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Successeur de la défunte Commission des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme a été mis en place par la résolution 60/251 de l’Assemblée générale de l’onu, le 25 mars 2006. Cette création – malgré la réticence de certains États vis-à-vis d’une telle initiative[4] – a été saluée tant par les défenseurs des droits de la personne que par les différentes institutions onusiennes : effectivement, l’institution de ce nouveau mécanisme extra-conventionnel de protection des droits de la personne permet d’espérer, d’une part, la consolidation du système de protection de ces droits, et d’autre part, la fin des dérapages et déviations du passé en ce qui concerne les pratiques de sélectivité, de partialité et de politisation exercées par l’ancienne Commission des droits de l’homme. En effet, la procédure confidentielle de cette dernière était devenue une sorte de paravent derrière lequel s’abritaient les États, en vue d’éviter toute condamnation en procédure publique ; elle favorisait de surcroît le maintien de l’examen prolongé de certaines situations révélatrices de violations graves des droits de la personne sous cette procédure, alors que les États concernés ne manifestaient aucune volonté de coopération, comme on l’a vu dans le cas de l’Uruguay et du Rwanda.

Certes, en pratique l’ancienne Commission a contribué, sans conteste, sur le plan institutionnel, à l’évolution du droit international des droits de la personne à travers la mise en place d’une myriade de normes, de mécanismes et procédures de contrôle. Mais elle a simultanément permis sur le plan fonctionnel, notamment en raison de considérations politiques, d’une part – l’ancienne Commission, comme d’ailleurs l’actuel Conseil sont des organes purement politiques, d’où le marchandage qui a lieu lors de la prise de résolutions sur les pays – et du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États, d’autre part, d’assurer souvent une large impunité à certains États membres classés au palmarès des États qui violent de manière grave et flagrante les normes internationales relatives aux droits de la personne.

Suivant la résolution 60/251 du Conseil des droits de l’homme, la fonction principale de celui-ci est de contribuer de facto à la promotion et au développement progressif du droit international des droits de la personne, en assurant « l’universalité, l’objectivité et la non-sélectivité de l’examen des questions relatives aux droits de la personne et de mettre fin à la pratique du deux poids deux mesures et à toute politisation[5] ». Pour ce faire, le Conseil procédera, à l’aide d’un nouveau mécanisme (l’examen périodique universel, epu ou upr en anglais), au contrôle du respect par les États de leurs obligations contractées au titre des divers instruments de protection des droits de la personne dans lesquels ils sont partie prenante, ainsi que de leurs engagements en matière de droits de la personne. Le Conseil doit également réexaminer et, si nécessaire, améliorer et rationaliser l’ensemble des mandats, mécanismes, fonctions et attributions hérités de l’ancienne Commission, de manière à sauvegarder le système de procédures spéciales, ainsi qu’un mécanisme de conseil d’experts et de plainte individuelle ou « procédure 1503[6] ». Celle-ci s’articulera autour de deux groupes : le premier groupe de travail composé de cinq experts indépendants examinera au fond les plaintes et les critères de recevabilité et fera rapport au second groupe de travail ; ce dernier, composé de cinq représentants d’États membres, proposera au Conseil, suivant les informations reçues du premier groupe, les mesures à prendre (projet de résolution ou décision) concernant les situations de violations des droits de la personne.

Pour examiner l’ensemble de ces questions, le Conseil a entamé un processus de renforcement institutionnel par la création, en 2006, durant ses trois premières sessions ordinaires, de trois groupes de travail, chacun chargé de formuler des recommandations sur la procédure d’examen périodique universel, le réexamen de tous les mandats et mécanismes et l’amélioration de son fonctionnement (ordre du jour, programme et méthodes de travail). Depuis sa cinquième session (11-18 juin 2007)[7], la question de sa consolidation institutionnelle a occupé une place primordiale dans ses travaux, notamment du fait que l’Assemblée générale lui a conféré un mandat d’un an pour achever la rénovation institutionnelle entamée. En outre, le 19 juin, le Conseil des droits de l’homme a inauguré sa seconde année de fonctionnement par l’élection d’un nouveau président et des autres membres du bureau[8].

Du point de vue normatif, bien que le nombre de résolutions adoptées ne soit pas un critère révélateur de l’état des violations des droits de la personne dans de nombreux pays – en effet, plusieurs situations de violations de ces droits n’ont pas fait l’objet d’un examen de la part du Conseil –, celui-ci a adopté en juin 2006 deux nouveaux instruments : la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale le 20 décembre 2006[9] ; et la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, adoptée à son tour par l’organe plénier de l’onu, le 13 septembre 2007[10].

L’objet de la présente étude, dont l’analyse couvre principalement la période allant de juin 2007 à septembre 2007, consiste à démontrer que le Conseil des droits de l’homme n’est pas un mécanisme de renforcement des procédures de contrôle, mais plutôt un mécanisme d’affaiblissement des procédures et mécanismes de contrôle existants. Pour ce faire, le fil conducteur de notre démonstration repose, d’une part, sur l’examen du processus de renforcement institutionnel du Conseil pour déterminer l’attitude et le projet politique réel des États à l’égard des mécanismes institutionnels de protection des droits de la personne et, d’autre part, sur la finalité de la procédure de l’examen périodique universel. Dans ce sens, nous verrons tout d’abord en quoi le Conseil aboutit à consolider les institutions en place, puis mettrons en évidence les limites de l’examen périodique universel.

