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Favoriser la conclusion d’un accord général et mondial destiné à succéder au Protocole de Kyoto : telle est l’une des priorités des Nations Unies dans le domaine de l’environnement.

Si le temps est un sujet classique d’études des astrophysiciens ou des philosophes[1], les internationalistes s’intéressent également à cette notion[2]. Au sens de kronos, le temps est un paramètre que les théoriciens et les praticiens du droit international ne peuvent méconnaître tant l’élaboration, l’effectivité ou l’efficacité d’un instrument international sont liés à ce facteur. Pris comme synonyme de climat, le temps, ou ses aléas, est devenu « objet » du droit international[3]. L’intérêt pour cette thématique n’en est que plus légitime puisque le changement climatique est devenu « l’un des plus grands défis[4] » de la communauté internationale. Face à la dimension globale de ce phénomène, l’élaboration d’une réponse appropriée et équitable requiert une action concertée.

Si la paléoclimatologie révèle que les variations du climat constituent un événement récurrent, le problème est celui de la rapidité de cette évolution[5]. Ce fait pose, in fine, la question de l’adaptation de l’homme et des écosystèmes à ces changements dont les répercussions commencent à se préciser. L’intensification des événements météorologiques aura un impact sur les ressources hydriques et alimentaires[6] et facilitera la propagation de maladies infectieuses vers des territoires actuellement non affectés par certaines pathologies[7]. Cette insécurité alimentaire et sanitaire croissante aura des effets sur le développement économique et social et pourrait accroître la pauvreté, particulièrement dans les pays du Sud.

Ces phénomènes, conjugués à une rivalité exacerbée pour accéder aux ressources vitales, créeront des tensions, voire des conflits potentiels via des déplacements de réfugiés climatiques[8]. Ce problème peut générer des troubles géopolitiques, particulièrement en termes de sécurité collective[9]. Cette assertion a été confirmée lors de la 12e Conférence des Nations Unies sur le climat par le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, qui a estimé que le changement climatique mondial constituait « une menace pour la paix et la sécurité[10] ». L’ouverture le 17 avril 2007 d’un débat au Conseil de sécurité des Nations Unies sur le thème Énergie, sécurité et climat conforte l’idée que les variations climatiques représentent un risque pour la sécurité internationale[11].

Ce phénomène pourrait remettre en cause l’existence des droits élémentaires de nombreux individus. Cette éventualité a conduit le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à reconnaître que les changements climatiques auront « des répercussions sur la jouissance effective des droits de l’homme[12] ».

C’est dans ce contexte, où les enjeux ne se limitent pas stricto sensu aux aspects environnementaux, que la communauté internationale s’est emparée du thème du réchauffement climatique. Au-delà des déclarations péremptoires, les résolutions face à ces changements globaux ne peuvent être prises et appliquées qu’au sein d’un cadre multilatéral. Cependant, les incertitudes scientifiques, les intérêts en jeu et les divergences entre États sur les mesures à prendre ont conduit la communauté internationale à opter pour une approche graduelle.

C’est sur ce fondement qu’est adoptée en mai 1992, lors du Sommet de la terre à Rio, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (la « Convention-cadre »). Adoptée sous la forme d’un traité-cadre[13], cette convention énonce des principes et des objectifs généraux et prévoit un cadre institutionnel dont la fonction principale est de déterminer des règles de fond. Ce texte formulant des dispositions de lege ferenda plutôt que des obligations juridiques, un renforcement des engagements est apparu nécessaire. Malgré les positions divergentes des parties sur le niveau des objectifs à atteindre ainsi que sur les outils à mettre en place, un protocole additionnel à la Convention-cadre est adopté par la 3e Conférence des parties à Kyoto en 1997[14]. Par cet accord, les États industrialisés acceptent des engagements juridiquement contraignants de limitation et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. À cette fin, les États peuvent recourir à des politiques et mesures nationales ainsi qu’à des mécanismes de flexibilité[15]. Les mécanismes du marché ont ainsi été favorisés au détriment de mesures de coordination, voire d’harmonisation.

Le Protocole de Kyoto représente, sur les plans conceptuel et pratique, une innovation au regard du droit international[16]. Cependant, ce texte ne constitue qu’une première étape en vue du respect de l’objectif de l’article 2 de la Convention-cadre, celui de stabiliser « les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse pour le système climatique ». Or, cet objectif ne saurait être atteint si les seuls États, juridiquement engagés, s’en tiennent aux obligations en vigueur. De plus, l’absence d’États « clés » ne permet pas au Protocole de Kyoto d’être un mécanisme véritablement universel même si cet instrument a pour vocation de le devenir. Le Protocole ne prévoyant des engagements que pour la période 2008-2012, définir un nouveau régime afin de renforcer les dispositions actuelles se révèle impératif. Prévoir un cadre post-Kyoto semble singulier dans la mesure où les parties peinent à réaliser les obligations prévues par le droit positif[17]. Mais l’échéance de 2012 et le délai requis pour l’entrée en vigueur du futur texte nécessitent la reprise de négociations.

Si la question de la nature des mesures à prendre est posée, le problème est surtout celui de leur étendue ratione materiae et ratione personae. L’exigence d’un régime juridique, susceptible d’éviter que le changement climatique ne devienne irréversible, souligne l’importance d’un cadre multilatéral élargi.

Si les dispositions de Kyoto présentent une dimension normative, l’aspect institutionnel, notamment en matière de contrôle et de sanction, suscite des interrogations. L’absence de véritable stratégie globale et le caractère volontaire des mécanismes montrent les limites de l’instrument en vigueur. Or, les défis qui se posent vis-à-vis de la communauté internationale ne pourront être relevés sans une coopération accrue des acteurs internationaux. En conséquence, le système de lutte contre les changements climatiques est à parfaire.

