre présente un récit systématique et détaillé par périodes des mesures d’intervention des États-Unis contre Cuba dans la phase contemporaine du capitalisme mondialisé. Selon la classification proposée dans l’étude, ces mesures peuvent être économiques, politiques, diplomatiques ou militaires, comprenant ce que l’auteur appelle des « actes terroristes » exercés par le pouvoir nord-américain contre le gouvernement et le peuple cubain. Il faut noter que les mesures de coercition économique ont eu une évolution historique particulière ; ils vont des Cuban Assets Control Regulations (cacr, de 1963, et sa révision de 1975), aux mesures prises après le 11 septembre, en passant par la mise en oeuvre de la Section 211 de l’Omnibus Appropriations Act (1998). Ces dernières, spécifiquement, essayaient d’empêcher l’accroissement des investissements étrangers dans l’île, et en plus, d’empêcher la commercialisation internationale des produits cubains, ces sujets ayant provoqué des affrontements entre les États-Unis et l’Union européenne. Quelques cas choisis par l’auteure sont révélateurs des effets résultant de l’application de telles mesures, comme par exemple le verdict défavorable d’un tribunal de New York face à une plainte d’une société commerciale cubano-française, ou les problèmes autour de l’utilisation de la marque Havana Club, avec la prévision de sanctions pénales en cas d’infraction aux nouvelles règles.

La conclusion du livre indique que l’ensemble des mesures économiques imposées par les États-Unis à Cuba doit être vu comme une intervention dans la vie économique intérieure de l’île et comme des leviers destinés à provoquer le changement de son régime politique. Avec un examen très détaillé de tous les instruments utilisés par les différentes administrations des États-Unis, l’auteure estime qu’ils constituent des conséquences directes de la violation systématique du droit international et du droit à l’autodétermination du peuple cubain.

Un livre indispensable pour tous ceux qui aspirent à une vision exhaustive et critique de l’action de la politique extérieure étatsunienne au cours des dernières décennies, qui est complétée par ailleurs par une importante annexe documentaire.