I – Une consolidation institutionnelle déguisée

La 6e session du Conseil (10-28 septembre et 10-14 décembre 2007) a été essentiellement consacrée au suivi du processus de renforcement institutionnel. L’accord[11] adopté le 18 juin 2007 sur ce point précis et repris dans la résolution 5/1 du Conseil n’était pas satisfaisant aux yeux de nombreuses délégations, car il ne tenait pas suffisamment compte de leurs doléances[12], ce qui explique l’absence de consensus sur un certain nombre de questions touchant les règles structurelles de fonctionnement, le futur mécanisme consultatif d’experts et les procédures spéciales. L’analyse de ces points est instructive puisqu’il s’agit de la position des États vis-à-vis des mécanismes institutionnels de protection des droits de la personne.

A — Les règles structurelles de fonctionnement

Le paragraphe 12 de la résolution 60/251 impose certaines exigences concernant les méthodes de travail du Conseil ; celles-ci seront « transparentes, équitables et impartiales et favoriseront un véritable dialogue, seront axées sur les résultats et ménageront l’occasion de débats sur la suite à donner aux recommandations adoptées et sur leur application ainsi que l’occasion d’échanges de fond avec les procédures et mécanismes spéciaux ». De surcroît, le Conseil « appliquera les dispositions du Règlement intérieur relatives aux grandes commissions de l’Assemblée générale à moins que, par la suite, cette dernière ou le Conseil lui-même en décide autrement[13] ». Ce qui laisse un pouvoir d’appréciation large à ces deux organes.

Les discussions au sein du Groupe de travail chargé de formuler des recommandations sur les règles structurelles de fonctionnement ont concerné l’ordre du jour du Conseil, ses méthodes de travail, son programme de travail ainsi que le règlement intérieur ; deux facilitateurs ont été nommés par le président du Conseil pour simplifier les discussions autour de ces questions[14]. Le débat entre États a été vif sur la nature de l’ordre du jour et la question de la tenue de sessions extraordinaires ; l’examen de ces deux points suffit pour illustrer la réticence des États à vouloir construire un véritable système de protection des droits de la personne afin d’échapper à toute procédure de contrôle et à toute condamnation.

La nature de l’ordre du jour

L’examen de cette question a révélé des divergences entre de nombreuses délégations, d’où l’émergence de deux courants : le premier milite pour un ordre du jour structuré ou organisé comprenant divers points couvrant, par exemple, les droits économiques, sociaux et culturels[15] ; les droits civils et politiques ; le droit au développement ; la discrimination raciale ; le second plaide en faveur d’un ordre du jour général contenant des questions urgentes relatives aux droits de la personne à propos d’une question thématique ou une question sur un pays particulier[16].

En dépit de cette divergence, plusieurs États relevant des deux tendances ont manifesté leur opposition à l’intégration dans l’ordre du jour du Conseil des points sur le suivi de l’application des recommandations des procédures spéciales, hormis celles formulées par le Conseil lui-même, ainsi que dénoncé toute tentative visant à inclure un point particulier sur un pays. D’ailleurs, l’ordre du jour actuel du Conseil[17] ne comprend aucun point sur ces deux questions et est visiblement adapté aux doléances des deux courants précités[18]. Pourtant, l’ordre du jour de l’ancienne Commission des droits de l’homme comprenait bien le fameux point 9 relatif à la « question de la violation des droits de l’homme où qu’elle se produise dans le monde, et en particulier dans les pays et territoires coloniaux et dépendants », par lequel elle procédait à l’examen des situations de violations des droits de la personne dans le monde avec l’appui des organisations non gouvernementales (ong). C’est donc une question de bon sens que de maintenir les deux points à l’ordre du jour du Conseil sans qu’il soit nécessaire d’établir une quelconque corrélation avec le mécanisme d’examen périodique universel, les États ayant pris l’engagement de coopérer de bonne foi avec le Conseil pour assurer la promotion et la protection des droits de la personne. En voulant évincer ces deux points de l’ordre du jour, les États souhaitent clairement éviter toute procédure d’examen et tout jugement sur leur pratique en matière des droits de la personne, et c’est pourquoi ils ont contribué à l’affaiblissement des procédures spéciales et s’opposent souvent à la tenue de sessions extraordinaires.

La tenue de sessions extraordinaires

À la suite de la résolution 1990/48 du Conseil économique et social (25 mai 1990), l’ancienne Commission de la protection des droits de l’homme était autorisée à tenir des sessions d’urgence pour faire face aux violations flagrantes des droits de la personne[19]. Une demande formulée par un membre de la Commission ainsi que l’acquiescement de la majorité des autres membres constituaient ensemble des conditions nécessaires pour la tenue de telles sessions[20], dont la durée ne dépassait pas trois jours. Toutefois, l’ancienne Commission n’avait pas réussi à institutionnaliser un mécanisme permanent d’urgence en raison de l’attitude des États qui craignaient de faire un jour l’objet d’un examen.