I – La nécessité d’un cadre multilatéral élargi dans la lutte contre les changements climatiques

Le Protocole de Kyoto constitue une avancée notable dans la lutte contre l’évolution climatique en fixant des obligations contraignantes pour certaines parties. Cependant, un consensus se dégage pour reconnaître le caractère insuffisant des objectifs – réduire d’au moins 5 % les émissions de gaz à effet de serre (ges) par rapport à leur niveau de 1990 – et son inefficacité à long terme. L’échéance de 2012 nécessite que soit adopté un nouvel accord afin de remédier aux insuffisances de ce texte et au vide juridique que créerait le défaut d’un nouveau cadre. Toutefois, aucune action internationale ne sera appropriée si une extension du champ d’application des dispositions n’est pas assurée. De même, le futur régime ne saurait être efficace sans la participation des pays émergents et des États-Unis.

A — L’extension du champ d’application du Protocole révisé

Afin d’envisager un cadre pour une période d’engagement post-2012, l’article 3.9 du Protocole de Kyoto (le « Protocole ») prévoit un examen du régime en vigueur pour les États juridiquement engagés. Les négociations devant permettre la mise en place de la deuxième phase auraient dû commencer dès la Conférence de Montréal en 2005. Devant l’absence d’accord, le principe d’une révision a été admis lors de la Conférence de Nairobi en 2006.

La 13e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique qui s’est déroulée à Bali du 3 au 15 décembre 2007 a permis l’établissement d’un plan d’action pour les négociations relatives à l’après-2012[18]. Les parties ont ainsi convenu de transformer le dialogue informel mené depuis la Conférence de Montréal en un processus de négociations permettant l’adoption d’un accord d’ici fin 2009[19]. Afin de négocier les suites à donner aux engagements, un « Groupe de travail spécial des nouveaux engagements des parties visées à l’annexe I au titre du Protocole de Kyoto » a été créé. Les négociateurs devront définir une « vision partagée » sur la finalité de la lutte contre les changements climatiques et adopter un objectif à long terme de réduction des émissions.

Cette rencontre n’a toutefois pas défini des objectifs clairs et des engagements précis concernant ces réductions. Certes, les parties ont reconnu que, d’ici 2020, des diminutions situées entre 25 % et 40 % par rapport à 1990 s’imposaient aux pays industrialisés. Mais, face à l’opposition d’États tels que les États-Unis, les membres ne sont pas parvenus à un accord pour insérer ces références dans la déclaration finale de la Conférence[20].

La Conférence de Bali a également évoqué les émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts. Ce thème constitua un des enjeux majeurs des négociations. Alors que la déforestation représente entre 11 et 28 % des émissions totales de ges, le Protocole ne vise pas directement la préservation des forêts[21]. Le texte ne permet donc pas aux pays en développement (ped) de déclarer des limitations des émissions lorsque la déforestation est évitée et n’établit pas de mécanisme de financement permettant aux pays développés de fournir des incitations contre ce phénomène.

Pour pallier les lacunes du cadre en vigueur, l’idée serait d’intégrer les forêts tropicales dans les mécanismes de lutte contre le changement climatique en rendant éligible les projets portant sur la conservation des forêts. Répondant au concept de « déforestation évitée », cette solution viserait à inciter les États à accepter des obligations de limitation des émissions et à démontrer la volonté des parties d’inclure les ped dans un mécanisme post-Kyoto.

Si certaines interrogations demeurent sans que soient apportées des solutions claires et précises, la Conférence de Bali a pour le moins convenu que les émissions liées à la dégradation des forêts seraient prises en considération ; bien que la conservation et l’augmentation des surfaces boisées ne réduisent pas les émissions de ges[22]. Cette insertion des forêts dans un texte n’est donc pas fondée sur la recherche de solutions permettant de réduire les émissions mais sur des considérations politiques et diplomatiques.

Bien que le plan d’action de Bali recommande l’adoption par les pays du sud dès 2012 d’actions nationales de limitation et de réduction de leurs émissions en contrepartie d’aides octroyées par les pays développés sous forme de financements et de transferts de technologies effectifs, les décisions adoptées à la 13e Conférence apparaissent pusillanimes face à l’ampleur des problèmes induits par les changements climatiques.

Quelles que soient les dispositions qu’adoptera le nouvel accord, son efficacité sera conditionnée par l’instauration d’un régime qui devra s’étendre à de nouveaux domaines d’activité et élargir ceux déjà visés. Le texte en vigueur ne concerne effectivement que les émissions d’une partie des secteurs industriel, énergétique et de l’agriculture, et exclut ceux du résidentiel, du tertiaire et des transports. Néanmoins, l’intégration de ces secteurs, politiquement sensibles, dans le régime post-Kyoto demeure incertaine.

Le texte actuel prévoit des dispositifs d’action externes et l’intervention d’institutions ou d’acteurs qui ont une compétence dans les domaines concernés par le Protocole. Ainsi, l’article 2.2 prévoit que la responsabilité de la limitation ou de la réduction des émissions provenant des secteurs aérien et maritime incombe aux parties juridiquement contraintes oeuvrant sous l’égide des institutions compétentes dans les domaines visés. Cette disposition propose un début de réponse à l’une des principales critiques adressées au texte de Kyoto, l’exclusion des émissions provenant de l’aviation internationale[23] et du transport maritime.

C’est dans ce cadre que l’Organisation de l’aviation civile internationale (oaci)[24] a proposé à ses membres des orientations dans le but d’insérer les émissions de l’aviation internationale dans leurs régimes d’échange de droits d’émissions. Cette proposition préfigure les contours d’un futur marché pour les transporteurs aériens. Si les modalités de mise en oeuvre de ce marché, tels que les volumes des quotas ou les possibilités d’échange avec d’autres secteurs, ne sont pas définies, cette initiative n’en est pas moins intéressante au regard des 2 % d’émissions totales de ges dues au transport aérien. Ce système s’inspirerait des mécanismes prévus par le Protocole. Mais la comparaison a ses limites du fait que l’oaci propose que les États garantissent que les émissions de l’aviation internationale soient comptées séparément et non pas en fonction des objectifs de réduction que les États auraient au titre du Protocole.

