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Le fait que l’auteur de cet ouvrage ait obtenu la bourse Reagan du National Endowment for Democracy, à Washington, ne me paraissait guère rassurant. Nous devons cependant tous prendre l’habitude de tenir compte des travaux écrits par des politologues américains qui sont ouvertement d’extrême droite, et dont les prémisses de recherche sont tirées de ces positions. Roland Rich, qui n’est pas américain mais australien, n’est ni le premier ni le dernier chercheur qui appartient à cette catégorie. Il s’agit donc d’une polarisation plus appuyée qu’entièrement nouvelle à laquelle on doit faire face avec Pacific Asia in Quest of Democracy.

L’auteur de l’ouvrage qui nous occupe est un diplomate d’expérience qui désire maintenant terminer sa carrière par la vérification d’une hypothèse qu’il portait depuis un certain temps. Le premier choix qu’il se fixe est celui de la tâche à accomplir. Il se propose de passer en revue les institutions démocratiques des États de l’Asie-Pacifique depuis la Corée jusqu’en Indonésie au sud et à la Thaïlande à l’est. Ce projet audacieux me paraît presque impossible à réaliser. Rich aurait mieux fait d’annoncer plus tôt ce qu’il a réalisé de fait, c’est-à-dire restreindre ce projet à la Corée du Sud, à Taïwan, à Singapour, aux Philippines, de même qu’à la Thaïlande et à l’Indonésie, excluant de son projet le Vietnam, le Cambodge et le Laos, mais surtout la très importante Chine ainsi que la Malaisie, en pleine évolution démocratique. La tâche annoncée est beaucoup trop vaste et l’auteur se doit de la restreindre, mais, lorsque Rich s’y emploie, il le fait d’une façon qui pose question au lieu d’augmenter sa crédibilité.

Rich revoit ainsi plusieurs domaines politiques à la recherche d’indications démocratiques. Parmi ces domaines, on trouve les institutions démocratiques où l’auteur analyse les rapports de pouvoir, des systèmes parlementaires et des systèmes présidentiels, mais aussi la cohérence des systèmes électoraux qui choisissent les premiers ministres ou les présidents, et l’intégrité des institutions et procédures qui régissent tout cela. Rich examine ensuite le développement et les applications du droit, puis les partis politiques avant de s’intéresser aux caractéristiques et aux principes du leadership de ces pays et de voir jusqu’à quel point ils acceptent les règles démocratiques. Le chapitre 7 porte sur le discours public et le rôle des médias, puis l’auteur examine la culture politique, y compris les effets du confucianisme, rejetant le stéréotype des Asiatiques conformistes et soumis. Le chapitre 9 cherche à expliquer pourquoi les démocraties s’assemblent mais ne se ressemblent pas. Arrivant essoufflé au dernier chapitre, le lecteur reçoit l’explication de tout ce qui a précédé. Je vous rassure : l’auteur conclut tout simplement que l’allure des démocraties varie autant d’une à l’autre que la forme du corps humain d’une personne à l’autre. Le sprint n’aboutit pas.

Les choix de recherche faits par Rich reflètent les limites de sa rigueur. On reçoit donc différemment ses propos, peut-être badins, voulant qu’il ait choisi d’écrire un essai parce qu’il n’avait ni le talent nécessaire à l’écriture d’un roman, ni la célébrité nécessaire à la publication de ses mémoires. On m’accusera si l’on veut de le prendre au pied de la lettre, mais il m’a paru y avoir quelque vérité dans ces aveux bonhommes. Cela dit, cet ouvrage est écrit clairement, l’auteur a fait son devoir et il cite amplement la littérature savante, et ces travaux ont été parrainés par des auteurs plus connus. Mais une enquête de cette envergure exigerait normalement une nombreuse équipe de recherche et de longues années de travaux imposants. Il n’est possible de cerner quelque chose de signifiant que si, au départ, le raisonnement est loin d’être aussi rudimentaire et les concepts aussi relâchés dans leurs applications. J’aurais préféré ne pas voir la carrière diplomatique d’un citoyen d’une nation alliée se terminer sur un résultat aussi peu convaincant.