Dans le cas du Conseil des droits de l’homme, la question de la tenue de sessions extraordinaires est prévue par le paragraphe 10-2 de la résolution 60/25 : il « pourra tenir au besoin des sessions extraordinaires si un membre en fait la demande appuyé en cela par le tiers des membres du Conseil ». Jusqu’à ce jour, le Conseil a tenu six sessions extraordinaires consacrées à la situation des droits de la personne dans le territoire palestinien occupé (juillet et novembre 2006, janvier 2008), au Myanmar (octobre 2007), au Liban (août 2006) et au Darfour (décembre 2006)[21]. Les discussions autour de la convocation de telles sessions et de leur durée ont opposé Cuba à un certain nombre d’États[22] : ces derniers prévoient la tenue de sessions extraordinaires quatre jours après la présentation de la demande par l’État demandeur, celui-ci devant procéder à une consultation informelle avant la réunion en cas de dépôt d’un projet de résolution, alors que Cuba, au nom du Mouvement des pays non alignés, préconise la convocation d’une session extraordinaire deux jours au plus tôt avant sa tenue et cinq jours au plus tard après la demande de l’État intéressé.

Certes, deux jours consacrés à la tenue d’une session extraordinaire semblent insuffisants. Toutefois, il est étonnant que les États favorables à la durée de quatre jours puissent envisager la tenue d’une seule et unique session extraordinaire sur une situation donnée[23], d’autant plus que la résolution 60/251 n’interdit pas par principe la tenue d’une seconde session extraordinaire sur la même situation. Cette vision restrictive ne cadre pas avec l’objet des sessions extraordinaires qui doivent être réservées, à titre prioritaire, aux situations d’urgence nécessitant une intervention rapide et révélant des violations graves et systématiques des droits de la personne.

Dans son document officieux relatif aux méthodes de travail et au règlement intérieur du Conseil, Enrique A. Manalo (Philippines), facilitateur sur la question, envisageait plusieurs conditions pour réglementer la tenue des sessions extraordinaires[24] : la convocation aura lieu au plus tôt deux jours ouvrables et au plus tard cinq jours après la réception officielle de la demande ; la durée de la session ne dépassera pas trois jours, sauf si le Conseil en décide autrement ; la session extraordinaire devrait permettre un débat participatif, être axée sur les résultats et viser à obtenir des résultats pratiques, dont la mise en oeuvre puisse faire l’objet d’un suivi et d’un rapport à l’intention de la session ordinaire suivante du Conseil des droits de l’homme. Bien que la question des règles de base régissant les sessions extraordinaires soit de nouveau débattue, il faut bien reconnaître que les conditions présentées par le facilitateur semblent assez rigides pour assurer la tenue d’une session extraordinaire de manière rapide et méritent certains éclaircissements. À titre d’exemple, les ong et les institutions spécialisées sont reléguées au second plan par rapport aux membres du Conseil et aux États concernés, et leur contribution aux sessions extraordinaires est bizarrement formulée au conditionnel[25]. Comment envisager dans ce cas un véritable débat participatif sans la participation active des ong ? De nombreux États souhaitent en effet minimiser le rôle de celles-ci dans le cadre du mécanisme d’examen périodique universel afin d’éviter toute procédure de contrôle et toute condamnation.

B — Le mécanisme consultatif d’experts

Instituée en 1947 en tant qu’organe subsidiaire de la défunte Commission des droits de l’homme, la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme était chargée : d’entreprendre des études ; d’adresser à l’ancienne Commission des recommandations ayant trait à la lutte contre les mesures discriminatoires de toute espèce prises en violation des droits de la personne et des libertés fondamentales ; et de s’acquitter de toute tâche qui pourrait lui être confiée par le Conseil économique et social ou l’ancienne Commission, ainsi que d’adresser à cette dernière un rapport annuel sur ses activités[26]. Au départ, elle se composait de douze experts siégeant à titre individuel et élus par l’ancienne Commission pour une période de quatre ans, dont la moitié des membres et suppléants étaient renouvelables tous les deux ans. Ce nombre s’est accru d’une manière progressive, passant de quatorze (1959) à dix-huit (1965) et, depuis 1969, à vingt-six membres, et ce, dans l’esprit d’une répartition géographique équitable[27].

À l’opposé de la Sous-commission de la liberté de l’information et de la presse, qui fut supprimée en 1952, la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme a dû lutter pour se maintenir. En effet, selon Louis Joinet :

Quand on recherche dans les archives, on s’aperçoit que les membres de notre Sous-commission se sont immédiatement organisés, ont fait du lobby jusqu’à l’Assemblée générale et que, finalement, l’Assemblée générale a demandé le maintien de la Sous-commission. Par contre, les collègues de l’autre Sous-commission, qui sont restés totalement placides, n’ont plus jamais refait surface[28].

La Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme disparaît à son tour au profit d’un nouveau « mécanisme de conseil[29] ». Le débat sur le futur mécanisme consultatif d’experts a porté sur la nature de l’organe envisagé, la désignation de ses membres et ses principales attributions.

La nature de l’organe

La majorité des États a plaidé en faveur d’un organe subsidiaire de nature purement consultative. L’idée d’un organe permanent d’experts a été rejetée, ainsi que la proposition du Japon consistant à établir une liste d’experts au sein de laquelle le Conseil pourrait puiser en cas de besoin. Pour bien marquer cet aspect consultatif, l’accord du président du Conseil sur le processus de renforcement institutionnel précise que l’organe consultatif d’experts fournira des services d’experts au Conseil et fera fonction de cellule de réflexion auprès de lui[30].

La désignation

Deux tendances se sont opposées à propos de la désignation des membres de l’organe consultatif d’experts : si certains États ont préconisé la voie du Haut-commissaire aux droits de l’homme, d’autres ont en revanche opté largement pour une désignation directe par le Conseil. De ce fait, les membres de l’organe consultatif d’experts ne seront pas à l’abri des pressions étatiques et resteront sous le contrôle politique des membres du Conseil[31]. Pour ce qui est de sa composition, les États étaient d’accord sur un nombre restreint allant de 10 à 18 membres avec un mandat de 3 ans renouvelable une seule fois.

