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Le processus de paix et la conduite de la guerre sont façonnés par la relation dynamique et étroite entre les droits de l’homme et les conflits. C’est essentiellement sur cette relation, souvent mal interprétée, que ce livre tente d’apporter une nouvelle compréhension et ce, à la lumière d’une lecture critique dans les trois approches dominantes, à savoir l’approche des droits de l’homme, celle de la résolution des conflits et celle du droit humanitaire international. Les souffrances humaines et les destructions causées par la multiplication et la prolongation des conflits dans plusieurs coins du monde, les populations civiles victimes d’actes de violence perpétrés durant et après les conflits armés, l’usage répandu de moyens de combat illicites – notamment les attaques contre les civils – ou encore l’universalité du droit humanitaire international, tous ces éléments participent à la relation entre les droits de l’homme et les conflits. En ce sens, cet ouvrage – sous la direction de Julie Mertus et Jeffrey W. Helsing – arrive à point nommé, car les réflexions qui y sont proposées éclaircissent ce sujet et contribuent donc à l’évolution des connaissances en la matière.

À partir d’un cadre théorique et d’études de cas sur des conflits en Irak, dans les Balkans, en Afghanistan, au Sri Lanka, en Afrique du Sud, au Rwanda ou d’autres encore, les seize chapitres de Human Rights and Conflict – publié par The United States Institute of Peace – permettent de définir les acteurs et les enjeux et d’analyser les dynamiques et les dilemmes de cette relation, telle qu’elle est vue par des universitaires, des diplomates et des militants des droits de l’homme. En outre, cette diversité des contributeurs est consolidée par sa perspective multidisciplinaire touchant aux dimensions politique, juridique, sécuritaire et culturelle des droits de l’homme.

Julie Mertus et Jeffrey W. Helsing signent une introduction mettant en contexte chacune des trois parties de l’ouvrage, lui-même organisé en fonction de la place des droits de l’homme dans le cycle du conflit. En fait, les auteurs soulignent d’abord que la notion de privation des droits de l’homme, qui contribue à un conflit social prolongé, s’inspire de la théorie des besoins fondamentaux de l’homme. Celle-ci est minutieusement abordée par John Burton dans son livre Deviance, Terrorism and War. The Process of Solving Unsolved Social and Political Problems (1979). Ensuite, les auteurs expliquent que les atteintes aux droits humains et la non-satisfaction des besoins humains menacent la sécurité des individus et des groupes sociaux. En effet, l’incapacité ou le refus de protéger les droits fondamentaux de l’homme et de fournir des mécanismes pour la résolution des conflits pourraient inciter les groupes à recourir à la force en appuyant leurs revendications sur ces droits. Plusieurs types de violence se sont intensifiés dans des conditions liées à l’autodétermination, à l’accès équitable aux ressources, au refus de la discrimination et à d’autres facteurs encore. Les États qui négligent les droits de l’homme augmentent leurs risques d’instabilité et les politiques intérieures – notamment dans des sociétés divisées d’un point de vue ethnique qui ignorent les droits des minorités – accroissent les tensions sociales et politiques jusqu’à ce qu’un véritable conflit éclate. De même, les pratiques quotidiennes de l’oppression systématique des régimes violents créent d’abord un sentiment d’insécurité et d’impuissance chez les citoyens, mais à un certain point ceux-ci concluent que la violence représente la seule réponse à une telle situation. Enfin, ils posent leur regard sur les écoles de pensée dans ce domaine et présentent une synthèse des différentes manifestations des conflits armés et des actes de violence liés aux droits de l’homme.

Les cinq chapitres de la première partie se penchent sur le rôle des droits de l’homme dans les conflits. Ils encadrent cette relation en s’appuyant sur des études sur la paix, sur la résolution des conflits et sur la sociologie qui s’avèrent utile dans cette analyse. Ellen L. Lutz (chap. 1) explique que les violations des droits humains peuvent constituer à la fois le symptôme et la cause de conflits. En effet, ces violations sont souvent au coeur d’un conflit ou d’une guerre consécutive à une intervention humanitaire, et des guerres préventives, comme par exemple l’intervention militaire de la coalition en Irak. Michael S. Lund (chap. 2) explore, quant à lui, la théorie selon laquelle la diffusion des droits de l’homme génère la violence et soutient que les droits de l’homme doivent être liés aux efforts visant à mettre en place une économie plus productive, une bonne gouvernance ainsi qu’une société plus démocratique et humaine. De son côté, Lisa Schirch (chap. 3) théorise la relation entre les droits de l’homme et la résolution des conflits dans le but de l’édification de la paix ; elle propose une façon pour les différents intervenants dans ce domaine de synthétiser leurs idées et de coordonner leurs actions. Kevin Avruch (chap. 4) présente habilement comment différentes cultures peuvent présenter des perceptions très variées des droits de l’homme et en quoi ces différences peuvent être sources de conflits. Ce chapitre est d’ailleurs commenté par Ram Manikkalingam qui, tout en reconnaissant cette diversité de perceptions culturelles, insiste sur la notion d’universalité des droits de l’homme qui doivent être acceptés comme légitimes, et non comme illégitimes ou imposés de l’extérieur. Enfin, Abdul Aziz Said et Charles Lerche (chap. 5) affirment que la paix en soi est un droit fondamental et qu’elle doit se voir accorder le statut de droit universel pour les individus, en tant que corollaire de l’idée de la paix positive, d’une part, et en application de la théorie des besoins humains, d’autre part.