À Bali, les parties n’ont pu s’entendre sur la nécessité d’imposer des réductions d’émissions aux transports aérien et maritime ; même si des mesures contraignantes ne sont pas exclues dans ces secteurs. Selon l’Union européenne, ces émissions doivent être incluses dans les engagements post-2012 sous l’égide de la Convention-cadre dès lors que l’Organisation maritime internationale et l’oaci s’avèreraient inefficaces en la matière[25]. Si elle apparaît incitative, cette approche péremptoire suscitera des oppositions. L’oaci a souligné qu’elle devait demeurer le chef de file pour toute question relative au rapport entre aviation civile et environnement, en sous-entendant que cette responsabilité ne relevait pas d’autres institutions[26]. Cette affirmation démontre que l’oaci tient à privilégier les instruments souples sur toute mesure contraignante[27].

Une extension du champ d’application des dispositions du prochain texte est souhaitable, surtout si les objectifs évoqués à Bali veulent être atteints. Même dans l’hypothèse où un accord est conclu, son efficacité est subordonnée à la capacité qu’auront les parties de convaincre de nouveaux États de respecter un minimum d’obligations.

B — Les enjeux de l’intégration des pays émergents et des États-Unis dans le processus post-Kyoto

Le Protocole de Kyoto a prévu l’application du principe de « responsabilités communes mais différenciées » afin de tenir compte des situations distinguant les pays développés des pays en développement. Les fondements juridiques de ce principe se trouvent dans la Convention-cadre. En vertu de l’article 3.1, les parties signataires sont responsables de la préservation du système climatique « sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées ». Cet article ajoute qu’il appartient « aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques ». La responsabilité historique et actuelle des pays développés dans la majeure partie des émissions de ges face à celles relativement faibles des habitants des ped explique cette allégation[28]. En soulignant que l’éradication de la pauvreté constitue une priorité légitime des pays du Sud, la Convention-cadre reconnaît que « les normes appliquées par certains pays risquent d’être inappropriées et par trop coûteuses sur les plans économique et social ». Ces affirmations conduisent logiquement à une distinction entre les obligations des parties.

Ces dispositions se distinguent des règles classiques du droit international qui affirment l’égalité souveraine des États. Appliqué à l’environnement, le principe de responsabilités communes mais différenciées suppose la participation active à la formation et à la mise en oeuvre d’un droit international de l’environnement de tous les États et la responsabilité particulière des pays développés dans la résolution des problèmes environnementaux de portée mondiale[29].

Ce principe a un double effet. Les pays développés doivent jouer un rôle majeur dans l’application des normes environnementales et aider les États du Sud à parvenir à un développement durable[30]. Pour les ped, il crée des conditions plus favorables et moins contraignantes. Ce principe se concrétise par des droits et des obligations distincts et, éventuellement, par une application différée des règles dans le temps.

Appliqué au changement climatique, le traitement différencié se traduit par le respect par les États du Nord de sujétions qui ne sont pas imposées aux États du Sud et par l’octroi d’une aide financière et technologique afin d’atténuer les causes et les conséquences du phénomène. Ces conditions déterminent la participation effective des ped et expliquent que seuls les pays du Nord sont soumis à des engagements de réduction de ges[31].

Si ledit principe a permis d’associer les pays du Sud au processus de Kyoto, il n’est pas exempt de critiques[32]. Il présente une certaine incohérence avec l’affirmation selon laquelle le changement climatique est un problème global caractérisé par l’interdépendance des solutions. Surtout, il est en contradiction avec le principe de prévention, ou de précaution, vu que l’ampleur et les effets de ce phénomène ne sont pas des certitudes. Le principe de précaution voudrait que soient prises les mesures les plus efficaces, le plus rapidement possible et par l’ensemble des acteurs. Or, la réponse internationale vis-à-vis de la menace climatique est lente, partielle et insuffisante. Le respect de ces principes étant encouragé par la Déclaration de Rio[33], le défi consiste à concilier responsabilités communes mais différenciées avec précaution.

Cette conciliation est d’autant plus impérative que le développement économique de certains États du Sud pose la question de la pérennité de leur statut. Les prévisions suggèrent que les émissions des ped, en raison de la croissance de leur population et de leur développement, dépasseront les niveaux atteints par les États du Nord. En se basant sur les dispositions en vigueur, la situation serait celle d’un texte qui ne concernerait que les États responsables de moins de la moitié des émissions mondiales d’ici 2030 et qui aurait, de facto, une efficacité limitée. Certains États du Sud émettant déjà plus de ges que nombre d’États du Nord, il est légitime de s’interroger sur leur participation à des engagements contraignants[34].

L’enjeu majeur du nouveau cadre international sera d’associer les ped, à tout le moins les économies émergentes, à un objectif ambitieux de réduction des ges. Cette participation se heurtera à des résistances. De nombreux ped refusent le principe d’engagements, même volontaires, faisant observer que le niveau de leurs émissions par habitant n’atteint pas celui des pays industrialisés. De plus, ces États arguent que le principe du pollueur-payeur implique la responsabilité des États du Nord en tant qu’émetteurs historiques. Cette position est celle de l’Inde. Malgré l’annonce de la publication d’un Plan national d’action contre le changement climatique en juin 2008, sa stratégie post-2012 demeure floue. Or, la participation de l’Inde est essentielle, tout comme celle de la Chine[35].

Le gouvernement chinois a précisé qu’il attendrait 2012 avant de s’engager dans un processus de limitation ; sa décision dépendant des moyens envisagés par les États pour parvenir à une réduction des ges. Certes, la Chine a présenté le 4 juin 2007 un Programme national de changement climatique qui constitue le premier document officiel à intégrer cette problématique. Mais aucun objectif contraignant de réduction n’est fixé. Seules des mesures d’économie d’énergie ou de reboisement sont préconisées. Malgré l’emploi du terme « engagement » lors de la Conférence de Bali et son intention de participer aux négociations post-Kyoto, la Chine n’est pas disposée à accepter des objectifs de réduction d’émissions. Pour Pékin, le développement est une priorité qui ne saurait être remise en cause au nom de la lutte contre les changements climatiques.

