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Depuis quelques années, de nombreux ouvrages portant sur la consolidation de la paix ont été publiés. La transformation des opérations de paix est donc désormais bien reconnue dans la littérature scientifique. Certains auteurs se sont penchés sur la définition de cette nouvelle génération du maintien de la paix, alors que d’autres en ont décrit les processus. La plupart des ouvrages sont généraux et portent sur les nombreux aspects de la consolidation de la paix dont les trois éléments principaux seraient le maintien de l’ordre, la gouvernance et le développement. Malgré la prolifération de la recherche dans ce domaine, certains mécanismes sont encore mal compris ou totalement délaissés par les études universitaires. Le présent ouvrage porte sur une des lacunes dans le domaine, celle de la justice.

Constructing Justice and Security After War s’inscrit dans la tendance actuelle de nombreux autres ouvrages traitant de la consolidation de la paix, mais il se concentre cependant sur un aspect bien spécifique, ce qui en fait un outil très utile pour en comprendre les rouages. Selon Richard Solomon, la justice et la sécurité seraient les deux piliers de la reconstruction de la paix, d’où l’importance du sujet pour les auteurs. Cet ouvrage, édité par Charles T. Call, tente de faire un tour d’horizon de l’état de la connaissance en ce domaine. Ce professeur est très connu dans le milieu du fait de ses recherches. Les autres contributeurs sont pour leur part des praticiens chevronnés qui possèdent une expérience approfondie des cas qu’ils traitent.

L’ouvrage aborde principalement la mise en place de réformes judiciaires à la suite d’un conflit. En fait, pour les auteurs, il semble que cette période de transition constitue une fenêtre d’opportunité pouvant permettre de contrer les oppositions à la mise en place d’une nouvelle constitution, de nouvelles lois ou de nouvelles procédures. Toujours selon les auteurs, ce processus n’a de chances de réussite que s’il est pris en charge par la société civile et la population des sociétés en transition. Les auteurs désirent également souligner un troisième élément important pour la reconstruction d’une société : le rôle des acteurs internationaux. Le rôle essentiel des intervenants internationaux y est décrit, les bienfaits comme les effets négatifs. Les tentatives qui s’avèrent inefficaces semblent liées à la tendance de la communauté internationale à imposer un système judiciaire ne répondant pas aux besoins locaux, à une mauvaise sélection du personnel ou encore son l’échec dans sa responsabilité de développer les capacités locales.

Cet ouvrage se divise en quatre parties et onze chapitres. L’introduction pose les jalons théoriques nécessaires à la compréhension des concepts abordés dans les autres chapitres du volume. Les définitions concernent la sécurité, la justice, la Rule of Law, ainsi que quelques principes de base de la reconstruction après les conflits. Les sections i à iii de l’ouvrage offrent plusieurs études de cas regroupées selon trois grandes catégories géographiques. La première partie se concentre sur l’Amérique latine et les Caraïbes, la deuxième couvre l’Afrique et la troisième traite des Balkans ainsi que de tous les autres cas. Chaque chapitre de ces sections porte sur un cas particulier : Salvador, Haïti, Guatemala, Afrique du Sud, Rwanda, Bosnie Herzégovine, Kosovo et Timor oriental.

Chaque chapitre offre un historique du conflit et des accords de paix subséquents, une description sommaire des tentatives de réforme dans les secteurs de la sécurité et de la justice, ainsi qu’une évaluation des résultats de ces changements suivi d’observations et recommandations en guise de conclusion. Les études de cas sont brèves mais bien documentées et accompagnées de méthodes concrètes pour mesurer l’efficacité des réformes, dont l’utilisation des taux de criminalité. Contrairement aux autres sections de l’ouvrage, le chapitre dix ne se concentre pas sur une seule étude de cas, mais a pour but de traiter de la place du genre féminin ou plutôt, selon l’auteur, de l’absence de la question lors de la mise en place de réformes judiciaires. La quatrième et dernière section du livre offre un sommaire et constitue également la conclusion.

À la lecture de cet ouvrage, le lecteur ne peut que conserver un certain pessimisme. En effet, tous les chapitres soulignent les obstacles et échecs ayant freiné, voir empêché les réformes fructueuses. En fait, le constat principal de l’ouvrage est que dans une société, la violence persiste longtemps après la fin d’un conflit. L’insécurité se transforme, passant de menaces liées à la guerre à des menaces criminelles. Les auteurs identifient les principales sources d’insécurité selon le type de conflit. Ces conclusions leur permettent donc d’élaborer des recommandations dans les principaux secteurs d’activité : la reconstruction de la sécurité et de la justice, le désarmement des factions, l’organisation d’un nouveau service de police. Trois conclusions principales peuvent être tirées de la série de recommandations : le rôle important que la population doit jouer dans l’établissement de nouveaux arrangements de justice et de sécurité (de l’établissement des normes jusqu’à la configuration des nouvelles organisations), la mise en place d’un État responsable et un processus de réconciliation nationale.

Les conclusions et les recommandations de cet ouvrage sont généralement réalistes et font écho à de nombreux autres écrits portant sur la consolidation de la paix. Avant tout, les auteurs réalisent que la reconstruction après un conflit est un processus complexe et de longue haleine. L’ouvrage s’adresse surtout aux personnes s’intéressant à la consolidation de la paix et, outre certains détails à propos de cas particuliers, les textes qui s’y trouvent s’inscrivent dans le même courant que la littérature actuelle sur le sujet. Si le praticien pourra donc y lire une liste de recommandations à considérer, son apport théorique demeure cependant limité, mais ce livre constitue quand même un bon ouvrage de référence sur le thème précis de la justice au sein de la consolidation de la paix.