La seconde partie de l’ouvrage aborde les questions liées à l’application des droits de l’homme lors de conflits armés et d’autres formes de conflits violents, y compris lors d’attaques terroristes. Hugo Slim (chap. 6) note que l’obligation de répondre – de la part des gouvernements et des ong – à la souffrance humanitaire causée par les guerres va de pair avec une autre obligation, celle du respect de certains principes, de même qu’avec la nécessité de la mise en place d’institutions locales facilitant le secours humanitaire. Dans son commentaire sur ce chapitre, Jonathan Moore précise que l’on passe de la théorie à la pratique, que la neutralité n’est pas toujours possible ni même souhaitable dans le but de fournir des secours humanitaires et de protéger les droits de l’homme. Richard Falk (chap. 7) insiste ensuite sur la modération dans l’utilisation de la force armée et le respect du droit de la guerre pour faire face aux crises humanitaires découlant des conflits. En guise de réponse à Falk, Thomas Weiss aborde la question des violations des droits de l’homme au nom des interventions humanitaires ainsi que la nécessité d’un contrôle sur le comportement des acteurs étatiques. De son côté, Jean Cerone (chap. 8) explique l’application du droit international aux acteurs non gouvernementaux et analyse la relation entre justice et terrorisme. Dans la même veine, Jordan Paust (chap. 9) souligne que les normes des droits de l’homme continuent de s’appliquer au traitement des personnes soupçonnées de terrorisme. Dans son commentaire à ce chapitre, David P. Stewart soutient que la meilleure réponse au terrorisme est la promotion des droits de l’homme, particulièrement dans les États non démocratiques. Mohammed Abu-Nimer et Edward Edy Kaufman (chap. 10), dans leur analyse du conflit israélo-palestinien, notent que le cycle de violence engendré par ce conflit résulte de l’absence d’une paix juste fondée sur le respect des droits fondamentaux des communautés israélienne et palestinienne. Julie Mertus et Maia Carter Hallward (chap. 11) soulignent, à la lumière de la guerre en Irak, que si les droits de l’homme sont invoqués comme justification de l’intervention militaire, ils doivent demeurer à l’avant-garde de la planification politique et sociale dans tout le processus de reconstruction.

La troisième partie de cet ouvrage porte sur les droits de l’homme pendant le postconflit armé, c’est-à-dire au cours de la période de reconstruction. Sur ce sujet, Christine Bell (chap. 12) a choisi d’étudier le processus de paix en Irlande du Nord. Elle souligne que ces droits doivent être pris en compte au moment où l’on s’attaque aux racines des conflits violents de même qu’au cours de la conclusion des accords de paix. Vasuki Nesiah (chap. 13) tente de vérifier la manière dont les commissions de vérité et de réconciliation peuvent contribuer au renforcement des droits de l’homme en dévoilant la vérité sur ce qui s’est passé. En ce sens, le travail de ces commissions est complémentaire à celui des tribunaux et il offre de plus grandes possibilités de réunifier les sociétés divisées à cause de conflits armés. Dans sa réponse à Nesiah, Richard Wilson développe davantage ce concept de « justice transitoire » incarné par les commissions de vérité et de réconciliation. Susan Martin et Andrew I. Schoenholtz (chap. 14) abordent ensuite la question des réfugiés et les problèmes que pose leur afflux massif, qui peut déstabiliser toute une région en ouvrant la porte à de nouvelles violations commises dans le non-respect des droits de l’homme. Ce fut d’ailleurs le cas avec le Rwanda et le Burundi. Janet Lord et Nancy Flowers (chap. 15) analysent, quant à elles, le rôle de l’éducation dans toute démarche de promotion des droits de l’homme et au cours de la gestion des conflits. Enfin, Alan Keenan (chap. 16) traite des difficultés de l’adoption d’une approche fondée sur les droits de l’homme dans une société hautement conflictuelle.

En conclusion, les auteurs rassemblent les diverses réflexions contenues dans l’ouvrage pour élaborer une approche intégrée établissant le dénominateur commun entre l’approche des droits de l’homme, celle de la résolution des conflits et celle du droit humanitaire international.

En définitive, Human Rights and Conflict offre plusieurs bonnes réflexions sur la façon de penser cette relation dynamique et puissante. Il représente donc une référence intéressante pour les étudiants, les professeurs, les négociateurs de paix ainsi que pour tout défenseur des droits de l’homme.