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Depuis les années 1990, la promotion, l’implantation et la consolidation de la démocratie ont connu une expansion notable et l’assistance démocratique est devenue une industrie florissante. Or, la démocratie se présentant sous diverses formes et pouvant être implantée de manières différentes, les pays occidentaux et les donateurs internationaux ont vite été amenés à se questionner sur l’ontologie de la démocratie et sur les éléments essentiels à son établissement. La démocratie est-elle plus une question de valeurs qu’une question d’institutions ? Doit-on commencer par mettre en place des institutions favorisant la démocratie ou doit-on au contraire se concentrer sur l’instauration d’élections ? Est-ce possible d’imposer impérialement la démocratie à une société qui ne la désire pas ? Promoting Democracy in Postconflict Societies prend ses assises sur ce type de questionnements et tente de tirer des leçons de l’implantation de la démocratie dans dix pays différents.

Cet ouvrage résulte du projet de recherche international sur la transition démocratique mené par la Conflict Research Unit de l’Institut néerlandais de relations internationales. Il est divisé en fonction des trois éléments-clé qui interviennent dans l’instauration de la démocratie : les élections et les partis politiques, les droits de l’homme et les médias. Chaque section prenant appui sur différentes études de cas, les auteurs ont fait appel à divers spécialistes pour analyser en détail la situation de chaque pays. Construit sous une forme semblable, chaque chapitre débute par un rappel historique de l’évolution politique du pays auquel fait suite une analyse approfondie du thème abordé. Finalement, tous les auteurs terminent par une mise au point sur les leçons apprises et y vont de leurs recommandations pour l’amélioration de l’assistance internationale pour la promotion de la démocratie dans les sociétés « postconflits », entendues dans l’ouvrage comme celles de pays au sortir d’un conflit prolongé, violent, dans lesquels le gouvernement est considéré comme légitime par la communauté internationale.

Avant d’aborder les nombreuses études de cas, De Zeeuw et Kumar offrent un tour d’horizon sur l’assistance à la démocratisation. Quoique plusieurs programmes de consolidation de la démocratie aient été vivement critiqués, les auteurs soulignent qu’un consensus existe chez les donateurs qui fait que cette aide a eu un impact positif sur des institutions démocratiques encore fragiles. Par la suite, les auteurs explicitent les trois prémisses de l’assistance internationale et exposent les raisons qui motivent les pays occidentaux à favoriser l’établissement de la démocratie dans les pays se relevant d’un conflit violent. Ils énumèrent de surcroît les principaux obstacles à la promotion de la démocratie et expliquent les principaux programmes mis en place par la communauté internationale qui se donnent comme objectif la promotion de la démocratie depuis les années 1990. Finalement, ils abordent les politiques et les choix pragmatiques que doit faire la communauté internationale lorsqu’elle se donne pour mission de promouvoir la démocratie dans les sociétés « postconflits ».

La première partie du livre présente des études de cas significatives pour la thématique des élections et des partis politiques. Tout d’abord, John-Jean Barya retrace l’évolution de la situation électorale et du processus de démocratisation de l’Ouganda. L’étude du rôle de l’assistance internationale lors des élections de 1980 et de celles tenues après 1986 démontre que cette assistance a eu un impact limité et a même aggravé, à certains moments, les disputes politiques nationales. Ce qui ressort principalement de l’analyse proposée par Barya est que les aspects procéduraux de la démocratie doivent, pour être efficaces, se doubler d’éléments plus proches des « valeurs » démocratiques, c’est-à-dire d’éléments tels que par exemple le droit d’association civile et politique. Ensuite, Dessalegn Rahmato et Meheret Ayenew abordent l’assistance électorale depuis 1991 et la transition démocratique en Éthiopie. Malgré l’aide importante fournie à l’Éthiopie, pays parmi les plus pauvres au monde, sa transition vers la paix et la démocratie a posé d’importants problèmes. De plus, une incertitude demeure quant à la stabilité politique à long terme du pays et au manque de pluralisme politique. Enfin, Marc de Tollenaere analyse la consolidation du multipartisme au Mozambique à la sortie de la guerre civile en 1992. L’auteur en vient à une conclusion semblable à celle de Barya, c’est-à-dire que l’assistance internationale a influencé positivement le paysage politique du Mozambique, mais d’une façon toutefois limitée.