Les pays en développement n’étant pas disposés à renoncer au traitement différencié, le nouvel accord devra maintenir ce principe. Mais ce postulat ne doit pas nuire aux objectifs fondamentaux du texte. Son application doit être nuancée et ne plus être aussi absolue. L’efficacité du texte post-Kyoto doit demeurer la finalité essentielle.

À cette fin, une nouvelle annexe, dite C, serait établie afin d’inclure les États du Sud à niveau de revenu intermédiaire ou élevé et dont l’économie, dépendante des énergies fossiles, émet des quantités significatives de ges. Il ne s’agirait pas d’imposer des obligations à toutes les parties mais de faire refléter dans l’accord la situation spécifique des États du Sud[36]. Leurs engagements seraient déterminés conformément à leur stade de développement, à leur potentiel de réduction des émissions et à leurs capacités techniques et financières. Ces États seraient soumis à des exigences différentes des États du Nord quant aux objectifs et au délai imparti pour y parvenir. Des objectifs de limitation ou de réduction modestes ou progressifs, liés à des engagements de plus en plus contraignants, seraient une solution. En pratique, l’attribution des quotas d’émission serait indexée sur la croissance économique.

La perspective d’un engagement lointain, contrairement au Protocole, serait aussi un argument de nature à convaincre ces États de rallier le processus en permettant une adaptation moins rapide, donc moins coûteuse, et la définition de stratégies à long terme.

Cette approche graduelle dite « par étape » prendrait en compte la diversité de chaque pays et n’envisagerait pas le traitement différencié de façon indifférenciée. Dans cette logique, le principe de responsabilités communes mais différenciées devrait s’appliquer tant que perdurent les différences. À terme, certains États du Sud pourraient ainsi rejoindre l’annexe i.

Afin d’élargir la liste des parties soumises à des obligations, l’idée d’« engagements volontaires » mais non contraignants a été évoquée. Présentée puis précisée par la délégation russe lors de la réunion de Bonn de mai 2007, l’objectif de cette proposition est double ; elle vise à simplifier les procédures gouvernant l’accès d’une partie à l’annexe I et à examiner de nouvelles formes d’engagement. Ces derniers pourraient être pris au niveau national ou pour certains secteurs d’activité ; l’année de référence, la période de mise en conformité et le niveau de l’engagement seraient déterminés par l’État. Concrètement, l’État pourrait vendre ses permis d’émettre non utilisés mais n’aurait pas à en acheter si l’objectif initial était dépassé. La difficulté consisterait à déterminer les niveaux futurs des émissions sur lesquels ils seraient basés. À ce problème s’ajoute celui de la question du suivi et du contrôle d’obligations de cette nature. Ces engagements national et/ou sectoriel auraient un effet incitatif en avantageant, par des mesures financières ou technologiques, les États réalisant des efforts en matière de politique environnementale. A contrario, aucune sanction ne leur serait appliquée. Si elle suscite l’opposition du Groupe des 77, cette proposition offre cependant une alternative aux refus des ped de se soumettre à des engagements de réduction absolus et contraignants[37].

Si ces propositions suscitent certaines réserves, la position des ped ne saurait être homogène puisqu’ils sont émetteurs et victimes potentielles. Un cadre post-2012 pourrait leur offrir des transferts de technologie en contrepartie de leur implication effective.

Le régime révisé pourrait également intégrer le développement, dimension qui est présente dans la Convention-cadre mais pas dans le Protocole. L’ouverture de négociations plus globales présenterait ainsi de nouvelles perspectives de compensation.

L’expérience de Kyoto montre qu’il existe des moyens d’innover par rapport aux mécanismes mis en place, aux modalités d’engagements et aux objectifs fixés, afin de les rendre compatibles avec les besoins et les capacités de chaque pays. Ces dispositifs, caractérisés par leur flexibilité, devront être mesurables et vérifiables. Réformer le Protocole par ces dispositions permettrait de préserver le principe de responsabilités communes mais différenciées et de renforcer l’efficacité du futur régime.

Associer les États du Sud, et en premier lieu l’Inde et la Chine, est une condition sine qua non de la crédibilité et de l’efficacité d’un futur texte. Convaincre ces États de rejoindre un cadre imposant des mesures suscitera une certaine hostilité de leur part. Les négociateurs devront adapter leurs propositions en fonction de leurs interlocuteurs, selon leur niveau de développement et d’émission. Une approche différenciée se montrera plus efficace qu’une règle uniforme. L’étendue des concessions dépendra de ce que des acteurs, tels que l’Union européenne, seront disposés à accorder. Cette participation des puissances émergentes sur des objectifs chiffrés est nécessaire car elle est considérée par certains États, tels que les États-Unis, comme un préalable à leur engagement.

Affirmer que le retrait des États-Unis a affaibli le Protocole est un truisme[38]. Cette défiance envers des obligations juridiquement contraignantes, et plus largement envers tout processus de contrôle supranational, a conduit les États-Unis à privilégier le marché et l’évolution technologique pour lutter contre le réchauffement climatique. Une prise de conscience de l’opinion publique, d’acteurs économiques et d’une partie de la classe politique incite cependant les autorités fédérales à modifier leur position[39]. Ainsi, le président George W. Bush a reconnu le 23 février 2007, dans son discours sur l’état de l’Union, que le changement climatique constituait un « défi sérieux[40] ». Mais le mutisme relatif au contenu d’une politique de lutte contre ce problème illustre l’opposition itérative de l’Administration américaine à tout régime multilatéral, universel et contraignant de réductions des émissions.

A contrario, les États-Unis ont cherché à entraver le processus onusien en étant à l’origine de différentes initiatives. C’est ainsi que le 31 mai 2007 le président Bush a présenté une initiative visant à fixer un « objectif global à long terme » susceptible de fournir un cadre d’action à l’après-Kyoto. Dans cette perspective, les États-Unis se sont proposés de coordonner un cycle de négociations internationales sur la réduction des émissions de ges. Si les États-Unis évoquent pour la première fois une limitation de leurs émissions – d’ici 2025 –, M. Bush a néanmoins préconisé un changement de méthode complet, en proposant un nouveau cadre de travail international sur les questions climatiques appelé « Rencontre des économies majeures sur la sécurité énergétique et le changement climatique[41] ». L’idée initiale était d’identifier de nouveaux principes de lutte contre les ges, chaque État devant ensuite fixer ses objectifs nationaux de réduction et les stratégies pour y parvenir.