En définitive, l’accord de juin 2007 du président du Conseil[32] préconise un mécanisme consultatif se réunissant 2 fois par an (deux sessions d’une durée de 10 jours), composé de 18 experts, élus au scrutin secret par le Conseil pour un mandat de 3 ans renouvelable une seule fois[33], sur une liste de candidats répondant à certains critères, à savoir la compétence dans le domaine des droits de la personne, la haute moralité, l’indépendance et l’impartialité[34]. Lors de la désignation des candidats au Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, il sera tenu compte conformément à la décision 6/102 du Conseil de septembre 2007, du principe du non-cumul des fonctions dans le domaine des droits de la personne et de la consultation par les États des institutions nationales des droits de la personne et des organisations de la société civile.

Les attributions

L’organe consultatif d’experts n’aura aucun rôle à jouer en matière de protection des droits de la personne ; les attributions envisagées par de nombreux États le relèguent complètement à un second plan par rapport à l’ancienne Sous-commission. En effet, l’organe en question sera chargé de traiter uniquement de certaines questions thématiques et de donner des avis au Conseil dans le domaine de la promotion des droits de la personne, et ne pourra prendre aucune initiative sans l’aval du Conseil.

Il est exclu pour l’organe consultatif d’experts d’aborder des situations de violations des droits de la personne ou de mener des études et d’adopter une quelconque résolution ou décision. Dès lors, on se demande quelle est l’utilité d’un organe handicapé avec une marge de manoeuvre réduite sur le plan fonctionnel où le rôle des organisations non gouvernementales sera inexistant. Il était essentiel d’envisager un véritable mécanisme consultatif d’experts pour instaurer un équilibre avec le Conseil des droits de l’homme et donner un rôle significatif aux organisations non gouvernementales comme à l’époque de la Sous-commission ; l’affaiblissement de ce futur organe ainsi que les procédures spéciales ont une répercussion négative sur l’ensemble du système de protection des droits de la personne.

C – Les procédures spéciales

Pour assurer la promotion des droits de la personne partout dans le monde, l’ancienne Commission des droits de l’homme a mis en place deux sortes de procédures spéciales[35] : les procédures spéciales par pays dont l’objectif principal consiste à examiner une situation globale de violation des droits de la personne dans un pays déterminé ; et les procédures spéciales thématiques (avec un rapporteur spécial ou un groupe de travail) dont l’objet est de présenter un rapport sur un aspect particulier des droits de la personne dans divers pays, comme la torture, les disparitions forcées, les minorités, la liberté d’opinion et le racisme, etc.

L’efficacité de ces procédures repose sur deux piliers : le pouvoir d’enquête (celle-ci reste tout de même subordonnée à l’accord de l’État concerné) en cas de violations des droits de la personne et le pouvoir d’intervention d’urgence pour la défense des victimes de violations. Le paragraphe 6 de la résolution 60/251 autorisant le Conseil à réexaminer les mandats et mécanismes de l’ancienne Commission a été exploité par de nombreux États pour atténuer la portée de ces procédures et limiter leur capacité d’agir. L’examen de la question de la révision des mandats des procédures spéciales par le facilitateur Thomàs Husak (République tchèque) confirme bien cet état de fait et montre le désaccord des États sur un certain nombre de points portant sur la désignation des titulaires de mandats, le code de conduite et les méthodes de travail.

La désignation

Afin de contrôler le fonctionnement des procédures spéciales, certains États ont souhaité la désignation directe des titulaires de mandats par le Conseil des droits de l’homme[36]. Cette proposition portant atteinte à l’indépendance de ces procédures a été rejetée par d’autres États (Argentine, Chili, Fédération de Russie, Mexique, Suisse) qui ont suggéré le maintien du système actuel, à savoir la désignation par le président du Conseil. Pour conforter réellement l’indépendance des titulaires de mandats et éluder toute pression sur eux, d’autres États ont avancé l’idée d’une désignation par le Haut-commissaire des droits de l’homme[37].

Dans son document officieux sur le réexamen des mandats, Thòmas Husak a opté pour une nomination par le président du Conseil tout en faisant allusion à un modèle hybride (nomination par le président et approbation par le Conseil) et au modèle brésilien (nomination et élection à partir d’un groupe de candidats présélectionnés)[38]. Les procédures thématiques bénéficient, suivant l’accord de juin 2007, d’un mandat de 3 ans renouvelable, alors que celui des procédures par pays est d’un an non renouvelable automatiquement. À l’occasion de sa 8e session (juin 2008) et conformément à une déclaration du président sur la durée du mandat des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales que ceux-ci pourront désormais accomplir, le Conseil des droits de l’homme a fixé le nombre de mandats à un maximum de deux, pour une durée de trois ans au plus. Il a aussi précisé que le code de conduite les concernant serait assuré par le Conseil lui-même.

En ce qui concerne la nomination, la sélection et la désignation des titulaires de mandat, il sera pris en compte en application de la décision 6/102 du Conseil de septembre 2007, à la fois de la compétence, de l’expérience, de l’indépendance, de l’objectivité et de l’intégrité des candidats. Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme établira la liste des candidats répondant à ces conditions. Chaque candidat doit avoir une bonne connaissance de l’une des langues officielles de l’onu et dans l’ensemble du système de protection des droits de la personne.

