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L’ouvrage collectif dirigé par Stivachtis compte dix chapitres consacrés chacun à un sujet précisément délimité, autour de thèmes allant de la politique étrangère des grandes puissances aux relations transatlantiques. Ces chapitres, souvent complémentaires, se concentrent sur les évolutions récentes de l’ordre international. L’intérêt principal de l’ouvrage est alors de proposer une mise à jour sur ces sujets qui ont connu de grands bouleversements à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

La première partie porte sur les liens entre les acteurs internationaux les plus importants et l’ordre international. Olivier Brenninkmeijer étudie la gouvernance mondiale des problèmes contemporains, à laquelle participent grâce à des partenariats le secteur privé, la société civile, les organisations internationales et les États. Il relève notamment les objectifs, les intérêts et les difficultés des différents participants à ces partenariats. Stivachtis s’intéresse aux conséquences de la politique étrangère des États-Unis sur l’ordre international. Son originalité est de considérer que la politique étrangère américaine est un processus dynamique influencé par les évolutions de la société américaine, et non pas lié à une administration particulière. L’auteur étudie notamment les différentes traditions de la politique étrangère américaine, les évolutions récentes de ces traditions et leur influence sur les institutions (au sens défini par Buzan) de la société internationale. Maria Raquel Freire s’intéresse pour sa part à la place de la Russie dans l’ordre international postguerre froide. Après avoir défini la politique étrangère russe au cours des années Yeltsin et Poutine, l’auteure regarde les différents enjeux contemporains entre la Russie et l’ue, puis entre la Russie et les États-Unis (enjeux énergétiques, élargissement de l’ue et de l’otan, entrée dans l’omc, etc.). L’auteure conclut sur l’interdépendance entre États-Unis, ue et Russie, de même que sur ce qu’il faudrait faire pour résoudre les sujets de crispation, et élargir ainsi la « communauté de sécurité » nord-atlantique. Xi Chen observe quant à lui la place de la Chine dans l’ordre international depuis 1949. Distinguant quatre étapes dans la définition chinoise de la sécurité, en fonction des changements de l’environnement international (la sécurité militaire et politique cédant le pas à la sécurité économique et à la coopération diplomatique), l’auteur décrit l’évolution de la politique étrangère chinoise. Selon lui, depuis la fin de l’ère Mao, la Chine ne représente pas une menace pour l’ordre international, puisque le développement économique intérieur est devenu la priorité et que ce développement passe par une intégration à l’ordre international.

La deuxième partie porte sur les relations transatlantiques. Emel Oktay étudie précisément l’European Neighbourhood Policy (enp). Aux frontières de l’ue, l’enp offre des voies alternatives à l’élargissement en vue d’assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité de ces régions. Exprimant des réserves, l’auteure signale les faiblesses de l’enp, qui l’empêchent de concrétiser son potentiel stratégique (l’ue cherche avant tout son propre intérêt, elle traite de manière égale des pays très différents, elle ne se dote pas d’indicateurs clairs, les États-Unis et la Russie ont des intérêts particuliers dans ces régions). Constantinos Koliopoulos s’intéresse pour sa part à la Politique européenne de sécurité et de défense (pesd). Après une brève description de l’histoire et du contexte d’émergence de la pesd, l’auteur propose une vision pessimiste de la possibilité d’une défense européenne autonome à cause d’une série de « pathologies » institutionnelles et militaires (désaccords entre membres qui ont des intérêts nationaux différents alors que les décisions se prennent à l’unanimité, dépendance à l’égard de l’otan avec laquelle elle a un lien institutionnel très fort, émergence d’autres accords de coopération en matière de défense parmi les membres). Selon l’auteur, l’otan, contrairement à la pesd, se porte bien, et l’ue est vouée à n’avoir que peu d’influence sur la scène internationale. Dans le chapitre suivant, Liberatore mesure la différence entre les politiques de sécurité de l’ue et celles des États-Unis, à la suite des attentats du 11-Septembre. Les cas étudiés (l’évaluation de la menace, l’introduction de l’identification biométrique, l’accord Passenger Name Record, les extraordinary renditions) illustrent que, s’il y a une convergence générale, il existe une certaine divergence en ce qui a trait au multilatéralisme, à l’utilisation de la force et à la protection de certains droits fondamentaux. Liberatore s’interroge également sur les raisons de ces divergences et sur les risques d’abus de pouvoir que ces politiques entraînent. Dans un texte qui recoupe parfois celui de Liberatore, John M. Nomikos étudie la coopération internationale contre le terrorisme, à la fois au niveau européen et au niveau transatlantique. En s’attardant notamment sur les réseaux d’échange d’informations sensibles et sur le rôle de l’otan dans la lutte contre le terrorisme, l’auteur montre que la différence entre les États-Unis et l’ue réside dans le fait que les premiers privilégient la coopération militaire et l’action à l’étranger, tandis que la seconde opte plutôt pour une coordination légale contre des menaces intérieures. La nécessité de la coopération contre le terrorisme global est affirmée et suffit à justifier un renforcement des moyens mis en oeuvre, sans que les risques associés à cette lutte soient mentionnés.