Par cette initiative, que d’aucuns qualifieront de dilatoire, les États-Unis ont probablement cherché à préserver leur souveraineté quant aux stratégies de réduction des émissions et, de manière incidente, à isoler l’Union européenne. L’intention consistait surtout à s’affranchir du cadre de discussions envisagé et à créer un processus diplomatique concurrent de celui des Nations Unies. Cependant, les premières réunions ont permis aux partenaires des États-Unis de signifier que ces rencontres ne devaient être qu’une contribution aux négociations de l’onu. Cette initiative semble être l’ultime tentative de l’Administration Bush pour « saborder » l’instauration d’un système multilatéral. Lors de la Conférence de Bali, les États-Unis ont finalement admis la nécessité d’entamer des négociations entre pays développés et en développement et ce dans le cadre de la Convention sur les changements climatiques[42].

La ratification du Protocole par l’Australie et la volonté affichée du Japon de s’impliquer dans la lutte contre le réchauffement climatique isolent un peu plus les États-Unis. Mais, plus qu’une pression internationale, l’éventuel changement de position des États-Unis sera le fait de pressions internes. Les élections présidentielles de novembre 2008 seront déterminantes dans la décision des États-Unis de ratifier le texte post-Kyoto. Une attitude similaire à celle qu’ils ont eue vis-à-vis du Protocole serait préjudiciable. Outre l’influence qu’exercera la position des États-Unis sur le Canada et certains pays européens, les pays émergents conditionnent leur participation à l’engagement américain de se soumettre à des obligations plus contraignantes que les leurs.

Élargir les domaines du Protocole et convaincre de nouveaux États de se joindre à un processus contraignant est un impératif. Mais, les arguments environnementaux ne suffiront pas à les persuader de s’engager. Les négociateurs devront faire preuve d’ingénierie juridique. L’efficacité dudit texte pose aussi des problèmes que le cadre post-2012 devra résoudre.

II – La perfectibilité du système de lutte contre les changements climatiques

Avant son entrée en vigueur, le Protocole apparut « trop faible » pour inciter les États à contrôler leurs émissions. Malgré des innovations juridiques, les moyens de coordonner les actions, d’en vérifier l’effectivité et d’en évaluer l’efficacité ne sont pas suffisants. Les lacunes du droit positif démontrent que le système – normes et institutions – devra combiner à la fois mécanismes incitatifs et dispositifs plus contraignants. La Convention-cadre et le Protocole de Kyoto offrent une plateforme pour la coopération mondiale dans le domaine du changement climatique sous l’égide de l’onu. Mais la complexité et l’interdépendance des opérations à mener requièrent une action de l’ensemble des acteurs s’intéressant aux questions environnementales. Cette réalité nécessite un renforcement de l’action multilatérale.

A — La nécessité d’associer des mécanismes incitatifs et des dispositifs plus contraignants

Plusieurs instruments sont envisageables pour parvenir à une réduction des ges. L’instrument normatif vise à limiter les émissions de certaines substances. L’instrument incitatif se traduit, quant à lui, par des aides financières soutenant l’investissement dans des techniques de production moins nocives. Enfin, un instrument répressif peut être mis en place à travers la fiscalité.

Le Protocole fait apparaître certaines de ces solutions en prévoyant trois mécanismes fondés sur le marché, appelés « mécanismes de flexibilité de Kyoto ». Ces procédés se sont avérés plus efficaces que les instruments classiques pour atteindre les objectifs définis. Le Protocole traduit surtout l’opposition entre les approches européenne, privilégiant les instruments économiques, et américaine, centrée sur la technologie. Ces mécanismes permettent à une partie de remplir ses obligations non pas en limitant ses émissions mais en finançant des réductions dans un autre État. L’objectif est de réduire les coûts globaux encourus par les parties dans l’exécution de leurs engagements tout en leur accordant une certaine souplesse. Leur mise en oeuvre est avant tout fondée sur le volontarisme des acteurs pouvant y recourir.

Les instruments prévus reposent sur l’intervention d’acteurs publics et privés. De jure, le Protocole institue des objectifs internationaux et confie aux États la capacité de prendre les mesures nationales pour y parvenir. Dans ce système, les acteurs privés économiques se voient accorder un rôle accru dans la mesure où ils sont sollicités pour participer aux mécanismes envisagés et encouragés pour investir dans des solutions plus respectueuses de l’environnement. Cette participation est légitime si on considère qu’une part non négligeable d’émissions de ges leur est imputable.

Ces derniers jouent, de facto, un rôle prépondérant dans les systèmes dits de « permis d’échanges négociables ». Ce mécanisme, appelé à tort « droits à polluer », permet l’échange de droits à émettre des ges. Concrètement, chaque émetteur, public ou privé, doit s’assurer qu’il détient autant de permis d’émission que ce qu’il va émettre. A contrario, il se trouve contraint ou bien de réduire ses émissions, ou bien d’acheter des permis[43]. Inversement, si ses efforts de maîtrise des émissions lui octroient un excédent de permis, il peut les mettre en vente. Le recours aux permis suppose de prendre des décisions sur le plafond d’émission, sur les acteurs recevant ces droits et sur le nombre de droits cédés. L’impératif consiste à formuler des projections d’émission qui ne soient pas excessives[44]. En d’autres termes, ces systèmes d’échange cherchent à donner un prix au carbone[45].

Le second mécanisme, soit l’application conjointe, permet aux États développés de procéder à des investissements en dehors de leur territoire national et de bénéficier des crédits générés par les réductions d’émission ainsi obtenues.

Le troisième mécanisme est celui du développement propre (mdp). Selon l’article 12 du Protocole, cet instrument vise à aider d’un côté les parties ne figurant pas à l’annexe i à parvenir à un développement durable et de l’autre, les parties de l’annexe i à remplir leurs engagements de limitation et de réduction de leurs émissions.