S’agissant de la rationalisation et l’amélioration des mandats des procédures spéciales, le Conseil des droits de l’homme a renouvelé au cours de sa sixième session le mandat de plusieurs rapporteurs et experts, tel que le mandat sur la situation des droits de la personne au Libéria.

Le code de conduite

En vue d’une meilleure compréhension du travail effectué à l’aide des procédures spéciales thématiques et par pays, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a élaboré, en juin 2006, un manuel des procédures spéciales décrivant leurs rôle, fonctions et méthodes de travail[39]. À la suite de la discussion portant sur la révision des procédures spéciales, la majorité des États appartenant aux groupes africain et asiatique du Conseil[40] a demandé la révision dudit projet de manuel et, surtout, a réussi à imposer un code de conduite pour les différents rapporteurs spéciaux et groupes de travail. Ce code doit réglementer selon eux certains aspects liés à leur fonctionnement, tels que le déroulement des visites dans les pays et les critères pour la recevabilité des communications.

Le code de conduite en question[41], bien qu’il soit nécessaire pour orienter les titulaires de mandats, notamment en évitant le manque d’objectivité dont ont fait preuve par le passé certains d’entre eux, vise plutôt à museler les titulaires de mandats en ignorant les victimes de violations des droits de la personne. Les victimes peuvent adresser directement des communications aux procédures spéciales, alors qu’une telle opportunité ne leur est pas offerte dans le cadre des instruments de protection des droits de la personne ; les États parties aux instruments prévoyant une procédure de plainte individuelle doivent au préalable reconnaître la compétence des organes conventionnels[42] pour se saisir des communications individuelles.

Les méthodes de travail

Dans l’exercice de leurs fonctions, les procédures spéciales consistent souvent à procéder à des visites dans les pays pour obtenir des informations directes auprès des victimes ou des organisations non gouvernementales sur les allégations de violations des droits de la personne. Les visites ont lieu généralement avec l’aval des États concernés et peu d’entre eux manifestent d’engouement pour de telles visites ; le nombre d’invitations étatiques adressées aux procédures spéciales n’est pas élevé[43] et lorsque de telles opportunités de visite se présentent, les procédures spéciales restent toujours fragiles : souvent les États influencent par tous les moyens les experts et imposent une feuille de route pour les visites.

Pour limiter le droit de visite des procédures spéciales, la majorité des États africains et asiatiques a promu l’idée selon laquelle il est essentiel d’encadrer les visites de ces procédures par l’établissement de lignes directrices ; celles-ci serviront également à réglementer les relations des procédures spéciales avec les médias. De ce fait, les procédures spéciales ne pourront plus jamais publier un communiqué de presse sur leurs visites, ni tenir une conférence de presse à la fin d’une visite. À ce propos, il est surprenant que le facilitateur sur la question puisse, d’une part faire référence à plusieurs reprises au concept de « responsabilisation[44] » des titulaires de mandats sans pour autant en déterminer les contours, et d’autre part, affirmer que : « l’interaction avec les médias permet une sensibilisation sur des questions et des situations particulières, mais les gouvernements devraient être avisés au préalable de la publication de communiqués de presse et informés du moment où les médias traiteront du sujet et du contenu des communiqués avant leur publication[45] ».

En vérité, le souhait d’un certain nombre d’États de vouloir supprimer les procédures spéciales vise non seulement à affecter l’efficacité de ces dernières, mais aussi à déconstruire un système de protection des droits de la personne qui s’est de plus en plus fragilisé au fil du temps, du fait, tout d’abord, de la multiplicité des mécanismes établis : certes, sur le plan institutionnel, cette myriade de mécanismes constitue un progrès indéniable, du fait que différents aspects de droits de la personne sont couverts, mais elle constitue en même temps un handicap sur le plan fonctionnel, de par les multiples problèmes qu’elle engendre. En effet, les États sont tenus de présenter des rapports initiaux et périodiques à l’ensemble des mécanismes chargés de la mise en oeuvre des dispositions des instruments auxquels ils sont parties. Cette multiplication des obligations étatiques explique pourquoi de nombreux États n’arrivent pas à présenter dans les délais des rapports de meilleure qualité. De plus, elle rend laborieux le travail des experts, que le manque de ressources financières des secrétariats des différents Comités n’aide pas non plus. Ensuite, la profusion de normes, dont la plupart restent inappliquées, ainsi que le relèvent de manière fréquente les rapports annuels établis par les différents organes conventionnels de mise en oeuvre des droits de la personne, nuit à son tour à l’efficacité des procédures spéciales.

D’après tout ce qui précède, il est bel et bien clair que les États ne sont pas vraiment enclins à coopérer avec le Conseil afin d’édifier un système cohérent et solide de protection des droits de la personne qui prenne désormais en charge l’intérêt général des victimes de violations de ces droits. On assiste plutôt à un affaiblissement des mécanismes et procédures de contrôle existants : la finalité de l’examen périodique universel illustre bien d’ailleurs cette réalité.

II – Un examen périodique universel limité

L’objectif essentiel du mécanisme d’examen périodique universel est d’évaluer la situation des droits de la personne dans les 192 États membres de l’onu par les pairs, en l’occurrence les autres membres du Conseil. Pour bien comprendre ce mécanisme dont dépend in fine la crédibilité du Conseil et sa capacité d’agir, tout en ayant à l’esprit la décision 6/102 du 27 septembre 2007 (dans le cadre du suivi de la résolution 5/1 du Conseil), nous examinerons le cadre normatif de l’examen, ses caractéristiques et objectifs, ainsi que les indicateurs et les modalités de l’examen.