La deuxième partie de l’ouvrage aborde l’assistance internationale dans le domaine des droits de l’homme. Dinorah Azpuru commence par analyser le renforcement des droits de l’homme au Guatemala. Azpuru en vient à la conclusion que l’assistance internationale pour les droits de l’homme dans ce pays constitue l’une de ses plus importantes contributions et que des progrès notables ont été observés depuis la fin de la guerre civile. Comme le domaine des droits de l’homme met en cause des valeurs locales, il nécessite des changements profonds des mentalités. Ainsi, Azpuru insiste sur l’implantation de programmes faisant la promotion des droits de l’homme non seulement auprès des victimes, mais aussi auprès de la société civile toute entière. Ensuite, Sorpong Peou aborde les défis posés dans le domaine des droits de l’homme au Cambodge. Cette analyse lui permet d’affirmer que l’assistance internationale pour les droits de l’homme au Cambodge a contribué à la promotion des normes en lien avec ces mêmes droits. Cependant, les institutions permettant la protection de ces droits demeurent fragiles et nécessitent une attention à long terme. Enfin, Mohamed Gibril Sesay et Charlie Hughues analysent les effets de l’assistance internationale pour les droits de l’homme au Sierra Leone. Retraçant la situation des droits de l’homme avant, pendant et après la guerre civile, les auteurs en viennent à la conclusion que les retombées de l’aide internationale dans plusieurs domaines clés pour les droits humains se sont avérées plutôt limitées. En dernier lieu, Marieke Wierda revient sur le cas du Sierra Leone en se concentrant sur deux initiatives en matière d’aide internationale pour la justice transitoire. Quoique ces deux initiatives aient le potentiel de changer positivement le cadre juridique au Sierra Leone, l’auteur souligne plusieurs éléments qui font défaut ou qui méritent une attention particulière de la part des institutions ou pays donateurs. Wierda mentionne, à titre d’exemple, le manque de coordination entre les différentes politiques élaborées par ces donateurs.

Le troisième volet de l’ouvrage aborde la question de l’assistance internationale dans le domaine des médias. Ce secteur de l’aide internationale ne bénéficie généralement que d’une infime partie de l’aide internationale. Cependant, les études de cas présentées démontrent bien que ce secteur peut s’avérer efficace dans l’instauration, la promotion ou la consolidation de la démocratie. Tout d’abord, Christopher Kayumba et Jean-Paul Kimonyo analysent le rôle des médias pendant et après le génocide au Rwanda. Cette étude de cas montre encore les effets mitigés de l’aide internationale. Les principales lacunes identifiées par les auteurs sont le manque de cohérence et de coordination dans la stratégie d’aide. Ensuite, Anne Germain Lefèvre aborde la promotion de médias indépendants au Salvador. Dans ce chapitre, l’auteure tente de déterminer les effets de l’aide internationale dans le secteur des médias en retraçant le rôle de ceux-ci dans la démocratisation du Salvador. Quoique l’aide internationale ait contribué à une ouverture de la sphère publique, il n’en demeure pas moins que le Salvador est confronté à de multiples défis d’envergure dont le plus important est sans doute une tendance au contrôle monopolistique des médias. Finalement, Krishna Kumar aborde le cas innovateur de l’Afghanistan en se penchant sur l’établissement d’un réseau de radios communautaires. Fort optimiste, l’auteur en vient à conclure que l’établissement d’un réseau de stations communautaires indépendantes a été un succès non seulement en lui-même, mais aussi en tant que stimulus pour l’enracinement de la démocratie.

L’essence de Promoting Democracy in Postconflict Societies se situe probablement dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Jeroen de Zeeuw et Luc van de Goor y proposent en effet une synthèse des conclusions tirées par les différents auteurs tout en fournissant une série de recommandations appuyées sur les différentes études de cas présentées. Par conséquent, cet ouvrage s’avère incontournable dans toute réflexion sur l’instauration, la promotion et la consolidation de la démocratie dans les sociétés en transition. Il se distingue de la littérature existante en ce qu’il réunit de nombreuses études de cas et qu’il se concentre sur trois aspects différents de l’aide internationale. De plus, les auteurs retenus sont des experts qui basent leurs analyses le plus souvent sur des entrevues et sur des expériences de terrain. Cet ouvrage empirique et prescriptif sera donc particulièrement indiqué pour les praticiens et les responsables de l’élaboration des politiques d’aide internationale. À la lumière de cet ouvrage, cinq éléments apparaissent comme garants de succès : la coordination entre les différents acteurs, la planification, la collaboration, l’importance du local et des investissements planifiés sur le long terme. L’implantation de la démocratie est en effet une aventure de longue haleine parsemée de succès et d’échecs.