Le mdp permet aux États développés d’effectuer des investissements dans les ped. Ces collaborations sont destinées à promouvoir l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables à travers la coopération et le transfert de technologies propres. Les mdp ne doivent cependant représenter qu’une partie des limitations des émissions selon le Protocole. Les principaux efforts des États développés doivent se situer sur leur sol. L’interprétation n’est pas celle d’un recours sans limite. Certaines dérives sont donc possibles.

Outre que seuls les États parties peuvent prétendre à ces mécanismes, ces instruments présentent certains inconvénients et des inconnues malgré un relatif succès[46]. Contrairement au négoce des droits d’émission, la difficulté des mdp consiste à évaluer précisément les émissions évitées. Le risque existe d’accorder des certificats d’émission qui ne seraient pas justifiés par une diminution réelle de ges. Pour pallier cette éventualité, les règles du mdp précisent que ces réductions doivent être additionnelles, c’est-à-dire qu’elles n’auraient été possibles en l’absence du mdp et que le projet aboutisse à la réduction effective de ges supplémentaire. Mais ces conditions supplémentaires sont difficiles à vérifier. Par ce mécanisme, les États industrialisés ne doivent pas polluer plus tout en remplissant leurs obligations. Or, certaines parties ont respecté leurs engagements grâce à l’externalisation de leurs activités les plus émettrices.

Face à une baisse théorique des émissions de ges, cet instrument n’apparaît pas comme le plus approprié pour inciter les États du Sud à adopter des politiques nationales de réduction des émissions. En outre, la répartition géographique des mdp est inégale[47]. Fondé sur le marché, ce dispositif se dirige vers les destinations où son coût est le plus faible et ne permet pas d’effectuer les réductions les plus significatives. Le risque que le mdp renforce la concurrence entre les ped pour attirer les investissements étrangers n’est pas à exclure. De fait, nombre de pays du Sud risquent d’être peu concernés par ce dispositif. De nombreux obstacles économiques et juridiques subsistent, tels que la question des brevets, qui freinent toute action. Cette situation ne favorise pas le développement durable des pays dans lesquels les mdp sont réalisés. Cette contradiction avec les objectifs de la Convention-cadre est renforcée par le fait qu’il appartient à la partie hôte d’évaluer la pertinence des projets.

Un Conseil exécutif a été prévu afin d’exercer des fonctions de supervision des mdp. Mais des questions d’ordre méthodologique, l’insuffisance ou les lacunes des instruments destinés à établir et à évaluer l’additionnalité, tel que le terme est employé pour désigner les conditions supplémentaires, ne permettent pas au Conseil d’exercer pleinement sa mission. La Conférence de Bali a encouragé les parties à faire des propositions qui ne rendent pas la procédure plus complexe.

Une expertise démontrant l’intérêt réel du projet, associée à une connaissance des technologies propres, et un contrôle plus exigeant s’avèrent essentiels. Les organisations non gouvernementales (ong) pourraient participer à ces expertises et à ces vérifications. Pallier ces déficiences constitue un préalable à l’expansion du mdp. Cet instrument semble donc limité pour diminuer les émissions[48].

Les mécanismes de Kyoto sont pourtant soumis à des procédures institutionnalisées de contrôle. Le Protocole ne prévoyant pas l’instauration de structures, cette responsabilité à été confiée à la Conférence des parties. La réunion de Marrakech, en 2001, a mis en acte la création d’un « Comité de contrôle du respect des dispositions du Protocole » (le « Comité ») afin de « de faciliter, de favoriser et de garantir le respect des engagements découlant du Protocole[49] ». Cette disposition constitue l’innovation principale du texte de Kyoto. En fonction depuis le 3 mars 2006, cet organisme vise à promouvoir l’application dudit texte et à en prévenir les manquements. Il est chargé de mettre en oeuvre des procédures d’« observance » destinées à assurer le respect par les parties de leurs obligations[50].

Ce Comité concrétise le volet institutionnel des dispositions prévues par la Convention-cadre et le Protocole. Si une structure unique se voit confier la responsabilité de cette observance, deux organes composent ce Comité. Tout d’abord, la chambre de facilitation a pour fonction de donner des conseils, d’apporter une aide aux parties afin de veiller à l’effectivité du Protocole et de promouvoir le respect des engagements souscrits. Instance issue du Protocole, cette chambre doit en respecter les grands principes, tel que le principe de responsabilités communes mais différenciées, et prendre en considération les capacités respectives des parties. La chambre de l’exécution, pour sa part, est chargée de vérifier si les États respectent les obligations relatives aux objectifs de réduction des émissions. Parmi les sanctions possibles, une partie peut voir son admissibilité aux mécanismes de flexibilité suspendue si elle dépasse les permis d’émission octroyés ou bien une réduction, lors de la dotation suivante, des quantités d’émission allouées équivalente au montant du dépassement, majorée de 30 %.

Le Comité allie des mécanismes d’aide et d’assistance technique et financière destinés à concrétiser les objectifs du Protocole et à prévenir tout différend et des procédures quasi juridictionnelles, se concluant, le cas échéant, par des sanctions. Mais l’aspect coercitif apparaît comme le stade ultime d’une procédure engagée à l’encontre d’une partie. L’objectif premier est de prévenir les manquements et non de régler les contentieux. Cette approche semble légitime puisque l’intention est de permettre aux pays de réduire leurs émissions.

Si chaque partie a qualité pour agir et mettre en oeuvre les procédures de contrôle, il est à regretter que les acteurs privés, notamment les ong, n’aient cette capacité[51]. Une limite est ici posée à l’effectivité du contrôle. Leur accorder un rôle plus substantiel dans le cadre des négociations post-2012 pourrait être envisagé.

Mais rien ne permet d’affirmer que les États, qui gardent un contrôle politique sur le Comité[52], se montreront plus disposés cette fois-ci.