A — Le cadre normatif de l’examen

La résolution 60/251 reste muette sur le fonctionnement de la procédure d’examen périodique universel et se borne à préciser que le Conseil « décidera des modalités de l’examen périodique universel et du temps qu’il sera nécessaire de lui consacrer dans l’année qui suivra la tenue de sa première session[46] ». Toutefois, elle précise que le Conseil aura la vocation suivante :

de procéder à un examen périodique universel, sur la foi d’informations objectives et fiables, du respect par chaque État de ses obligations et engagements en matière de droits de l’homme de façon à garantir l’universalité de son action et l’égalité de traitement de tous les États ; se voulant une entreprise de coopération fondée sur un dialogue auquel le pays concerné est pleinement associé et qui tient compte des besoins de ce dernier en termes de renforcement de ses capacités, cet examen viendra compléter l’oeuvre des organes conventionnels sans faire double emploi[47].

Le texte du document officieux relatif au mécanisme périodique universel rédigé par le facilitateur, Mohammed Loulichki (Maroc)[48], prévoit un cadre normatif pour l’examen constitué de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne auxquels l’État est partie et du droit international humanitaire[49]. On aurait pu se contenter de ce socle minimum de normes comme base d’examen ; en effet, des éléments tels que « les engagements des États pris lors des conférences et sommets pertinents des Nations Unies[50] », ont une valeur mitigée et leur respect relève davantage du principe de bonne foi.

Dans sa décision 6/102 de septembre 2007, le Conseil des droits de l’homme a adopté des directives générales pour la préparation des informations fournies dans le cadre de l’examen périodique universel[51]. Les données fournies doivent indiquer le cadre normatif et institutionnel pour la promotion et la protection des droits de la personne sur le plan national, la coopération avec les mécanismes onusiens de protection de ces droits, leur amélioration sur le terrain et les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des normes internationales de protection des droits de la personne.

B — Les caractéristiques et objectifs du mécanisme d’examen

L’examen périodique universel devrait être un mécanisme de coopération visant à assurer l’égalité de traitement de tous les États et l’universalité de tous les droits de la personne. Il ne doit pas dupliquer les autres mécanismes relatifs aux droits de l’homme et doit être mené de façon objective, transparente et non sélective. En fin de compte, le mécanisme doit viser l’amélioration de la situation des droits de la personne sur le terrain, le respect par les États de leurs obligations et engagements en matière de droits de la personne, ainsi que le renforcement des capacités de l’État et de l’assistance technique, en consultation avec l’État intéressé.

Certes, le qualificatif utilisé (mécanisme coopératif) pour bien marquer qu’il ne s’agit pas d’un tribunal habilité à prononcer des jugements ou des condamnations, montre bien que les États souhaitent cantonner le rôle du Conseil à un rôle réduit de prévention et de promotion des droits de la personne afin d’échapper à toute procédure de contrôle ; par contre, il est encore plus surprenant d’affirmer que le mécanisme envisagé ne doit pas « constituer un fardeau excessif pour l’État qui fait rapport ou alourdir l’ordre du jour du Conseil[52] » et devrait en conséquence « tenir compte du degré de développement et des particularités des pays[53] » – même si l’enjeu ici est de permettre aux États faibles de faire rapport. Un fonds d’affectation spécial pour l’examen périodique universel a été d’ailleurs mis en place en septembre 2007 (résolution 6/17), afin de permettre aux pays en développement de prendre part au mécanisme. Effectivement, dans les deux hypothèses[54] cela revient à affaiblir le mécanisme de l’examen périodique universel et à porter atteinte au Conseil lui-même : sous prétexte de surcharger l’ordre du jour du Conseil, ce dernier ne doit donc pas réagir aux situations urgentes de violations des droits de la personne, ni envisager l’organisation d’éventuelles sessions extraordinaires ; de même, sous prétexte du niveau de développement, le Conseil ne doit pas traiter toutes les situations de la même manière alors qu’il a été justement institué pour mettre fin à la pratique du deux poids deux mesures et à toute politisation. Rappelons à cet égard le paragraphe 4 du préambule de la résolution 60/251 stipulant que : « tous les États, quels que soient leur régime politique, leur système économique et leur héritage culturel, n’en ont pas moins le devoir de promouvoir et défendre tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ».

C — Les indicateurs liés au mécanisme d’examen

Dans sa résolution 60/251, l’Assemblée générale fait référence à certains indicateurs devant guider le Conseil à propos du mécanisme d’examen périodique universel[55] : il doit examiner l’ensemble des violations des droits de la personne, y compris les violations flagrantes et systématiques, et formuler des recommandations à leur sujet ; tenir compte des principes d’universalité, d’impartialité, d’objectivité et de non-sélectivité, du dialogue et de la coopération en vue de garantir la promotion et la protection de tous les droits de la personne ; prévenir les violations des droits de la personne et intervenir rapidement dans les situations d’urgence. C’est pourquoi les méthodes de travail du Conseil – comme indiqué précédemment – doivent être transparentes, équitables, impartiales et favoriser un véritable dialogue.

Bien que ces indicateurs semblent tracer la voie à suivre pour le Conseil, le chemin à parcourir reste in concreto long en raison des dissensions d’opinions sur les modalités de l’examen, ce qui explique le souhait des États de doter le Conseil d’un mécanisme faible ne pouvant leur porter atteinte par le biais d’un quelconque jugement sur leur pratique en matière de droits de la personne.

