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Depuis 1995, l’Organisation mondiale du commerce (omc) a rendu des décisions dans neuf principaux différends touchant la santé et l’environnement. Il s’agit de différends dans les secteurs de l’essence, des tortues et des crevettes, des hormones, de l’amiante, des salmonidés, des pommes, des produits agricoles, des médicaments génériques et, enfin, des organismes génétiquement modifiés (ogm). Ces différends sont responsables de presque toute la controverse qui a entouré l’omc depuis sa création. Pour les critiques de l’omc, les décisions rendues ont démontré que cet organisme favorise le commerce au détriment des questions environnementales et de la santé. De plus, dans ce contexte l’omc est vue comme une menace à la souveraineté des États.

Le livre se penche sur les neuf différends identifiés en consacrant à chacun d’eux un chapitre. L’objectif premier de cette monographie est d’évaluer comment l’omc a réconcilié le commerce avec l’environnement, la santé publique et la souveraineté. Ces questions ont suscité de nombreux écrits et commentaires. L’omc a régulièrement défrayé les manchettes des journaux et des nouvelles télévisées. Des associations et des organismes multiples ont mené une campagne vilipendant l’omc. En effet, les groupes altermondialistes ont été très actifs dans ces neuf dossiers depuis 1995. Nous pensons en particulier à la rencontre ministérielle de Seattle en 1999. Ce livre offre une réflexion détaillée au sujet du processus d’enquête et de prise de décision par les comités de l’omc. Il cherche à répondre à une question générale : l’omc favorise-t-elle le commerce aux dépens de la souveraineté nationale, de l’environnement et de la santé publique ainsi que ses détracteurs le soutiennent ? Trish Kelly, en répondant à cette question, cherche à voir si l’omc n’est pas davantage un organisme démocratique qui accorde une voix au chapitre au sujet du libre-échange.

Chacun des différends est analysé avec minutie. Chaque dossier est placé dans son contexte national, régional et international. La lecture des dossiers mettant en cause le Canada, dont celui de l’amiante, montre à quel point un travail de fond a été fait pour bien comprendre les enjeux dans leurs contextes nationaux. Un historique de chaque conflit est fourni. Une fois ce contexte établi, l’auteure expose le conflit dans ses moindres détails et aborde la requête telle qu’elle a été formulée par le plaignant. Le processus d’enquête et de prise de décision est décrit attentivement. Le fonctionnement du processus de règlement des différends de l’omc est expliqué avec précision pour chacun des cas. L’étude démontre que ce processus est assez flexible et qu’il permet à l’omc et aux parties prenantes de mettre sur pied une démarche pertinente aux cas à l’étude. Évidemment, ce processus n’est pas infaillible et Kelly n’hésite pas à montrer que les panels de l’omc ont commis des erreurs d’interprétation des dossiers ou qu’ils ont erré en droit à l’occasion. Ces comités doivent rendre des décisions dans des domaines très complexes et souvent dans des délais relativement courts. De plus, les membres de comités d’appel sont recrutés sur une base temporaire et ils doivent se consacrer à plusieurs tâches simultanément.

L’auteure se penche également sur les rapports des Amicus curiae. Les amis de la cour, c’est-à-dire des personnes qui sont admises à faire valoir l’intérêt public ou celui d’un groupe social important pour éclairer le tribunal, sont très utiles aux panels qui ont à rendre une décision en matière de litige commercial. Kelly constate que dans plusieurs différends les rapports des Amicus curiae ont été rejetés par le comité d’appel. Néanmoins, ce processus a offert aux tribunaux un moyen d’entendre le point de vue d’acteurs extérieurs. Les rapports des amis de la cour ont permis à des associations et à des groupes de pays dont l’État n’était pas concerné par le litige de faire entendre leur point de vue. Cela était particulièrement frappant dans le cas de l’amiante.

L’étude démontre, à la lumière de l’évolution des différends, que les craintes de menace à la souveraineté des États membres sont exagérées. Les décisions rendues par l’omc permettent aux États concernés de poursuivre des objectifs environnementaux et le maintien de la santé de leur population dans la mesure où ils ne discriminent pas leurs partenaires commerciaux et réussissent à fournir des preuves scientifiques du bien-fondé de leurs réglementations. À ce sujet, l’étude que Kelly fait du rôle d’experts consultés présente un grand intérêt et touche à une facette très importante du processus de règlement des différends. L’opinion d’experts a joué fortement dans les neuf cas à l’étude. Toutefois, l’auteure note que des mesures ont été mises en place pour faire en sorte qu’il y ait plus de transparence dans la résolution des différends.

Il semble que l’omc réussisse bien à trouver un équilibre entre l’environnement, la santé et la souveraineté nationale. Néanmoins, Kelly souligne dans sa conclusion que les pays les plus pauvres auront besoin d’un meilleur appui pour bénéficier du plein usage du processus de règlement des différends. Elle décrit les processus d’appui aux membres qui existent actuellement au sein de l’omc, mais elle conclut que davantage devra être fait. Une critique que nous pourrions formuler est qu’il aurait été souhaitable que l’auteure prenne davantage de recul et étudie la gouvernance de l’omc dans son ensemble. Cet exercice aurait permis de mieux placer les tensions causées par les différends dans leur contexte global tout en soulignant davantage les défis des rapports Nord-Sud. De plus, les tensions observées pourraient être mieux situées dans le cadre du dilemme entre libéralisme et protectionnisme.

Malgré l’équilibre constaté dans cet ouvrage entre le commerce lui-même et les autres considérations, Kelly conclut en la nécessité d’une grande volonté politique au niveau national pour protéger la santé et l’environnement. Enfin, ce livre est certainement un des ouvrages les plus détaillés au sujet du rôle de l’omc dans le règlement de différends commerciaux. Il sera certainement très utile aux chercheurs, qu’ils soient juristes, politologues ou économistes. Les praticiens du commerce et observateurs de la scène commerciale internationale y trouveront également matière à réflexion. Pour leur part, les membres des groupes de consommateurs, les associations d’affaires et les différents groupes d’intérêt pourront y puiser des informations précieuses qui nourriront les débats à venir.