Ces contrôles peuvent apparaître astreignants mais ils s’appuient sur les informations fournies par les États, et notamment sur les mesures qu’ils ont prises pour respecter leurs obligations. Aux nombreux rapports et registres qui doivent être examinés s’ajoutent les incertitudes quant au niveau réel de réductions des émissions. La question de la fiabilité des données est ici soulevée. En raison des sanctions potentielles, les États peuvent être amenés à surévaluer les quotas demandés, comme cela a pu se produire dans le cadre du système communautaire. Indépendamment de ces éléments, la complexité du phénomène climatique se double d’une complexité des procédures de contrôle et de suivi due à une structure institutionnelle certes unique mais à deux branches. Cette complexité peut aboutir à des lenteurs et une efficacité incertaine.

Au-delà des procédures de contrôle du respect par les parties de leurs engagements, diverses propositions sont évoquées pour inciter les États à rejoindre le processus post-Kyoto, telles que le recours à la taxation ou à la fiscalité. L’imposition apparaît comme un instrument simple et juste puisqu’il répond au principe pollueur-payeur. Cependant, son application a été critiquée parce qu’à l’échelle internationale elle pénaliserait la compétitivité des pays y recourant isolément[53]. Surtout, si les taxes donnent un prix au carbone, elles ne garantissent pas un niveau spécifique d’émissions.

L’idée d’imposer une taxe sur les importations de produits industriels élaborés grâce à des procédés contribuant au réchauffement climatique et en provenance d’États qui refuseraient de s’engager pour l’après 2012 a été invoquée pour étendre le champ du futur texte. L’objectif est également de limiter les distorsions de concurrence et le dumping environnemental de produits importés d’États où les réglementations en matière de protection environnementale sont moins rigoureuses.

Sans que son efficacité soit démontrée, cette « taxe d’ajustement aux frontières » serait difficile à mettre en oeuvre techniquement et se heurterait aux principes et aux règles du droit international. Ainsi, le Principe 16 de la Déclaration de Rio réaffirme que l’application du principe pollueur-payeur ne doit pas fausser le jeu du commerce international. La principale difficulté serait de rendre conforme cette taxe aux normes de l’Organisation mondiale du commerce (omc). Ces dernières prévoient la non-discrimination envers un partenaire et l’obligation de ne pas différencier les produits équivalents locaux ou importés. Selon ces règles, un tel ajustement serait impossible.

Selon certaines analyses, l’article xx des Accords du gatt présenterait une base juridique dans la mesure où les États peuvent être exemptés de leurs obligations commerciales « pour la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux et la préservation des végétaux ». Encore faut-il que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer « un moyen de discrimination arbitraire entre les pays où les mêmes conditions existent » ou « une restriction déguisée au commerce international ». Même si l’omc considérait cette taxe légale, l’article xx ne pourrait être invoqué si les produits importés proviennent de ped ou de pays moins avancés en raison des régimes différenciés qui leur sont accordés. Seuls seraient visés par cette taxe les pays industrialisés refusant des engagements contraignants[54].

En raison de l’incertitude d’une taxe d’ajustement, la proposition de supprimer les droits de douane sur les produits contribuant à réduire l’effet de serre[55] et/ou sur les technologies non polluantes est plus réaliste.

Cela impliquerait, au préalable, de définir ce que sont ces produits. Mais les États sont-ils prêts à se dispenser de ces ressources financières ?

Quelle que soit la solution retenue, la fixation d’un prix du carbone, à travers une taxation, une réglementation ou le commerce, constitue un fondement a minima de toute politique de lutte contre les changements climatiques. Les instruments financiers, incitatifs ou répressifs, auront un rôle déterminant dans l’efficacité du futur texte.

Bien que les dispositifs actuels n’aient pas montré toute leur efficacité, le nouvel accord devra remédier aux défaillances, surtout s’il élargit les domaines concernés et le nombre de parties pouvant y recourir. Les faiblesses du système mis en place sont le fait des dispositions conventionnelles mais aussi d’une coopération internationale insuffisante.

B — L’émergence d’un consensus mondial sur le renforcement de l’action multilatérale

Le système issu de la Conférence de Kyoto se présente comme un cadre multilatéral et classique du droit international mais dont le fonctionnement repose principalement sur des mécanismes bilatéraux et l’action d’acteurs privés. En raison de la multiplicité des intervenants, publics et privés, et de la dimension mondiale des changements climatiques, la coopération internationale est évidemment nécessaire. Ce renforcement de l’action multilatérale nécessitera aussi une coordination accrue vu que plusieurs institutions multilatérales, à vocation universelle ou régionale, s’intéressent aux questions climatiques[56].

Si la Convention-cadre et le Protocole de Kyoto constituent les premières réponses à ce problème, ces prémices ne suffiront pas. L’action menée, qu’elle soit juridique, technique ou financière, devra être consolidée. Afin d’éviter une prolifération et une concurrence des instruments, cette réponse doit s’inscrire dans une stratégie globale.

Cette coopération internationale devra principalement aider les ped à adopter des technologies à faible émission de carbone et à utiliser des sources d’énergie renouvelables. Dans cette perspective, certaines propositions sont avancées. Si le faible transfert de technologies « propres » vers les pays du Sud est dû, semble-t-il, à l’application des règles de la propriété intellectuelle, un fonds international pourrait aider à financer un rachat des droits correspondants pour les rendre accessibles.

Le futur cadre pourrait prévoir une partie consacrée à la recherche, contrairement au Protocole de Kyoto. Nous pourrons objecter que ce texte n’est qu’une première étape, conclue après d’âpres négociations. Ou bien qu’il sera concrètement difficile d’envisager ce genre de coopération dans un domaine aussi sensible où les enjeux s’annoncent importants[57].

Face à cette absence, les parties ont décidé, lors de la Conférence de Nairobi, que le Fonds spécial pour les changements climatiques devait servir en particulier à financer des programmes favorisant l’« innovation, y compris par des travaux de recherche-développement, concernant l’efficacité énergétique et les économies d’énergie dans les transports et l’industrie[58] ».

Ce Fonds s’inscrit dans les mécanismes financiers mis en place pour favoriser l’adaptation des ped aux changements climatiques. Ces instruments sont gérés par le Fonds pour l’environnement mondial. La Conférence de Nairobi a mis en place un cadre éponyme afin d’aider les ped, en particulier les pays africains, à participer au mdp. Mais les sommes affectées à ces fonds restent négligeables par rapport aux besoins[59].

