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En lisant le titre de cet ouvrage, le lecteur devra tenir compte du « s » à la fin du mot aids. L’ouvrage ne se rapporte pas à l’aide accordée au développement de l’Afrique en général, mais bien aux efforts déployés contre le syndrome d’immunodéficience acquise (sida). L’auteure vise, en effet, à démontrer l’importance cruciale de la politique dans la recherche d’une solution à la pandémie causée par le virus de l’immunodéficience humaine (vih) en Afrique subsaharienne. À cet objectif s’ajoute celui d’expliquer comment la compréhension des programmes mis en avant pour combattre ce fléau est liée à la représentation que l’on se fait du pouvoir et des institutions politiques en Afrique. Il est important d’avoir à l’esprit qu’il n’existe pas une explication particulière permettant de comprendre les raisons du succès et des échecs dans l’un ou l’autre des pays concernés. L’auteure, professeure associée en sciences politiques au Calvin College (l’éditeur n’a pas jugé utile de préciser que ce collège se trouve à Grand Rapids au Michigan), insiste sur le fait que chaque pays a ses caractéristiques et qu’il importe de prendre en compte quatre éléments particuliers : le néopatrimonialisme, le degré de centralisation, les relations entre la société civile et l’État ainsi que l’expérience acquise auprès d’organismes étrangers.

L’origine de cet ouvrage remonte à quelques années, au moment où Amy S. Patterson donnait un cours sur le sujet. L’accumulation d’informations et l’apport de certains étudiants particulièrement doués et dévoués lui ont facilité l’accumulation d’un imposant matériel permettant une couverture exhaustive des multiples facettes que présente la problématique du sida sur l’ensemble du continent. L’originalité de l’ouvrage réside dans la mise en évidence du rôle exercé par quatre variables : l’État, la transition vers la démocratisation de la société, la société civile et les donateurs. Dans chacun des six chapitres, une attention particulière porte sur ce qui est ici désigné comme étant l’« institutionnalisation » des politiques entourant le sida.

Le premier chapitre, « Why Study the Politics of aids ? », contient un tableau qui montre la grande dispersion des taux du vih enregistrés en 2003. En effet, on observe des taux de seulement 0,8 % au Sénégal, de 1,7 % à Madagascar et de 1,9 % au Bénin, alors que le Lesotho, la Namibie, le Swaziland et le Zimbabwe ont respectivement des taux de 29 %, 21 %, 39 % et 25 %. Paraphrasant le fabuliste, on peut dire de ce mal qui répand la terreur que, si tous en sont atteints, ils ne le sont de toute évidence pas au même degré. Et l’auteure, sans penser aux animaux malades de la peste, juge nécessaire de préciser que tous les peuples ne meurent pas du sida… C’est dans ce chapitre que sont pris en compte les fameux programmes d’ajustements structurels qui ont obligé la plupart des pays à couper de façon draconienne dans les dépenses liées à leurs programmes d’assistance publique.

