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Beaucoup de spécialistes en politique internationale s’intéressent actuellement au terrorisme. La grande quantité d’études qui paraissent le montre assez bien. L’augmentation du nombre de cours universitaires offerts dans le domaine le montre aussi. Mais pour qu’une recherche ou un livre se fasse remarquer, dans cette situation inhabituelle de concurrence, il faut qu’un ouvrage particulier se détache de la masse ou qu’il attire de quelque manière l’attention du lecteur. L’ouvrage mentionné en titre y arrive-t-il ?

M. Coolsaet est le directeur d’un recueil d’essais qui porte sur le terrorisme intégriste en Europe. Cet ouvrage se penche surtout sur deux grandes questions. Premièrement, quels sont les mécanismes précis par lesquels l’environnement global encourage le terrorisme, qu’il soit local ou régional ? Et, deuxièmement, comment ces mécanismes affectent-ils le processus qui conduit à l’intégrisme musulman ? L’ouvrage cherche donc à situer, après vingt ans d’existence, le terrorisme européen face à l’intégrisme musulman, et il explore cet intégrisme comme cause principale du terrorisme.

Le livre compte quatre parties. La première consiste en un survol de la menace intégriste des vingt dernières années en Europe. Cette section analyse les facteurs menant à la brutale efficacité du terrorisme, et donne au lecteur une perspective historique du phénomène. La seconde partie compare l’intégrisme en Europe avec celui qui prévaut soit dans le Sud-Est asiatique, soit en Afrique du Nord, soit en Belgique. La troisième partie de l’ouvrage examine les causes profondes de l’intégrisme, tant chez les musulmans que chez les communautés immigrantes d’origine musulmane, en Europe. Cette section présente aussi une analyse du processus par lequel l’identité de ces communautés se construit. En plus, elle examine les mécanismes de propagation de l’idéologie intégriste chez les deux générations successives d’immigrants, c’est-à-dire chez les enfants et les petits-enfants d’immigrants. La quatrième et dernière partie propose des politiques pour ralentir la propagation de cet intégrisme parmi les communautés immigrantes, les services policiers et l’Union européenne.

La conclusion la plus frappante de l’ouvrage est celle qui porte sur la diversité des processus de propagation de l’intégrisme. Ces processus ont en commun certaines caractéristiques, par exemple un environnement où existe un sentiment prononcé d’injustice. De telles communautés partagent aussi la conviction d’être défavorisées. Et il suffit que de telles injustices soient perçues – il n’est pas essentiel que les désavantages soient extrêmes ou réels. Ces sentiments doivent croiser la situation personnelle et l’histoire immédiate de chaque individu en passe de devenir intégriste. Les solutions à de tels problèmes doivent donc être particulièrement adaptées à chaque communauté. Il n’est donc pas étonnant de conclure que le défi auquel l’Europe doit faire face est grand. À cause des caractéristiques politiques de l’Union européenne, les États membres, plutôt que l’Union dans son ensemble, sont les premiers acteurs dans le domaine. Puisque l’Union européenne ne fait que leur fournir un cadre, on comprend que les initiatives des différents gouvernements soient très variées.

Le recueil de M. Coolsaet m’inspire deux commentaires. Le premier concerne cette diversité des initiatives européennes destinées à contrer la montée de l’intégrisme. Cette diversité me semble présenter un avantage certain. Il n’est toujours pas clair lesquelles parmi ces initiatives peuvent prévenir l’intégrisme ou le renverser. Tant et aussi longtemps que nous n’en saurons pas davantage, le fait que les politiques adoptées varient ne peut que nous fournir plus d’indications sur ce qui peut être, en fait, efficace. Cela ne manquera pas, plus tard, d’être tout un casse-tête, un de plus, pour les gouvernements européens. L’autre commentaire adressé à M. Coolsaet, c’est que l’on n’a pas encore étudié les processus qui ont le potentiel de renverser l’intégrisme. Sait-on seulement s’il est possible de le renverser ? Et, si la réponse est oui, sait-on dans quelles conditions cela serait possible ? Bien que je figure parmi les profanes en ce domaine, à la place de l’auteur je commencerais par examiner les sociétés qui se remettent d’importantes guerres civiles. L’exemple de certains pays d’Afrique, il me semble, pourrait peut-être fournir des renseignements précieux concernant la baisse des extrémismes en tout genre.

Si je conseille cet ouvrage à tous ceux qui s’intéressent au phénomène du terrorisme, c’est notamment en raison de la riche diversité des auteurs. Par exemple, on compte parmi eux des spécialistes en questions policières, ce qui est assez rare dans la littérature savante. Les études recueillies par M. Coolsaet portent souvent sur la situation de la Belgique, et il s’agit encore là d’un pays dont on n’entend pas souvent parler au Canada.