L’action multilatérale est nécessaire pour la crédibilité du cadre post-2012. Sans une coopération, notamment technologique associée à des transferts financiers significatifs[60], les ped seront peu disposés à rejoindre un accord international. La Conférence de Bali a fait de ces deux questions les principaux thèmes des négociations post-2012. Même si les intentions se concrétisent, l’absence de structure internationale de transfert financier et technologique pose problème. La juxtaposition d’initiatives parcellaires, la multiplicité des fonds et des initiatives requerraient la création d’un cadre international intégré pour ces transferts.

Les pays développés pourraient également faciliter l’élaboration de normes, participer à des programmes de formation et d’information, notamment par le biais de leur présence au sein des instances multilatérales chargées de ces domaines. Il s’agirait de préparer le cadre réglementaire et institutionnel des États tiers à accueillir les obligations du futur texte.

Si l’ensemble de ces propositions relève de l’incantation, diverses initiatives internationales confirment une prise de conscience de l’impératif de renforcer l’action multilatérale. En cela, la nomination par le Secrétaire général des Nations Unies de trois Envoyés spéciaux pour les changements climatiques vise à faciliter les négociations multilatérales au sein de l’onu[61]. La Réunion de haut niveau organisée par le Secrétaire général des Nations Unies en septembre 2007 ou le débat sur les changements climatiques qui a eu lieu à l’Assemblée générale des Nations Unies du 11 au 13 février 2008 attestent de cette volonté, affichée, de faire progresser l’action internationale[62].

Dans ce cadre multilatéral, les Membres de l’onu reconnaissent que l’Organisation a un rôle à jouer[63]. Ainsi l’idée serait de développer au sein des Nations Unies une stratégie qui veillerait à ce que les organismes du système onusien s’assurent que les programmes de lutte contre les changements climatiques élaborés chacun dans leur domaine de compétence soient le résultat d’une collaboration interinstitutionnelle s’inscrivant dans la logique de la Convention-cadre. En outre, les institutions chargées du développement devraient tenir compte des aspects climatiques dans leurs programmes d’aide ou de financement en privilégiant des projets d’écodéveloppement[64].

L’actuelle fragmentation du cadre institutionnel et des programmes internationaux engendre un déficit d’efficacité. Or, la complexité des phénomènes liés au réchauffement climatique ainsi que la vision globale des interactions entre le climat et les autres grands problèmes écologiques, telles que la biodiversité ou l’eau, nécessitent une gouvernance environnementale renforcée. Encourager une meilleure coopération des organisations oeuvrant dans ce domaine dans le texte post-Kyoto constituerait une première étape de cette gouvernance.

Conclusion

Le Protocole de Kyoto constitue un cadre novateur dans la lutte contre les changements climatiques. Malgré ses imperfections, le Protocole est l’un des mécanismes les plus aboutis de mise en oeuvre et de contrôle du droit international. Mais dans sa force réside aussi sa faiblesse. À l’image des phénomènes qu’il est censé réguler, le Protocole se caractérise par sa complexité. Le risque est que cette sophistication juridique le desserve en affaiblissant son effectivité. Tel un « prototype[65] », il doit être perfectionné.

L’adoption d’un texte destiné à assurer la pérennité du régime juridique s’avère majeure. S’il se veut efficace, ce nouveau cadre devra être plus large que le seul examen de l’article 3.9 du Protocole qui ne concerne que les engagements des États développés. Il devra comporter des objectifs ambitieux pour réduire de façon drastique les émissions de ges et concerner de nouveaux domaines d’application. Des propositions originales seront nécessaires pour assurer l’engagement des pays émergents. Si le principe de responsabilités communes mais différenciées est une condition de l’adhésion des États du Sud, sa mise ne oeuvre ne devra pas être aussi absolue et tenir compte des situations distinctes des ped. Cette participation implique que les États du Nord consentent à effectuer des transferts financiers et technologiques conséquents. Aucun État ne s’engageant dans le seul souci de sauvegarder le climat, le nouveau régime devra donc prévoir des dispositifs à la fois suffisamment contraignants et flexibles pour ne pas dissuader les parties d’y souscrire.

La difficulté d’un futur texte réside dans la nécessité de surmonter ces antagonismes. A contrario, le système envisagé pourrait être limité tant au niveau des objectifs que du nombre de parties juridiquement soumises à des obligations. Le principe de réalité internationale conduit à une grande prudence quant aux possibilités de voir rédiger un texte répondant à ces exigences. Seule la coopération internationale, du fait de l’interdépendance Nord-Sud, permettra de lutter efficacement contre les changements climatiques. Cet impératif pourra-t-il être satisfait dans une société internationale peu organisée et marquée par la prédominance de certains États ?

Si les conséquences de l’évolution climatique souffrent de certitudes, les mesures qui devront être prises créeront des dissensions car elles remettront en cause les modèles de développement des États du Nord et du Sud. Le principe de responsabilités communes mais différenciées implique, in fine, que les pays développés changent leurs modes de production et de consommation[66]. Le mode de vie de la personne constituant la « clé » de la lutte contre les changements climatiques, tout instrument juridique aussi élaboré et efficace qu’il soit a ses limites. « On ne change pas la société par décret », l’ouvrage de Michel Crozier prend ici toute sa dimension. Les dirigeants, notamment des démocraties occidentales, auront-ils la volonté d’imposer des mesures impopulaires, contraignantes, voire de restriction ? La Conférence de Copenhague de 2009 devrait apporter les premières réponses.

Les considérations ne sont pas uniquement écologiques. Il existe une relation de dépendance mutuelle entre l’environnement et le développement. En conséquence, la lutte contre le réchauffement climatique doit être envisagée comme l’un des piliers d’une stratégie intégrée visant à réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement. Ce double défi exige que les déclarations incantatoires ne deviennent pas du droit incantatoire face à ce « bien public mondial[67] » qu’est le climat. Rien n’est moins sûr cependant.