D — Les modalités de l’examen

La question du fonctionnement du mécanisme dans son ensemble n’a pas été, à vrai dire, tranchée de manière définitive. Des divergences de vues entre États subsistaient au sujet d’un certain nombre de questions, telles que la périodicité de l’examen, le processus et les modalités d’examen, la gestion du temps et de l’information.

De nombreux États se sont déclarés favorables à une périodicité allant de quatre (Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Suisse) à cinq ans (États-Unis d’Amérique, Chine, Cuba, Inde, Iran, Fédération de Russie, Philippines, Thaïlande). La proposition contestée du Pakistan consistant à fonder la périodicité d’examen sur le niveau de développement, de telle sorte que les pays développés seraient examinés tous les sept ans et les pays en voie de développement tous les 3 ans, a été rejetée à juste titre, car elle ne coïncide pas avec le principe de l’égalité de traitement de tous les États.

Au cours de sa sixième session (10-28 septembre et 10-14 décembre 2007), le Conseil a déterminé par tirage au sort pour 2008-2011 l’ordre dans lequel les États seront examinés dans le cadre de la procédure d’examen périodique universel[56]. Ainsi, en avril 2008, la première session devait être consacrée à l’examen des seize États suivants : Maroc, Afrique du Sud, Tunisie, Algérie, Bahreïn, Inde, Indonésie, Philippines, Argentine, Équateur, Brésil, Pays-Bas, Finlande, Royaume-Uni, Pologne et République tchèque. Les critères retenus pour le passage à l’examen reposent sur trois éléments : tout d’abord, les États dont le mandat au Conseil a pris fin en 2007 et ceux dont le mandat s’achèvera en 2008 ; ensuite, les États volontaires qui le souhaitent – c’est le cas pour 2008 de la Colombie (3e session) et la Suisse (2e session) ; et enfin, les autres États membres et observateurs du Conseil.

Pour minimiser le rôle des organisations non gouvernementales, des États tels que l’Algérie, la Chine et l’Iran ont proposé de ne pas tenir compte des informations provenant des ong au niveau du Conseil, afin de les écarter du processus d’examen ; par contre, d’autres souhaitaient impliquer de manière non automatique dans le processus d’examen[57] uniquement les organisations dotées du statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ecosoc).

En ce qui concerne les modalités et le processus d’examen, le facilitateur chargé de la question a suggéré deux options[58] : la première consiste en ce que l’examen soit mené par le Conseil lui-même, lors d’une séance plénière d’une durée de trois heures ; dix membres du Conseil seront alors désignés comme rapporteurs[59]. Dans le cas où la périodicité de quatre ans serait retenue, le Conseil procédera à l’examen de 48 pays par an ; si la périodicité retenue était celle de cinq ans, le nombre d’États examiné par an sera de 39 pays. La seconde option préconise l’institution de deux groupes de travail composés respectivement de 23 et 24 membres pour examiner les informations recueillies et présenter un rapport au Conseil en séance plénière.

L’accord arraché in extremis le 18 juin dernier par le président du Conseil sur le processus de renforcement institutionnel semble privilégier la première option, c’est-à-dire l’examen au sein d’un groupe de travail composé de tous les États membres du Conseil[60]. Sur la base du rapport du groupe de travail, un document final sera adopté par le Conseil faisant état de la situation des droits de la personne dans le pays examiné.

L’idée de l’examen par un groupe d’experts indépendants n’a pas vraiment été examinée de manière sérieuse et a été rejetée par de nombreux États[61] faisant valoir l’argument selon lequel la résolution 60/251 mettait nettement l’accent sur un processus intergouvernemental. En réalité, la résolution en question ne fait aucune référence à cet aspect et laisse le soin au Conseil de réglementer la question des modalités et le processus de l’examen. La nécessité d’associer des experts indépendants à l’examen périodique universel a été soulevée par de nombreuses délégations[62], y compris par le Canada et la Suisse qui ont proposé de confier le contrôle et le suivi à des experts indépendants. L’examen par des experts indépendants aurait certainement renforcé la légitimité du Conseil, d’autant plus que la capacité d’agir du nouvel organe consultatif est réduite à peau de chagrin. Il aurait également eu l’avantage de présenter une analyse plus objective de la situation des droits de la personne, alors que l’examen conduit par le Conseil lui-même le met dans la situation délicate qui consiste à être à la fois de juge et partie.

Conclusion générale

Le Conseil des droits de l’homme est un nouveau né ; il faudra donc lui laisser la chance de grandir et le temps de s’adapter afin de faire la preuve de ses capacités et de son efficacité par rapport à l’ancienne Commission des droits de l’homme. Toutefois, ce constat perd toute sa légitimité en pratique, puisque l’institution en question était vouée à l’échec dès le début du processus de renforcement institutionnel : l’accord de juin 2007 arraché de justesse par le premier président du Conseil reste imprécis sur de nombreux points ; il fallait tout de même l’adopter, car un échec sur le processus de renforcement institutionnel aurait conduit l’Assemblée générale à réviser sa résolution 60/251 et à décider de l’avenir du Conseil. La session de septembre 2007 de cet organe, consacrée à sa consolidation institutionnelle, ne constitue pas une « révolution fonctionnelle » : on a largement appliqué l’accord imparfait de juin 2007, tout en clarifiant le fonctionnement de la procédure de contrôle et en fixant les critères de sélection des titulaires de mandat.

