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Devenue un sujet d’actualité depuis l’ouverture des négociations en décembre 2004, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (ue) continue de faire l’objet de nombreuses publications, contribuant à une littérature parfois polémique. Dans cet ouvrage, Desdeemaekere, spécialiste de l’Europe et de l’élargissement, propose de fournir quelques éléments de connaissance pour aider à la compréhension de ce sujet souvent traité de façon passionnelle. Passionnelle en effet, car l’adhésion de la Turquie conduit à réfléchir sur les questions relatives à l’identité européenne, longtemps refoulées, sur ce que l’Europe est ou n’est pas. À tel point que si la Turquie n’existait pas, il aurait fallu l’inventer pour discuter de l’Europe. Les développements qui se trouvent dans cet ouvrage ainsi que son architecture conduisent à considérer plusieurs scénarios, pour envisager non seulement une Europe avec ou sans la Turquie, mais aussi les perspectives de l’ue.

L’ouvrage est constitué de sept chapitres qui s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion en trois étapes. Les deux premiers offrent un bref aperçu de la Turquie et de l’évolution de ses relations avec l’ue qui constitue un préalable pour la compréhension de ce qui suit. Les trois chapitres suivants recensent les sujets qui alimentent les débats et orientent les opinions publiques en Europe et plus particulièrement en France. Enfin, dans les deux derniers chapitres, l’auteur se livre à une réflexion prospective, en s’interrogeant sur les enjeux de cette adhésion pour la Turquie et l’ue.

Le premier chapitre, intitulé Mieux connaître la Turquie, offre un bref aperçu de la géographie, de l’histoire, de l’économie, de la vie politique, de la religion et des relations extérieures du pays, à partir des sources récentes parues notamment dans la presse depuis les trois dernières années. On y trouve par exemple, une brève chronologie, avec des repères historiques qui permettent de saisir certaines dates importantes. Les données économiques décrivent un pays en expansion rapide en passe d’atteindre une taille non négligeable (comme le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine). Le deuxième chapitre qui traite la candidature de la Turquie à l’ue dresse l’historique de celle-ci en remontant jusqu’à la fin des années 1950. On y trouve en particulier l’évolution des rapports depuis le dépôt de la candidature turque en 1987 ; la crise qui suivit le sommet de Luxembourg (1997) à la suite de l’exclusion de la Turquie du groupe de pays candidats, la reconnaissance du statut de pays candidat au Conseil d’Helsinki (1999) et l’ouverture des négociations en octobre 2005 décidée au Conseil de Bruxelles (2004).

L’état de l’opinion publique à l’égard de l’adhésion turque est abordé dans le troisième chapitre. L’auteur part du constat que les sondages Eurobaromètre illustrent la montée en puissance de l’opposition à la Turquie, en particulier dans la « vieille Europe ». L’opinion publique française fait l’objet d’une étude à part. Après avoir décrit l’état de celle-ci, l’auteur tente de saisir ses déterminants, tout en soulignant les ambiguïtés de la notion d’« opinion publique ». Ainsi sont énumérées les raisons invoquées par les opposants à l’adhésion, l’amalgame entre le traité constitutionnel et l’adhésion de la Turquie. Selon lui, le refus de la Turquie trouve ses origines dans les peurs alimentées par le poids important qu’aura la Turquie au sein des institutions européennes en raison de sa démographie, dans le changement des frontières de l’Union européenne, et dans les imaginaires culturels et religieux. Dans une perspective plus globale, les craintes que suscite la Turquie sont liées à la peur de la mondialisation. Les sujets qui font polémique, abordés dans le quatrième chapitre, sont traités en s’appuyant sur une documentation récente très variée. La question chypriote, les droits de la personne, le problème kurde, la reconnaissance du génocide arménien et le rôle de l’armée sont selon l’auteur les principaux points qui posent problème. L’exposé de ces sujets polémiques entre l’Union européenne et la Turquie est suivi par l’étude des controverses entre les opposants et les partisans de l’adhésion turque (chap. 5). Avant d’énumérer les arguments observés en France pour et contre l’adhésion de la Turquie, l’auteur dresse une vision synthétique des positions des hommes politiques qui transcendent le clivage droite-gauche. Quant aux arguments avancés de part et d’autre, les plus connus sont présentés au sein d’un tableau contenant les dimensions géographiques, historiques, culturelles, religieuses, politiques, géopolitiques, géostratégiques, institutionnelles, économiques et démographiques.

À partir des éléments fournis dans les chapitres précédents, l’auteur s’interroge dans les deux derniers chapitres sur les enjeux de la candidature turque et sur les effets qu’elle aura sur l’avenir du projet européen. Le sixième chapitre consacré à ces enjeux traite la problématique sous les angles culturel, géographique et géopolitique. Quant aux implications de l’adhésion sur l’avenir du projet européen, l’auteur traite d’abord des conséquences possibles d’une rupture entre l’ue et la Turquie. Outre le désenchantement évident des Turcs, une telle rupture aurait pour effet d’exacerber les divisions ethniques, religieuses et politiques et de renforcer le risque de la montée de l’islamisme. Tandis que sur le plan international, cette rupture serait perçue comme une défaite pour les valeurs occidentales ; pour le monde musulman, le rejet de la Turquie conforterait l’image de l’ue comme un « club chrétien ». Plus loin dans sa conclusion, l’auteur indique à ce propos que la question de l’intégration de la Turquie conditionne « la relation avec le monde islamique qui constitue le problème majeur pour l’avenir proche de l’Europe ». Mais au-delà de cette perspective, la candidature turque conduit à s’interroger sur l’avenir du projet européen qui est abordé dans le septième et dernier chapitre de l’ouvrage. Trois options sont envisagées en ce qui concerne l’avenir du projet européen et ses corollaires pour la question turque. Dans le cadre de la première option de l’« Europe politique » qui débouche sur un système fédéral, la Turquie est lui difficilement intégrable. Tandis que dans le cas de l’« Europe-puissance » qui exige une plus grande taille, l’ue aura besoin de la Turquie pour peser sur l’échiquier mondial face aux blocs qui se constituent autour des puissances actuelles comme les États-Unis, ou des puissances en devenir comme la Chine et l’Inde. Enfin, dans le cadre de la troisième option intitulée « élargissement indéfini ou infini », l’auteur conçoit trois cercles concentriques : un premier cercle constitué des États membres actuels et des pays des Balkans occidentaux ; un deuxième, formé par les voisins immédiats auxquels l’ue pourrait proposer des « partenariats de voisinage stratégique, politique et économique » ; et un troisième cercle extérieur, réunissant les pays associés lointains avec lesquels l’ue développerait des coopérations spécifiques. Au sein de cette troisième option, la Turquie pourrait, d’après l’auteur, intégrer le premier ou le deuxième cercle. Ces options indiquent également les scénarios futurs. Dans la conclusion, c’est la troisième option qui paraît la plus plausible à l’auteur. Ce qui aboutirait selon ses termes à une « Europe, embryon de la ‘communauté mondiale des démocraties’ » dans le cadre d’une conception cosmopolite et universaliste.

Comme le revendique son auteur, ce livre est destiné au grand public, à toute personne, lycéen, étudiant, ou citoyen souhaitant mieux connaître et mieux comprendre les éléments clés de la situation entre la Turquie et l’Union européenne et son évolution. Il s’agit d’une bonne entrée en matière, qui incite à compléter et approfondir ses connaissances sur le sujet.