La dernière partie regroupe des considérations normatives. Muge Kinacioglu montre que la doctrine de la guerre préventive n’a pas changé fondamentalement le droit international en ce qui concerne le recours à la force en général et la légitime défense en particulier. Après une histoire du droit du recours à la force et une analyse de la pratique depuis 1945, l’auteure conclut que, si l’invasion de l’Afghanistan a conduit à un élargissement normatif du concept d’attaque armée pour inclure les actes de terrorisme, l’intervention en Irak, qui n’a pas été justifiée sur le plan de la légitime défense, n’entraîne pas de changement dans l’interprétation (restrictive) de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Scott Nelson s’intéresse aux changements survenus dans la théorie politique à la suite des évolutions récentes de la politique globale ainsi qu’aux conséquences pratiques que ces changements impliquent. S’appuyant sur des auteurs de la philosophie politique classique (Hobbes, Kant, Rousseau) et postmoderne (Derrida, Connolly, White), il s’interroge sur la façon dont on peut penser la légitimité, la démocratie, l’ordre et la stabilité aujourd’hui. La conclusion de l’ouvrage, écrite par Sai Felicia Krishna-Hensel, revient succinctement et en termes assez généraux sur la nécessaire coopération entre une multitude d’acteurs pour relever les défis auxquels doit faire face un monde globalisé.

Les différents chapitres sont rédigés par des spécialistes qui offrent des analyses rigoureusement argumentées et très bien illustrées. Les chercheurs que ces thématiques particulières intéressent trouveront donc précieuse l’expertise de ces auteurs. Toutefois, la volonté de lier ces différentes réflexions en les inscrivant dans un cadre théorique inspiré de Bull est maladroite : les concepts d’ordre international et d’institutions primaires de la société internationale sont souvent artificiellement inclus, en général dans les paragraphes finaux, sans que cela soit véritablement pertinent. L’introduction, qui cherche à rendre crédible cette inclusion en actualisant les analyses de l’école anglaise, n’y réussit pas : elle est certes intéressante, mais on comprend qu’il s’agit de la première partie remaniée d’un texte devenu par la suite le chapitre 2, rédigé également par Stivachtis. Outre le fait que certaines références y sont approximatives (ce que Stivachtis considère comme étant la définition de l’hégémonie par Bull est en réalité la définition de l’équilibre de la puissance par Vattel, à laquelle Bull se réfère), la présentation de chaque chapitre en donne une image confuse. Il est alors regrettable qu’on n’ait pas pris le temps de rédiger une véritable introduction, qui rendrait justice à la qualité des articles de cet ouvrage collectif.