Le chapitre « The African State and the aids Pandemic » s’appuie sur quatre études de cas : le Zimbabwe, l’Ouganda, le Swaziland et l’Afrique du Sud. L’objectif est de démontrer, dans chacun des cas, la portée des efforts déployés pour enrayer le mal ou pour faire face à ses conséquences. Si l’importance des moyens dont dispose l’Afrique du Sud joue un rôle significatif, on apprend que la faiblesse de ceux qui sont déployés par le pouvoir central en Ouganda ne constitue pas une entrave à l’efficacité de certaines initiatives mises en oeuvre. À la faveur de nombreux exemples, le lecteur constate que les programmes mis en oeuvre ici et là ne donnent pas toujours les résultats auxquels on serait en droit de s’attendre, ce qui oblige à faire preuve de prudence et de circonspection dans toute tentative d’évaluation. Ce qui fonctionne bien en Ouganda ne donne pas les mêmes résultats au Zimbabwe. Et comme le démontre le chapitre suivant, « Democratic Transition. A New Opportunity to Fight aids ? », la démocratie n’est pas une condition nécessaire et suffisante en Ouganda pour garantir le succès des efforts du gouvernement. Dans ce chapitre, l’auteure aborde la dimension démocratique au regard d’une classification faite par Freedom House en 2005 qui identifie onze pays faisant partie de ces « nouvelles » démocraties africaines. Or, on peut lire que l’évolution vers une plus grande démocratisation des institutions nationales n’entraîne pas nécessairement de meilleurs résultats dans la lutte contre le sida. L’explication tiendrait au fait que, pour les populations concernées, le sida n’apparaît pas comme étant une priorité. Le système électoral n’oblige pas les gouvernements à rendre des comptes en la matière dans un avenir rapproché. Cela tiendrait au fait que les décès ne surviennent que quelques années, sinon plusieurs années après l’infection par le vih. En conséquence, les populations font pression auprès de leurs gouvernements pour qu’ils s’occupent avant tout de l’emploi, de l’alimentation et du logement. La réélection d’un parti politique n’est pas fonction des réussites en matière de lutte contre le sida. Les gouvernements ont donc tendance à laisser l’initiative aux organismes nationaux et étrangers de toute nature. C’est ce sur quoi porte en partie le chapitre « Civil Society’s Influence on the Politics of aids ».

Comme on le conçoit bien, l’ampleur du fléau a suscité la création de milliers d’organismes sur tout le continent. C’est par leur entremise que des citoyens jouent un rôle d’intervention, de soutien, de pression, d’éducation, etc. Leur efficacité dépend, il va de soi, de leur expérience, de leurs moyens financiers et de leurs capacités d’innover. C’est ce que démontre l’auteure en concentrant son attention sur trois facteurs : les ressources financières, les ressources humaines (compétence des membres des organismes et de leurs leaders) et l’existence de la transparence et de la nécessité de rendre des comptes. En Afrique, de nombreux organismes se trouvent handicapés par leur inaptitude à gérer des campagnes de financement et par leur aversion à se lancer dans des activités lucratives par crainte, ici comme ailleurs, que la finalité économique finisse par l’emporter sur la finalité sociale, première raison de leur existence. Faut-il alors s’étonner que, durant les années 1990, 111 des 120 ong du Kenya recevaient l’essentiel de leur financement de sources étrangères ? Ces donateurs font d’ailleurs l’objet du chapitre « External Donors and Policical Commitments ». On y trouve la comparaison de deux programmes de lutte contre le sida : le Global Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria et le us President’s Emergency Plan for aids. Bien que le premier soit plus décentralisé que le second, l’un et l’autre font beaucoup appel à la société civile pour assurer le succès de leurs activités.

L’ouvrage se termine par un chapitre dont le titre prend la forme d’un constat : « Beyond Politics as Usual. Institutionalizing the aids Struggle ». L’auteure revient sur le constat qu’au Zimbabwe et au Swaziland le fort centralisme, allié au néopatrimonialisme, nuit aux efforts tentés en vue d’enrayer la pandémie, ce qui conduit les organismes étrangers à donner leur préférence à des pays où le mal s’avère moins répandu. Dans cet ouvrage sans conclusion, l’auteure semble néanmoins conclure que les pays riches vont devoir prendre des décisions en fonction de ce que les économistes qualifient de « coûts d’opportunité ». En d’autres mots, des choix se feront entre différentes priorités. Pour lutter efficacement contre le sida, le hasard dans les interventions devra laisser place à une institutionnalisation des moyens de lutte. Sinon, effectivement, ce sera politics as usual. Et les mesures utilisées continueront ainsi de refléter les insuffisances étatiques, la dépendance à l’égard des dons venant de l’extérieur et la tendance à privilégier une vision de court terme.

Voilà un livre qui intéressera à la fois les intervenants dans les grandes administrations publiques ou parapubliques et ceux qui n’hésitent pas à aller sur le terrain au sein d’ong qui, à l’opposé de toutes les Arche de Zoé de ce monde, n’improvisent pas leur engagement.