De manière concrète, l’analyse du processus de renforcement institutionnel et de la procédure d’examen périodique universel permet d’affirmer que l’organe en question constitue bel et bien un mécanisme d’affaiblissement des procédures et organes de contrôle existants. En effet, l’organisation des États en groupes régionaux et les manoeuvres dans les coulisses ont conduit cette institution vers la voie de l’immobilisme et freiné l’élan des négociations, ainsi que limité les solutions possibles qui auraient permis de bâtir un véritable système de protection des droits de la personne. Le Conseil ne s’est pas montré convaincant tout au long de sa seconde année d’exercice, ou de rodage ; il n’est pas sûr à cet égard qu’il puisse constituer la voix des victimes et que l’on puisse espérer à travers lui un quelconque renforcement des mécanismes institutionnels de protection des droits de la personne, d’autant plus que ceux-ci sont de plus en plus affaiblis par les États favorisant des mécanismes souples dépourvus de tout pouvoir de jugement ou de sanction. D’ailleurs, les États ont bien su manoeuvrer pour affaiblir les procédures spéciales et limiter leur champ d’action : les rapporteurs spéciaux sur Cuba et le Bélarus n’ont pas été renouvelés ; la suppression de ces deux mandats a encouragé de nombreux pays tels que la Chine, l’Iran et le Soudan à demander l’abolition pure et simple des mandats par pays, l’examen périodique universel étant plus approprié pour l’examen de cas de pays particuliers.

La concentration du Conseil sur la situation des droits de la personne au Proche Orient et la condamnation d’Israël, en écartant d’autres situations révélatrices de violations graves des droits de la personne (Bélarus, Cuba, Iran) ont jeté le discrédit sur l’institution. Des signes d’inquiétude se sont manifestés au sujet de la partialité et de la sélectivité du Conseil. Par ailleurs, l’ancien secrétaire général de l’onu, Kofi Annan, a bien su résumer la délicate position du Conseil en affirmant :

Je suis préoccupé néanmoins par l’importance disproportionnée qu’il accorde aux violations perpétrées par Israël. Non qu’il faille donner carte blanche à Israël. Loin de là. Mais le Conseil devrait accorder la même attention aux violations graves perpétrées par d’autres États[63].

Par ailleurs, il est resté timide si l’on en croit le nombre de résolutions adoptées vis-à-vis des situations de violations des droits de la personne dans de nombreux pays. D’ailleurs, on peut se demander si le Conseil n’a pas été hanté par les démons de l’ancienne Commission concernant les principes de sélectivité, de partialité et de non-objectivité : la situation des droits de la personne en Irak a été totalement ignorée et aucune résolution n’a été adoptée ; celle du Darfour a été examinée tardivement et la résolution a/hrc/s-4/l.1 du 4 décembre 2006 traitant de la question ne condamne nullement les violations des droits de la personne : sous la pression du groupe africain, la résolution en question se contente en effet de manière tout à fait lacunaire d’exprimer la préoccupation du Conseil face à la gravité de la situation des droits de la personne et d’affirmer qu’il a besoin de continuer à recevoir des informations claires, fiables et étayées à propos de la réalité de la situation[64]. Que dire enfin d’Israël, qui ignore totalement l’application des résolutions adoptées par le Conseil lors de ses première et troisième sessions extraordinaires consacrées à la situation des droits de la personne dans les territoires arabes occupés, notamment des dispositions relatives à l’envoi de missions d’enquête urgentes[65] ?

Le mécanisme d’examen périodique universel dont les modalités d’application ont été examinées en septembre 2007 et dont dépend largement la crédibilité du Conseil a abouti, lors de l’examen des situations de pays, à privilégier la soft law au détriment de la hard law comme le souhaitaient la majorité des États. En effet, le débat en séance plénière du Conseil relatif à l’examen des 32 rapports dans le cadre des deux premiers cycles de l’examen périodique universel s’est concrétisé par l’adoption de recommandations générales et vagues et, surtout, par l’absence de toute condamnation : celle-ci est devenue plus difficile à obtenir, car le dépôt d’un projet de résolution nécessite le soutien d’au moins 15 membres du Conseil.

Certes, à travers des règles souples et la coopération technique, il est possible d’espérer modifier la pratique des États en matière de droits de la personne, mais le droit fragile ne doit pas constituer une fin en soi ; l’essence même du Conseil sera affectée si celui-ci n’assume pas convenablement sa mission de protection des droits de la personne, en condamnant fermement les États dont l’attitude est contraire aux normes internationales relatives à ces droits.

Les limites du Conseil doivent être in fine appréciées au regard de la nature de l’Organisation des Nations Unies, organisation intergouvernementale où les fins politiques et les marchandages priment souvent sur toute autre considération, y compris sur les droits fondamentaux de la personne. L’avenir du Conseil relève beaucoup plus de la personnalité et de la capacité du nouveau président à insuffler à cette institution un dynamisme sui generis lui permettant de traiter de manière efficace et objective la pratique des États membres de l’Organisation en matière de droits de la personne, et de tenir compte des victimes de violations de ces droits. Il appartient donc au Conseil de faire la preuve qu’il est un organe impartial et objectif en matière de droits de la personne. Dans le cas contraire, sa mise en place sera considérée comme marquant un pas en arrière, et on se demandera alors légitimement s’il n’était pas souhaitable de réformer l’ancienne Commission en améliorant son fonctionnement, y compris ses mécanismes et procédures de contrôle[66].